samedi 24 juillet 2021

Ich verstehe nicht - 15

 

Chapitre XV – Un moulin à paroles

 

            Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul.

            Il avait passé une bonne partie de la nuit à se remémorer les bons moments passés avec Richard et Schneider – l’ego surdimensionné de Richard qu’il regrettait désormais d’avoir si souvent fustigé, et le côté si terre à terre de Schneider qui lui avait permis d’enfin voir les choses « comme un adulte » – dans l’espoir vain que je le suivisse dans la lancée ; ses souvenirs étaient si riches en détails que je m’étais endormi au milieu d’un récit de tournée, sans même avoir la décence de réagir à ses sanglots. Et évidemment, à mon réveil, le moulin à paroles était reparti de plus belle. Les sanglots en moins.

            Il n’arrêtait pas de parler. Il parlait tellement que je n’écoutais quasiment plus du tout ce qu’il disait. C’est seulement quand j’entendais mon prénom que je réagissais, lui rappelant d’utiliser mon pseudo avant même de lui faire répéter l’énième question qu’il me posait. Il aurait pu m’exposer sa théorie concernant les meurtres une bonne dizaine de fois sans même que je m’en rendisse compte. Rien n’arrêtait ce flot de paroles que je n’écoutais plus, pas même le fait que je fisse semblant de lire le journal d’Adélaïde. C’était même pire ! Il regardait par-dessus mon épaule et commentait le contenu de la page. C’était insupportable.

            Mais Paul a toujours été bavard. Il a toujours eu besoin de combler le silence par sa voix souriante – la seule différence, cette fois-là, étant qu’il souriait beaucoup moins.

 

            Chaque matin, je tentai de trouver un moyen judicieux de m’éclipser sans qu’il me vît, mais il ne se laissait pas facilement berner par la fausse excuse me traversant l’esprit, et il me devançait toujours au réveil. J’ignore comment il fait d’ailleurs : dormir cinq heures et être pimpant dès le matin alors que je me traîne maladroitement comme un ours repu après dix heures de sommeil.

            Pourtant, le temps filait, et avec la perte d’Ariane, j’avais loupé l’occasion unique de m’introduire dans la villa de Taylor, dont je n’avais même pas l’adresse. Or, impossible de fournir des explications sur mon objectif précis à Paul. Dès que la question de ma présence à Marseille revenait sur le tapis, je repérais tout de suite ce regard désapprobateur qui anticipait déjà mon absence de réponse.

            Je voyais bien qu’il tentait désespérément de recréer un lien, qu’il n’était pas juste là pour me surveiller même si je ne cessais de lui reprocher le contraire. Mais je n’avais aucune envie d’être réceptif à ses remarques sur le délabrement de la ville ou les gens qu’on croisait lors de nos balades dans le vieux port.

            Le manque qu’il ressentait suite au décès de Richard et Schneider était abyssal : là où je croyais percevoir juste une trouille de crever, je sais désormais qu’il y avait un vide de sens. Lui qui avait axé toute son existence autour du groupe, il avait perdu pied dès que celui-ci s’était retrouvé en pause forcée après mon incarcération, et cette pause devenant irrémédiable après les meurtres, il désespérait de retrouver cette cohésion de groupe, les moments tous ensemble, le rythme de tournée que nous avions. Il faut dire que Paul faisait des tournées l’occasion quasi unique de s’hypersociabiliser, invitant chaque soir de concert des fans – surtout des mecs – dont il s’entourait gaiement. Un peu comme…

‘Comme des larbins.’

            Je sais que je n’aurais pas dû utiliser ce mot. Son regard s’était durci dès que je l’avais lâché, après sa longue tirade nostalgique.

‘Pardon ?’ dit-il simplement après un silence.

            Je n’osais trop répéter mais j’étais au bord de l’agacement – l’inaction forcée foutait en l’air mon projet de vengeance, et tout ça parce qu’il fallait consoler Paul ? J’avais autre chose de bien plus important à faire !

‘Des larbins.’

‘Oh ! c’est sûr que c’est bien pire que tes jeunes groupies que tu traites comme des favorites !’ ironisa-t-il.

‘Elles, au moins, elles sont pas chiantes – elles viennent pas se plaindre d’avoir raté leur train pour venir au trentième show auquel tu les invites, ou parce que j’ai embarqué leur copain à l’hôtel !’

‘Tu parles de Sean ?’

‘Mais j’en sais rien comment il s’appelle, et je m’en fous ! Comme de tous tes mignons !’

‘Mes mignons ?’ s’écria-t-il, vraiment vexé cette fois. ‘Mais moi, je ne couche pas avec eux !’

‘Bah peut-être que tu devrais, ça te détendrait un peu !’

‘Mais je n’ai pas de leçons de sexualité à recevoir de la part d’un nid à MST ambulant !’ hurla-t-il.

‘Ah ! tu parles comme elle !’

‘Comme qui ?’

‘Elle !’ dis-je en indiquant le journal d’Adélaïde.

            Il regarda le carnet, interloqué, puis se tourna à nouveau vers moi. Il passa une minute à chercher une idée du regard, comme si elle pouvait se cacher derrière les tables du café, tandis que le serveur nous zyeutait avec dédain, n’appréciant pas l’idée que nos cris pussent faire fuir ses rares clients.

‘Ecoute, je sais pas pourquoi on parle de ce sujet –’

‘C’est toi qui parlais de tournée.’

‘Oui, je sais !’ dit-il sèchement. ‘Mais je voulais pas qu’on se dispute ainsi. Je voulais juste qu’on…’

‘Quoi ? Qu’on passe de chouette vacances dans le sud de la France, comme deux bons potes ? Je suis pas là pour ça.’

‘Oui, ça, j’l’ai bien compris. Mais tu trouves pas que cette situation est… dingue ? Je veux dire, Richard me parle des messages bizarres de la part d’une fan ; ensuite, Schneider et lui se font assassiner ; et toi, qui étais parti à Paris, tu te fais tabasser dans la rue par des inconnus –’

‘Par les sbires de Taylor.’

‘T’es pas sûr de ça.’

‘C’est lui qui a tué mes enfants !’

‘On n’en sait rien…’

‘Qui d’autre aurait fait tout ça ? Qui d’autre aurait découpé Adélaïde en morceaux, hein ?’

‘C’est peut-être pas lié…’ hésita-t-il.

‘Bien sûr que si ! Tout le monde meurt autour de moi ! Et pourquoi moi ? Parce que j’ai buté son fils ! Voilà pourquoi !’

‘D’accord, si tu le dis,’ soupira-t-il. ‘Mais tu peux pas l’arrêter de toute façon, alors à quoi –’

‘Avec toi dans les pattes, c’est sûr que non.’

            Paul me jeta un regard larmoyant et se tut. Pour toute la soirée. Et les jours suivants.

 

***

 

            C’est un soir de juin, tandis que Paul était parti faire un tour en ville, que je reçus un texto de Christine la bourgeoise. Elle m’y demandait si elle « aurait la chance » de me retrouver à la grande réception de « Mister Senator » prévue quelques jours plus tard. Je m’empressai de la rappeler en comprenant qu’il s’agissait là du meilleur plan B possible pour débarquer à la villa Taylor, depuis qu’Ariane m’avait lâché. Après lui avoir rapidement expliqué que mon assistante m’avait fait faux bond et que je bataillais avec mes « divers agents » pour obtenir une invitation, jusque-là en vain, elle se proposa immédiatement pour jouer les intermédiaires.

‘Les subalternes qui n’écoutent rien, je connais bien ça – c’est insupportable !’ dit-elle d’une voix traînante. ‘Croyez-moi, je peux placer votre nom sur the list dans la journée, à condition que vous me consacriez une partie de cette soirée-là.’

‘Evidemment,’ lui répondis-je d’un ton coquin. ‘Peut-être même partie de la nuit, si vous le souhaitez ?’

‘Vous oseriez m’embarquer à l’étage ?’

‘Pourquoi pas ? Nous n’y trouverons pas de regards trop curieux cette fois-ci, j’imagine…’

‘C’est vrai que Mister Senator a toujours une grande confiance envers ses invités mais ce rustre de Spencer aime bien faire ses petites rondes, vous savez…’

‘Spencer ?’

‘Le bodyguard de Ralph Taylor.’

            Avec ces mots en anglais casés au hasard dans son allemand impeccable, j’avais presque l’impression d’entendre Richard…

‘Ah, je vois.’

‘Je crois bien qu’il est le seul de la sécurité à avoir le droit d’accéder aux appartements privés…’

‘On trouvera bien un moyen d’échapper à son attention.’

‘Je l’espère bien !’ s’exclama-t-elle, enjouée comme une petite fille, avant de s’excuser de devoir raccrocher « à contre-cœur pour honorer un meeting. »

            Deux jours plus tard, j’avais une date, une heure, une adresse. Mais aucun moyen d’échapper à la surveillance d’un Paul devenu mutique et lugubre, qui profitait de mon inattention pour feuilleter le journal d’Adélaïde, souvent pendant la nuit, alors que je le gardais jalousement le reste du temps. Je finis par me rendre compte que je n’avais plus vraiment le choix : je devais embarquer Paul à la soirée.

mercredi 19 août 2020

Ich verstehe nicht - 14

 

Chapitre XIV – Un nouveau venu

 

            Je m’habituais au printemps à Marseille. Le vent qui frappe les façades d’immeubles décrépis, sûrement autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les gens qui traînent dans les bistrots pour s’échanger les dernières rumeurs et peut-être aussi observer les nouveaux dans le quartier. Les bateaux de croisière qui commencent déjà leur ballet incessant. Et puis les femmes, évidemment, qui découvrent déjà leur peau qu’il faut hâler au plus vite en vue de l’été. Mais je n’avais pas l’esprit à draguer. Je traînais au hasard des rues en m’étonnant du fait d’être quasiment jamais reconnu de fans passant par là. D’habitude, je ne peux pas faire trois pas dans une ville européenne sans être emmerdé pour des selfies ou une signature. Là, j’avais dû croiser peut-être quatre ou cinq T-shirts Rammstein et aucun des mecs qui les portaient n’avait tiqué. Je ne m’en serais pas plaint – ça arrangeait bien mes affaires en fait – mais c’est là que je compris que le contexte est le principal facteur de notoriété qui entre en jeu pour être reconnu.

            C’est donc avec étonnement, au retour d’une de mes rondes dans la ville, que je découvris Paul, assis dans le hall de mon hôtel, la mine penaude, son portable fébrile dans la main, le regard logé quelque part à côté de son écran. Constater qu’il avait pu me retrouver malgré toutes les précautions me rendit sûrement encore plus parano. C’est donc sans dire bonjour, en me posant en face de lui, que je lui ordonnai d’éteindre son portable.

‘Till !’ dit-il à la fois avec effroi et soulagement, la main posée sur le cœur mais le sourire aux lèvres.

‘Chut !’ lui dis-je. ‘Ton portable.’

‘Quoi ?’

‘Eteins-le !’

‘Mais Till, il faut que je te raconte –’

‘Eteins ton putain de portable ! On peut nous surveiller avec ces saletés de smartphones !’

            Paul était circonspect mais il s’exécuta. Il semblait avoir perdu dix kilos. Son sourire fixe creusait ses rides et ses cernes et, sous ses petites mains inquiètes, ses jambes pas bien épaisses en temps normal tressautaient comme le reflet des roseaux sur un lac agité.

‘Till, je sais pas comment te dire –’

‘Qu’est-ce que tu fous là ?’ lui dis-je.

‘Je…je te cherchais. Il y a un truc que –’

‘T’aurais pas dû.’

‘Putain mais laisse-moi finir ma phrase !’

‘Chut !’

            Je regardai autour de moi. Il y avait personne dans le hall à part le réceptionniste planté devant Facebook mais je psychotais. Si Paul avait pu me retrouver, aussi dégourdi soit-il, n’importe qui d’autre pouvait le faire.

‘Mais qu’est-ce qui t’arrive ?’ demanda Paul en suivant mon regard.

‘Il faut que tu partes.’

‘Non.’

‘Je te laisse pas vraiment le choix,’ dis-je sur le point de me lever en lui agrippant le poignet.

‘Je ne partirai pas avant de t’avoir annoncé la mort de Richard et Schneider.’

            Je le fixai du regard sans mot dire. Paul laissait son poignet dans ma main mais, face à son ton impérieux, je le lâchai. Il avait perdu son sourire et me regardai droit dans les yeux, les lèvres pincées, une larme à l’œil droit.

‘C’est bien ce que je pensais. Tu n’es pas au courant. C’est ce que j’ai dit aux autres, que tu devais pas regarder l’actu –’

‘Tu racontes n’importe quoi.’

‘Mais… Till –’

‘C’est impossible ! De toute façon, Ariane m’aurait…’

            Non, elle ne m’aurait rien dit même si elle avait vu passer l’info. Le regard sanglotant de Paul était sans équivoque mais mon cerveau avait fait sauter les plombs.

‘Pourquoi j’inventerais un truc pareil ? Alors que je viens de te retrouver ! Till…’ soupira-t-il.

‘Faut pas qu’on parle ici,’ assénai-je. ‘Viens dans ma chambre !’

‘Your compère need a room ?’ demanda le réceptionniste dans un franglais bien vague alors que je me relevai.

‘Non, c’est bon,’ lui répondis-je en français.

‘C’est 135 euros de pénalité, vous savez,’ ajouta-t-il sans daigner passer par quelques mots en anglais cette fois.

‘Not if she left.’[1]

‘Oh ! pardon, je savais pas que vous étiez de ce bord. Par contre, il me faudra sa pièce d’identité, au Monsieur, pour…’

            Je sortis un billet de 100 euros et le posai sur son comptoir.

‘Bon, ça ira aussi.’

            Paul fronça les sourcils mais je ne le laissai pas protester et l’entraînai dans ma chambre, où il me raconta l’assassinat de Richard et Schneider, abattus le mois précédent alors qu’ils se rendaient à l’ouverture d’un restaurant appartenant à un ami animateur radio. Regina n’avait été que blessée lors de la fusillade et le criminel, qui était resté dans la voiture garée en face pour tirer, avait réussi à s’enfuir, laissant sa Volkswagen volée dans une ruelle plus loin. La police n’avait aucune piste mais pour moi, ça ne faisait aucun doute : seul Taylor pouvait être derrière tout ça. Paul, éploré, tentait de me contredire, en vain. Il avait une autre piste mais il n’était pas en état de m’exposer sa théorie ; et moi, je ne l’étais pas pour l’écouter.

‘Comment peux-tu être aussi… aussi insensible !’

‘Je ne suis pas insensible,’ lui dis-je. ‘Je ne me laisse pas envahir par les émotions, c’est tout.’

            Paul secouait la tête, peu convaincu.

‘C’est horrible. C’est comme si j’avais… j’avais perdu deux frères.’

            J’avoue que j’écoutais à peine ce qu’il avait à me dire, même si je sentais bien que Paul s’était démené à me retrouver pour chercher un peu de réconfort. Il avait clairement pas choisi le parfait bonhomme.

‘Comment tu m’as retrouvé ?’

‘Mais ça te fait donc rien ?’ se lamenta Paul.

‘Oh arrête un peu.’

‘Mais je viens t’annoncer que Schneider et Richard sont morts ! Et toi, tu… tu… tu t’en fous en fait !’

‘J’ai dit : Arrête ! Evidemment que ça me touche, mais je te rappelle que j’ai perdu mes fils, et Marie-Louise aussi,’ m’emportai-je, ‘alors ça laisse…des traces.’

‘Tu veux dire : ça endurcit.’

‘Ouais, voilà. Et il a buté Maria aussi.’

J’oubliais presque mon ex dans tout ça. Bizarrement, dans ces circonstances, ma mémoire était devenue parcellaire.

‘Je sais pas. Je suis en colère, voilà.’

‘C’est pas une bonne phase du deuil, ça, tu sais.’

‘Oh, laisse tomber ta psychologie de salon ! J’ai une très bonne raison. C’est forcément lui qui est responsable.’

‘Mais de qui tu parles ?’

‘Taylor.’

‘Mais Till, il est mort.’

‘Pas lui, le père.’

‘Mais attends, ne me dis pas que ce qu’ils m’ont dit est vrai…’

‘C’est forcément lui. Même manière de procéder. C’est évident. Le mec veut me détruire en tuant toutes les personnes qui comptent pour moi. Et ce que tu viens me dire ne fait que confirmer ce que je pensais. Il n’y a rien d’autre qui puisse expliquer leur mort.’

‘Till, c’est pas la même manière de pro–’

‘Si ! Quasiment. De toute façon, c’est forcément lui, ça ne peut être personne d’autre !’

            Paul soupira.

‘Il faut que t’arrêtes avec cette histoire de vengeance…’

‘Tu sais rien de ma vengeance.’

‘Si, Christophe m’en a suffisamment dit pour –’

‘Quoi ? Schneider ?’

‘Non, non,’ dit-il d’un air fatigué, ‘Christophe, le Français. L’ami et voisin d’Adélaïde. Tu te souviens au moins ?’

‘Ah oui.’

‘J’ai pensé qu’il n’y avait qu’un seul endroit où tu pouvais être parti, alors je suis allé à Paris, et… j’avais appris pour Adélaïde,’ dit-il en baissant le regard, ‘Quelle horreur… Et c’est comme ça que je suis tombé sur Guillaume puis Christophe, qui m’a tout raconté de tes… tes, disons, manigances avec l’autre fille.’

‘Ariane.’

‘Oui,’ acquiesça-t-il sans relever la tête. ‘Tu suis son fil, j’imagine.’

‘De quoi ?’

            Paul me regarda, hésitant.

‘Non, rien, un truc idiot. Elle est où d’ailleurs ? Je croyais qu’elle était –’

‘Partie.’

‘Ah. Laisse-moi deviner : elle a essayé de te convaincre d’abandonner ?’

‘Non. Le contraire, figure-toi,’ lui lançai-je sur le ton de la défiance. ‘Elle sait exactement quoi faire et comment. Moi, je… je suis pas sûr du comment. Bref ! Elle s’est barrée parce qu’elle en avait marre d’attendre. Et toi, tu devrais rentrer à Berlin.’

‘Maintenant que je t’ai retrouvé ? Hors de question.’

‘C’est trop dangereux, Paul.’

‘Raison de plus de ne pas te lâcher.’

‘Fais pas chier. Rentre à Berlin.’

‘Tu n’as pas idée de l’angoisse dans laquelle tu nous as tous plongés ! On croyait que tu étais parti pour… pour en finir. Et maintenant qu’on a perdu Schneider et Richard, tu voudrais que je te laisse te mettre sciemment en danger en affrontant une espèce de mafieux ou je ne sais quoi !’

‘C’est pas un mafieux.’

‘Attends, c’est quasiment pareil. Le mec s’intéresse aux marchés militaires. Il travaillait même pour la NSA, pour qui il espionnait les contrats d’industriels français d’un montant de plus de 500 millions d’euros – ou 200 millions ? Oh, je ne sais plus.’

‘Quoi ? D’où tu tiens ces infos ?’

‘Oh, tu sais bien, Till ; avec mon air sympathique, on me dit tout,’ ironisa-t-il.

‘Je suis sérieux. Qui t’a dit tout ça ?’

‘Un journaliste est venu me trouver. Antony quelque chose, mais je pense qu’il m’a pas donné son vrai nom. Il enquête sur le meurtre d’Adélaïde. Et comme il a su que tu te cachais dans son appart, et que des sbires de Taylor t’avaient agressé l’an dernier, bah, il est venu me poser des questions sur toi.’

‘Tu lui as rien dit, j’espère ?’

‘Mais qu’est-ce que j’aurais pu lui dire ? Je savais même pas où tu étais parti !’

‘C’est sûrement un mec envoyé par Taylor.’

‘Non, je pense pas. Au fait, ça va ?’

‘Hein ?’

‘Je viens de me souvenir que tu as été agressé l’an der–’

‘Ah, oui, oui – ça va.’

            Paul me scruta du regard, sûrement à la recherche d’éventuelles cicatrices.

‘De toute façon, ça change pas grand-chose, tout ça.’

‘Bah si,’ insista Paul. ‘En plus, il y a les connexions d’Hélène de Maistre à prendre en compte –’

‘De qui ?’

            Paul me dévisagea, limite agacé par mon amateurisme.

‘L’épouse de Ralph Taylor, et du coup la mère de celui que tu as tué.’

            Il y eut un mince silence où chacun semblait juger l’autre. Paul avait fait exprès de dire ça, pour me faire réagir, mais il semblait tout aussi craintif à l’idée que ça pût me braquer.

‘Une mère aussi peut très bien vouloir venger son fils,’ dit-il pour essayer de diluer la tension. ‘Mais bon, tu fais fausse route de toute façon,’ insista Paul. ‘Il y a des trucs qui collent pas.’

‘Pourtant tu viens d’énumérer de bonnes raisons de croire que Taylor est derrière tous ses meurtres !’

‘Qu’il en a les moyens, oui, mais… ça colle pas.’

‘Avec quoi ?’

‘Mon intuition ?’

‘Oh, super !’ m’exclamai-je en m’affalant sur le lit, comme si le poids d’une longue discussion menant nulle part me tombait d’un coup sur les épaules.

            Paul se rapprocha, me regardant de haut.

‘Et avec ce que m’a dit Richard il y a quelques mois.’

‘Hm.’

‘Ah, ça y est, tu n’écoutes plus.’

‘Hm,’ fis-je en lui tournant le dos.

            Paul alla s’asseoir au bureau, vraiment dépité de ne pouvoir m’exposer sa longue théorie, qui serait pourtant cruciale. Si seulement j’avais su… Après un long silence, Paul me demanda simplement :

‘T’as couché avec ?’

‘Même pas.’

‘Ah, c’est pour ça.’

‘Quoi ?’

‘Ta mauvaise humeur.’

‘Hm. Ariane est trop hargneuse pour me plaire.’

‘Bien sûr,’ ironisa-t-il. ‘T’as un truc à manger ?’

            Je me redressai et regardai fixement Paul.

‘Tu dois rentrer à –’

‘Non !’ me coupa-t-il en me lançant un regard dur mais légèrement malicieux.

‘Dans le sac,’ cédai-je en me rallongeant. ‘J’ai pris des sandwiches.’



[1] Pas si elle est partie.

Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...