mardi 13 octobre 2009

Glühend - 10 et épilogue

10

Paul avait rajouté :
‘Non, parce que, tu connais ma fille – elle est si rabat-joie ! Si je lui annonce que je sors avec un mec, elle serait capable de se mettre à la recherche d’une nouvelle copine pour moi – déjà qu’Emil me harcèle à ce sujet…’
Mais je ne l’avais pas vraiment écouté – j’avais regardé le médaillon en forme de soleil comme s’il s’agissait d’une pierre précieuse – un symbole ardent [1]mon symbole.

***

‘Tu n’es bon qu’à te plaindre !’
‘Mais c’est la vérité ! J’ai l’impression d’avoir une jambe plus courte que l’autre quand je marche avec ça !’
‘Mais tu as une jambe plus courte que l’autre !’ me répondit Till en rigolant.
‘Ha-ha ! Très drôle celle-là. Non, franchement, j’aime pas marcher avec ce truc.’
‘Tu préfères que je te porte ?’
‘Non, ça ira.’
‘Allez, viens !’
Je le suivis dehors, ma prothèse bien fixée à mon moignon. Depuis trois semaines, j’avais emménagé chez lui à Wendisch, où nous vivions comme le couple gay parfait – sauf que nous ne couchions pas ensemble. Un peu à cause de lui car il n’osait pas me demander d’aller plus loin : beaucoup à cause de moi car je me détestais trop physiquement pour aller jusqu’au bout. Pourtant, le désir, entretenu par ses petites attentions et mes caresses nocturnes, me tiraillait les tripes. Mais nos ébats s’arrêtaient toujours à sa fellation du soir, après laquelle il s’endormait comme un gros bébé. Je le laissais me toucher, mais seulement avec réticence, avant de le refroidir complètement en lui rappelant que mes brûlures m’avaient fait perdre toute sensation au toucher, ce qui était vrai…sur une partie de mes cicatrices – pas toutes. Je voyais bien, quand il insistait plus que d’habitude, qu’il n’avait qu’une envie : celle de me prendre par derrière avec sauvagerie. Mais je ne pouvais m’y résoudre, non pas par crainte de la douleur ou de la gêne due à ma jambe manquante, mais seulement à cause de mon besoin de garder la situation sous contrôle.
Till finit par s’habituer à ma mauvaise humeur, s’en amusant souvent, soit en répondant à mes sarcasmes avec encore plus de cynisme, soit en roulant les yeux d’exaspération pour me faire taire. Et je ne lui en voulais pas. Au contraire ! J’aimais son regard franc et ses paroles spontanées, toujours prêts à me remettre sur la route. Avec Till, je me sentais presque humain à nouveau – avec lui, j’avais l’impression de vivre pour quelqu’un.
Pour quelqu’un. Pas pour moi. Voilà tout le problème.

Lors d’une sortie en famille, car Till avait réussi à récupérer la garde de ses fils et Khira et Marie-Louise nous avaient rejoints, je prétendis avoir besoin d’une pause. Nous nous fixâmes un certain parc comme point de rendez-vous pour le pique-nique et ils continuèrent jusqu’au bois alentour pendant que je revenais vers le centre-ville. Je me dirigeai directement vers ma banque et demandai au guichet, sans même dire Bonjour, s’ils avaient reçu la somme que j’avais demandée trois jours plus tôt.
‘758 000 euros… Herr Kruspe, le compte est bon,’ fit la guichetière sans oser lever les yeux sur mes cicatrices.
‘Bien.’
‘Désirez-vous un sac pour…’
‘Non, non, j’ai mon sac à dos. Mettez tout dedans !’
Une grosse somme pour une petite succursale de banque, avouons-le – d’ailleurs, le directeur avait été quelque peu sonné par ma requête trois jours plus tôt.
‘758 000 euros ?’
‘Oui.’
‘Eh bien…’
‘Ne me demandez pas pour quoi faire. Je veux juste cette somme.’
‘Très bien.’
Ne me demandez pas non plus pourquoi 758 000, et pas 759 000 ou 757 985 – j’avais choisi cette somme un peu au hasard, en restant dans l’optique : laisser 200 000 euros pour Khira, et 100 000 pour Merlin. En enlevant ces 300 000 de mon compte principal ce jour-là, j’étais arrivé à 758 000 environ. Ce fut donc la somme que je retirai – grosse somme, oui, et toute en coupures de 500 – somme qui, pourtant, pesait peu sur mon dos. Etonnée par le volume du sac, Khira me demanda même ce qu’il y avait dedans.
‘Rien à manger, grosse vache !’
‘Hey !!’
Elle fit semblant de me taper sur la tête avec une chemise en plastique, dans laquelle elle range ses cours d’Economies qu’elle ne révise pas, et je vis Till regarder mon sac d’un air sceptique, mais il ne dit mot, et nous rentrâmes à la maison sans qu’aucune autre question sur mon sac plein de billets roses soit posée.
Le lendemain, vers quatre du matin, je me levai sans bruit du lit de Till, où il ronflait encore, et appelai un taxi. Je fis sommairement ma valise, attrapai le sac à euros, et laissai sur mon oreiller ce mot pour Till :

« Ne t’inquiète pas si tu ne me trouves pas. Je suis quelque part et je vais bien. Je t’embrasse. Richard. »

Je ressentis l’envie de l’embrasser mais la peur de le réveiller m’en désista. J’eus un sourire en l’imaginant se lever avec sa mauvaise humeur de vieil ours mal léché – c’est que j’avais fini par l’apprécier comme ça aussi, au fond. Mais voilà : j’avais tout planifié depuis une semaine – c’était aujourd’hui ou jamais.
Le taxi me conduisit à l’aéroport de Schwerin où j’embarquai pour mon vol aller simple sans me soucier du regard intrigué des gens alentour. Personne ne me reconnut ; personne ne savait où j’allais. Et c’était tout aussi bien ainsi.



EPILOGUE

Tampon de la Poste : en provenance de Sydney.

Cher Till,
Je t’écris cette lettre avant tout pour te rassurer. Te connaissant, tu es en train de remuer ciel et terre pour me retrouver. Je ne veux pas que tu te tues à la tâche pour rien. Sache que je suis parti, et que je ne reviendrai pas.
Non, je te ne dirai pas où je suis. Rien ne sert de me chercher via le tampon de la poste non plus. Je serai déjà ailleurs quand tu arriveras ici. Je bouge souvent ; change de pays dès que l’envie me prend, ou dès que les gens commencent à repérer le monstre hideux que je suis. J’erre dans les grandes villes surtout, sauf celles où je risque de croiser des connaissances – au final, toutes sauf Berlin et NYC – car même si le regard des autres me fait flipper, il me rassure aussi. Je me sens bien dans les grandes villes – je m’y sens anonyme.
Je prends l’avion avec un faux passeport (oui, j’ai tout prévu, Till – tu me connais) ou je me contente du train. Je loge dans les hôtels miteux où on me laisse mentir sur mon identité. J’évite les jeunes qui pourraient connaître Rammstein et savoir qu’on me recherche. Je vis dans le dénuement ou presque – il n’y a que mon iPod qui me rappelle nos moments de gloire, ta voix rythmant mes pas lorsque je rôde, claudiquant, dans les quartiers sombres.
Je ne sais pas encore combien de temps je pourrai tenir avec l’argent que j’ai emporté, et pour être franc, ça m’est bien égal. Quand je n’aurai plus d’argent, je me laisserai crever. Comme un vieux chien abandonné sur la route. Tu auras remarqué, si tu as déjà eu l’idée de faire vérifier les mouvements sur mon compte pour me retrouver, que je t’ai donné procuration dessus. Fais ce que tu veux de l’argent qui reste – donne-le à Khira et Merlin s’ils en ont besoin – ou plutôt, s’ils le veulent. Je ne viendrai pas le réclamer.

Je n’ai pas envie qu’on me retrouve car je souffre en ta présence – je ne me sens plus moi-même parmi mes proches – non pas parce que vous m’êtes étrangers, mais parce que c’est moi qui me sens méconnaissable auprès de vous tous.
S’il te plaît, oublie-moi. Je sais que c’est peut-être trop de demander, mais j’en ai besoin. Tu as été formidable ces derniers mois, Till, je te jure que je m’en souviendrai toujours. Tu as été le meilleur ami, le père dont j’avais cruellement besoin – l’amant aussi, même si ce fut un peu court…j’en suis désolé. Pardonne-moi ça, même si tu ne le veux pas. Je sais combien tu t’es donné de mal – tous les efforts que tu as faits pour moi, pour me remettre sur pieds. Ce n’était pas en vain, crois-moi ! C’est juste que…

Vois-tu, je veux qu’on se souvienne de moi comme j’étais avant – je veux rester la rock star qui brillait sous les projecteurs et derrière les lances-flammes, comme un soleil ardent – qui s’embrasa un jour sur scène – et qui en mourut.
Même si ce n’est pas vrai.
Je t’en prie, Till, oublie-moi pour toi.
Je t’aime.

Richard.

NB:
[1] glühend : ardent, brûlant en allemand

8 commentaires:

  1. WOW!!!

    c'est tout ce que j'arrive à dire...

    et puis en fait non :) ... :

    Richard qui part, j'étais devans mon écran à penser "NON! Pas ca!" c'est si triste comme fin, mais en même temps serein... la manière dont Richard prend le large, sans demander son reste (mais quand même avec une telle somme, l'argent c'est vrai, les R+ en ont plein les fesses!)ca le représente si bien! Il aurait pu s'accrocher avec Till, mais que pour tomber on ne sait quand, ce qui fait qu'au final, il veut juste mourir en se disant qu'il sera pour toujours la rockstar, le playboy aux yeux des autres. Je ne peux qu'approuver ce choix, moi qui rêve d'être aussi connue dans un groupe, si ce genre de chose venait à m'arriver, je ne sais pas ce que je ferais, mais je sais que la dernière image que j'aimerais laisser est celle de la rockstar.

    Plus courte que Vertrau mir.. mais aussi adorable à lire, comme toujours!

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  2. Wouaw ! La fin est assez triste ... Mais je l'aime quand même ^^ Je trouve que pour terminer une nouvelle, écrire sous la forme d'une lettre est une très bonne idée. Les sentiments de Richard sont ainsi plus appronfondis, on comprend mieux la raison de ce départ brutal ... J'adore tout particulier ce passage : "la rock star qui brillait sous les projecteurs et derrière les lances-flammes, comme un soleil ardent – qui s’embrasa un jour sur scène – et qui en mourut." Je trouve ça très bien formulé !
    En tout cas ça a été un réel plaisir que de lire cette histoire ! Comme toutes les autres d'ailleurs ! ;p

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  3. Youhou j'aime ça!! cette fin me plait beaucoup! J'avoue quand il est parti avec son argent je croyais qu'il allait se tuer ou quelque chose comme ça, mais il erre... en attendant de se laisser mourir... Et Till reste là à souffrir!!!! Grrr c'est que tu aimes le faire souffrir ce Till!!! snif!
    Sinon, je trouve la lettre très belle, on se mets très facilement à la place de Richard et ça c'est assez surprenant: tu as mis de côté ta réticence envers Richard et oen résultat, on aime bien le personnage que tu en as fait!

    Bref, belle et triste fin pour une fiction belle et triste aussi!

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  4. Super.
    J'adore la fin de ton histoire =)
    En plus le fait que çe soit une lettre à la fin m'a vraiment étonné mais cela convient parfaitement.Znfin bref j'adore ^^

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  5. Yeah!!! Since you leave big comments, I won't be shy!!! This one makes me feel anxious about the tour... And all the fire XD.

    More seriously, this is probably the saddest of all your fictions. The way you describe the pain of Richard, the smell of his skin, how bad he feels when they wake him up at the hospital... I felt bad! The romance between Till and Richie, I have to say I saw it coming when Till was still coming to help when Richie was being a bitch XD... And the end! Boy I didnt see that coming! It's really sad to see Richard leave like that... I saw the band live when I was young in 2001 (I was 10 years old, my father took me believing I had to see that haha!) And from what I remember (for exemple the fire coming out of his guitar, I'll never forget that!) he really is born to be a rock star... I guess he would do something around those lines in real life!

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  6. L'histoire commence et se termine en beauté et le personnage de Richard est acrochant.

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  7. Toujours l'ours qui s'en prend plein la gueule haha ! Tu fais ressortir son côté sensible justement, c'est ce que j'aime dans tes fics. Violent, qui ne réfléchit pas avant d'agir, passionné, imprudent,...

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  8. C'est triste ... Mais c'est beau ! J'aime particulièrement cette phrase "e veux rester la rock star qui brillait sous les projecteurs et derrière les lances-flammes, comme un soleil ardent – qui s’embrasa un jour sur scène – et qui en mourut." !
    En tout cas, j'étais à 1000 lieux d'imaginer lire un jour une fiction où un membre de Rammstein serait gay mais alors là, deux, et ensemble, c'était un défi osé mais réussi ! Bravo, je suis fan = )

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Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...