samedi 14 novembre 2009

Nur Götter dürfen dich berühren - 1


„Nur Götter dürfen dich berühren“

(Till Lindemann, Messer, „Nele“)

J’attends de l’autre côté du bureau de Poste. De l’autre côté car juste devant, il y a cinq punks à chien qui s’amusent avec ce qui semble être des tuyaux en carton, sûrement trouvés dans les poubelles d’un supermarché. Le genre de tuyaux en carton autour desquels on enroule de la tapisserie – ou du papier cadeau – en plus grand. Je reste donc de l’autre côté de la voie. Pas que les punks à chien me gênent. Non, non. Disons que j’ai très vite remarqué qu’ils étaient tous bourrés, et que l’un d’entre eux avait eu la mauvaise idée d’attacher ses deux chiens ensemble – les deux chiens se sont enfuis pour rattraper un bout de carton d’ailleurs – sous la bruine, une voiture a même failli les écraser alors que la laisse de fortune s’était enroulée autour d’un poteau. Je me suis donc dit qu’il était préférable que je reste de l’autre côté de la rue. Punks ou pas, les gens bourrés sont tous pareils.
Je regarde ma montre d’un geste vif. Il est presque vingt-deux heures. J’enfouis ma tête dans le col de mon manteau.
A vrai dire, je n’ai rien contre les punks à chien. Quand ils m’arrêtent dans la rue pour me demander « une petite pièce », j’accepte volontiers et je leur sors ce qui traîne souvent dans ma poche – un billet de vingt, parfois de cinquante car j’ai rarement de la monnaie sur moi. Un jour, ce fut un billet de cinq cent euros. J’avais hésité. La punkette aux dreadlocks entremêlées de fils roses et verts m’avait fait les yeux ronds, et je m’étais senti gêné. « C’est tout ce que j’ai, désolé. » Elle avait fait demi tour en secouant la tête avec amusement ou mépris, je ne sais pas trop. Sûrement avec mépris car je sortais de réunion avec la maison de disques, ce jour-là – j’avais donc sorti mon joli costume marron pour l’occasion.
« Heu…vous ne le voulez pas ? »
Elle s’était retournée en me lançant un regard deux fois plus surpris. Je lui avais tendu le billet, m’excusant de la somme – deux jours avant, en France, on m’avait refusé ce même billet dans le petit café où moi et Paul avions déjeuné – c’est qu’ils n’aiment pas les gros billets, les Français. La punkette avait dévisagé le billet rose avant de dire :
« Non, mais là, j’peux pas accepter…vous avez pas un billet de vingt plutôt ? »
Une brave petite fille, la punkette. Elle l’avait quand même pris, ce billet.
« Achetez-lui des croquettes Frolic – la super marque, quoi !
- Ouais, pour sûr ! »
Tous les punks à chien ne sont pas aussi cools, m’enfin ! Peu importe. Je ne suis pas là, à attendre devant la Poste sous la pluie en cette nuit de fin d’été à Berlin, pour vous parler des punks à chien.

Vingt-deux heures quinze. Elle n’est jamais en retard normalement, mais comme elle m’a envoyé un texto à vingt-une heures cinquante-huit pour me prévenir que son père est arrivé à l’improviste, je me dis qu’elle ne va peut-être pas venir. Le truc, c’est qu’elle n’a pas précisé qu’elle annulait dans son texto – alors, j’attends. Avec mon parapluie dans une main et mon iPhone dans l’autre. On ne sait jamais : elle peut très bien dire à son père qu’elle doit voir une amie ce soir, qu’il ne peut pas rester – bref ! elle est adulte maintenant ! Till devrait comprendre !
Bon. Je m’emporte.
Vingt-deux heures vingt-deux : texto. « J’arrive. Bisous » Elle a pu se débarrasser de Till, donc. Je me demande si je vais pouvoir faire la remarque cette fois. Elle s’était renfrognée la dernière fois. Elle n’avait pas écouté mes arguments. Elle avait juste dit :
« Ce restau, ça te dit ? »
Non, je ne vais pas lui faire la remarque ce soir. Ce n’est pas sa faute si Till est un père ultra protecteur. En particulier avec sa première fille – la prunelle de ses yeux. Il a trois autres enfants, mais Nele reste unique. Le bijou. Sa petite fille idéale – celle qui le comprend – qui le soutient – qui l’aime comme depuis le jour où elle a poussé son premier cri et pris l’auriculaire de son papa pour le mettre dans sa bouche. C’est ce qu’a fait ma petite Stefanie. Je m’en souviendrai toujours. Ses lèvres suçotaient ma dernière phalange ; sa langue touchait à peine mon ongle. J’en ai même pleuré. Je sais, c’est d’un mièvre – mais la naissance de son premier enfant est tellement unique, comme moment !
C’est pour cela que je comprends Till. D’autant plus qu’on a à peu près le même âge. On a vécu les mêmes galères en tant que pères – les mêmes joies aussi. Ma Stefanie est certes plus jeune que Nele – et certes, j’étais plus âgé, quand elle est née, que Till quand Nele est venue au monde – mais on partage ce même sentiment : le refus de la voir devenir femme.

A ce propos, ça lui a fait un choc, à Till, quand Nele lui a annoncé qu’elle était enceinte. C’était peu avant Noël 2006 – vers la fin de l’année sabbatique du groupe – Till dînait chez moi, avec ses deux filles. Nele était mignonne dans sa longue jupe – elle n’aime pas les jupes normalement, mais là, elle s’était fait toute belle. Marie-Louise, elle, restait accrochée à son portable pour envoyer des textos par paquet à ses copines de collège. Sûrement pour leur raconter où elle avait acheté sa veste rose fuchsia ultra tendance. Regina, mon ex maintenant (enfin…plus ou moins mon ex), avait préparé un repas typiquement russe pour l’occasion, ce à quoi Till ne peut jamais résister. Comme Stefanie s’était désisté, j’avais décidé d’inviter Till pour renouer contact : avec la séparation du groupe, on n’avait pas trop eu l’occasion de se voir. Paul m’avait donné de ses nouvelles, qu’il avait obtenues par l’intermédiaire de Flake mais je ne fais pas trop confiance au téléphone arabe…
« Quoi ??!!
- Je suis enceinte.
- Tu plaisantes ?
- Non. »
Till a eu l’air sceptique.
« Et qui est l’heureux papa ? ai-je demandé pour mettre fin au silence plus que gênant.
- Il n’y en a pas.
- Ah.
- QUOI ??!! s’écria Till. »
J’avoue : même moi, je n’aurais su réagir autrement.
« Cool ! a lancé Marie. Faut que je raconte ça à Khira !
- Attends, attends, a dit Till en se massant les tempes.
- Eh bien…heu…félicitations ! a lancé Regina pendant que Marie collait déjà le portable à son oreille.
- Attendez, attendez, a continué Till.
- C’est…heu…quelle surprise ! ai-je dit, enfin.
- Ouais, a simplement répondu Nele.
- Attends ! »
J’ai regardé Till, qui avait l’air paumé dans ses pensées – en général, ça ne présage rien de bon – il est comme ça au début d’une dispute avec Richard : il fronce les sourcils et répète « Attends, attends » pendant que Richard débite ses grandes idées. Pendant l’enregistrement du nouvel album, il l’a fait aussi avec Paul quand il se mettait à monopoliser la table de mixage. Ou quand il nous a montré ses nouveaux tatouages – deux trucs bizarres et bien moches qu’il s’est faits tatouer sur le biceps gauche et l’épaule droite (il a étonné plus d’un avec son délire de gamin).
« T’es sûre au moins ?
- Oui, papa ! j’ai vérifié avec mon gynéco – je ne te l’annoncerais pas sinon !
- Okay. Et…t’es vraiment sûre ?
- Papa, écoute : je sais que ça doit te faire bizarre, devenir grand-père à seulement quarante-trois ans mais…
- C’est même vachement glauque ! Je suis beaucoup trop jeune pour être papy !! (Marie a pouffé de rire.) Hey ! Marie, qu’est-ce que j’ai dit ? Pas de portable à table. Tu me le ranges tout de suite ! (Marie a mis son portable sous la table tout en gardant un œil et son pouce ultra rapide dessus.) Et puis…heu…Nele, écoute, tu es beaucoup trop jeune pour être maman, voyons !
- J’ai le même âge que toi quand tu m’as eue, je te signale.
- Ah. T’es sûre ?
- J’ai bientôt vingt-deux ans.
- Oui.
- Et t’avais vingt-deux ans quand je suis née.
- Oui, mais…tu sais, c’était…
- J’étais un accident, oui, je sais – tu m’as déjà raconté.
- Non, mais je ne le regrette pas !
- Je sais. »
Till avait l’air coupable. Je sentais un fossé se creuser entre eux, et c’en était gênant. J’ai regardé Regina, qui partageait mon sentiment.
« Mais…voyons Nele, t’es encore une jeune fille, c’est trop tôt pour un bébé et puis…c’est qui ce con qui t’a engrossée ? J’le connais ?
- Non.
- Ah, tant mieux ! Sinon, il passerait un sale quart d’heure, crois-moi ! (J’ai ri avec lui.)
- Papa, je sais que tu me vois toujours comme une gamine…
- Non, non, c’est juste que…
- Papa ! Laisse-moi finir !
- D’accord, dit-il un peu penaud.
- Donc, je sais que tu me vois toujours comme une gamine mais j’ai grandi, je suis une femme, avec une sexualité (Till a fait la grimace) et des envies de maternité aussi, que ça te plaise ou non. »
Till s’est renfrogné. Avant ce jour-là, Till et Nele avaient toujours été complices – ils se disaient tout, partageaient tout ensemble. Après ce jour-là, Nele a commencé à grossir et Till a pris ses distances. Il m’a avoué pendant la grossesse qu’il se sentait comme trahi. Comme trompé par une compagne. Qu’il trouvait ce rapprochement de sentiments bizarre, et que c’était pour cela qu’il préférait prendre ses distances. Nele s’est inquiété de ça – m’a même demandé de jouer les messagers puisque je suis resté assez proches d’eux deux. Mais aucune de mes discussions avec Till n’y faisaient – la vue du corps de sa tendre petite fille modifié par la grossesse lui donnait…
« …presque la nausée ! Et c’est bizarre, parce que Carol, ou même Anja, ou encore Maria, je les trouvais super sexy quand elles étaient enceintes. Et je sais pas pourquoi ! Sûrement parce que c’était moi la cause du changement – tu sais, la petite fierté quand on la voit grossir et grossir, et qu’on se dit ‘Héhé ! c’est un morceau de moi là-dedans !’
- Oui, c’est vrai, ai-je approuvé en souriant.
- Ben, là, c’est le contraire. C’est comme si j’étais un mari impuissant qui voit sa femme tombée enceinte. C’est inacceptable.
- Mais tu sais, faire ce bébé toute seule, ça n’engage qu’elle.
- Oui, je sais, je sais ! Mais je n’arrive pas à voir les choses autrement – pourtant je l’aime ! Je…j’espère tellement finir par dépasser ça – la prendre dans mes bras le jour de son accouchement – surtout, pouvoir rester à côté d’elle ce jour-là ! Mais…je sais pas pourquoi je réagis comme ça. »
Au final, Till a réussi à dépasser son écœurement à l’idée d’être surnommé Opi – ou sa déception face au choix de Nele ; ou sa gêne face à sa grossesse…peu importe – justement, le jour de l’accouchement. Ils se sont même rapprochés encore plus qu’avant. Pour nos vacances l’hiver dernier, après l’enregistrement hyper tendu de l’album, nous avons décidé d’aller dans un parc aventures avec tous les gosses : Stefanie, Khira, et bien sûr Nele avec le petit Fritzi de presque deux ans. Khira n’aime pas les parcs aventures, mais elle ne quitte pas sa demi-sœur depuis la naissance de Fritz. J’ai même plaisanté avec Richard à ce sujet :
« Fais gaffe ! elle aussi, elle va te faire papy par surprise !
- Ah non ! si elle fait ça, je la renie ! Il est strictement HORS DE QUESTION que je sois grand-père à mon âge ! Et je me contre-fiche qu’elle ait dix-huit ans – quarante et un ans, c’est bien trop jeune pour être papy !
- Si tu le dis ! »
M’enfin…qu’est-ce que je disais déjà ? Ah oui, Till et Nele étaient très complices pendant les vacances – comme une paire qui se complète parfaitement. Till se fichait bien de savoir qui était le père indigne du petit – selon lui, il était devenu le papa de remplacement d’office – par désistement. Peut-être aussi parce qu’être papy d’un petit garçon, ça ravive la fierté du papa qui en a marre de ses deux derniers garnements, dont il doit maintenant partager la garde avec Maria puisque, comme souvent avec Till, il est allé voir ailleurs, Maria l’a appris et hop ! séparés. Pareil pour Paul, d’ailleurs – sauf que c’est sa femme qui l’a trompé – avec Till justement. Mais bon, je digresse un peu là.

Vingt-deux heures quarante-cinq. J’aperçois une grande femme aux cheveux bruns au bout de la rue. Une démarche sûre d’elle. Le menton très haut. Je crois que c’est elle. Je n’ai pas pris mes lunettes donc je n’en suis pas trop sûr. Je lui fais signe avec la main qui tient mon iPhone. Elle répond par un signe aussi. Je pars donc la rejoindre. Elle m’explique bien évidemment que Till est passé à l’improviste, qu’il en avait profité parce qu’il devait voir Flake…
« Je m’en doutais.
- Oh ! ça va, tu vas pas me refaire la remarque.
- Non, non ! Pas du tout !! »
Gêné, je regarde à travers les vitrines de magasins pendant qu’elle pianote sur son portable.
« On mange où ?
- Où tu veux.
- J’ai bien envie de me faire un chinois.
- Justement, j’en connais un pas très loin… »

4 commentaires:

  1. Tu ne sais pas a quel point ca me fait plaisir d'avoir une fiction de qualité à lire!!! J'en ai marre des kikoolol et des fautes d'orthographe!!!

    MDR... C'est génial d'avoir séparé Till de sa latina, et que la femme de Paul ait eut une avaenture avec Till^^ *c'est pas seulement entre Richard et Till que ca arrive ca?*

    Qu'y a-t-il entre Doom et Nele?? Hate au prochain chapitre pour le découvrir :)

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  2. Aaaaah, ça fait du bien de lire une fiction Rammsteinienne comme je les aime : intéressante, prenante et bien écrite ! Je suis emballée par ce début, et il me tarde déjà de connaître la suite ! Schneider & Nele auraient-ils une liaison ... ? Je verrai si mon idée tient la route au prochain épisode ! ... Ou pas ! xD

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  3. Super ce début de fic' !! :D
    Christoph et Nele auraient-ils une liaison ? Vivement le prochain chapitre *dépêche toiiiiiiiii xD*
    Comme toujours, une super qualité d'écriture, sans fautes et captivante !! J'aime !

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  4. Bonsoir
    je ne sais pas si vous aurez ce message, les articles commencent à dater… Bref, j'ai lu tous vos écris autour de Rammstein, et je les trouve d'une très grande qualité. Merci pour ces moments de lecture divertissants et même passionnants !
    J'écris des fan-fictions également. Mes textes sont plus sous forme de nouvelles. J'ai décider de publier ça sur un blog. Si vous aviez le temps d'y jeter un oeil… (http://lesmotslesecrits.blogspot.fr)
    Merci encore pour ces très bons moments de lecture. En espérant que vous aurez ce message.

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Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...