jeudi 3 septembre 2009

Glühend - 3

3

C’est des semaines plus tard que je compris toute l’ampleur de ce Oui forcé. Mon existence en fut à jamais brisée. Je n’ai pas seulement perdu ma jambe droite ; je suis devenu un monstre cloué dans un fauteuil roulant. Je me souviens encore du jour où ils retirèrent les bandages autour de ma tête. Je voulais un miroir et tout le monde refusa. Alors j’insistai en piquant une crise effroyable et en les empêchant de me toucher jusqu’à ce que le miroir tant réclamé me fût présenté. Je l’arrachai des mains du médecin et le tins fermement de ma seule main de libre pour être sûr qu’on ne me l’arrachât pas au moment opportun. Le médecin déroula lentement les bandes, puis enleva doucement les pansements. Avec la minutie du gars qui se sentait déjà coupable et qui avait déjà préparé son discours sur les progrès de la chirurgie esthétique. Mais je ne l’écoutais pas. Sa voix et celle de mes proches présents s’étaient évanouies comme lorsqu’un claquement soudain agresse vos tympans : le silence s’ensuit même si la salle est bruyante à souhait.
Peau déformée comme de la cire fondue. Un œil tombant, tout comme une commissure de mes lèvres. Arcade sourcilière gauche à laquelle il manque le trois quart des poils. Ô sacrilège ! Même une partie de mes cheveux a disparu ! Je suis devenu Elephant Man – en plus effrayant. Alors que le médecin m’expliquait comment on pouvait rattraper ça en usant de techniques à la Frankenstein, j’observais mes yeux se gorger de larmes. Je sentis la grosse main de Till sur mon épaule ; je vis Khira me cacher son visage sur l’épaule de Merlin, toujours grimaçant ; et Claudia…oh ! Claudia était aussi impassible qu’un bloc de glace, figée dans l’acte de mettre un des nombreux bouquets de fleurs dans un vase.
‘Tiens-moi ça !’
Till sursauta et saisit le miroir que je lui tendais. Je touchai de mes doigts tremblotants ma peau désormais insensible. On frappa à la porte. Face à mon silence obstiné, Claudia alla ouvrir aux nouveaux visiteurs : Paul, suivi d’Emu, Schneider, Flake et Oli. Sur le coup, je me mis à rire : un rire affreusement glauque, sortant de mes lèvres non coordonnées comme le cri du diable.
‘Vous avez fait exprès ?’
‘Quoi ?’ demanda Paul, interloqué et cherchant la réponse à mon mystère en regardant Till.
‘Vous êtes tous entrés par ordre croissant – du plus petit au plus grand !’
Et je gloussai à nouveau. Till baissa le miroir et me demanda si je me sentais bien.
‘Bien sûr que je vais bien !’ m’exclamai-je en colère. ‘Et lève le miroir !!’
Mon reflet hideux était toujours là et sa vue me redonna presque le vertige. Je l’inspectai encore avec minutie, à la recherche de l’harmonie d’avant, mais n’y voir que mes larmes s’écouler sur mes joues fondues sans que je pusse sentir la moindre trace d’humidité figea la boule qui remontait jusqu’à ma gorge. J’entendis Khira demander au médecin si mon comportement était normal.
‘Oui, il arrive que certains patients réagissent au trauma en passant par plusieurs états émotionnels, de la détresse à la colère jusqu’au rire, en quelques secondes…’
‘Je ne suis pas en colère !!’ lui crachai-je à la figure.
Tout le monde recula d’un pas ou presque. Ils n’osaient pas émettre le moindre son. Ils se tenaient tous là, avec leur regard inquisiteur, à surveiller ma prochaine réaction.
‘N’empêche…maintenant, mon strabisme passe totalement inaperçu,’ plaisantai-je dans un sanglot.
‘Ecoutez, Monsieur Kruspe, votre désarroi est compréhensible et…’
‘Ta gueule !’
‘Hey ! Richard, calme-toi…’ marmonna Till.
‘Mais je suis calme !’ m’énervai-je. ‘Et qu’est-ce que vous voulez tous ?! Ma photo peut-être ? Sortez !’
‘Papa…’
‘Dégagez !’
‘Richard…’
‘J’ai dit : dégagez !’

***

Ils ne se firent pas prier. Une fois seul dans ma chambre, je retirai le drap qui me couvrait d’un geste brusque. Ma peau était partout pareille : de la cire jaunâtre, difforme – comme un gâteau mal cuit. Mon bras droit était coincé dans un plâtre énorme. Et puis ma jambe droite coupée juste au-dessus du genou, le morceau manquant disparu pour toujours, ou enfermé dans le coffre réfrigéré d’une morgue lugubre, où on lui ferait subir des expériences illégales.
Oui, l’espace d’un instant, je crus devenir fou, mes sanglots s’entrechoquant dans ma gorge comme une horde de termites – alors je pris le miroir et le balançai contre le mur où il se fracassa dans un tintement que j’accompagnai de mon cri désespéré. Puis ce fut au tour du téléphone, de la télécommande, de la carafe d’eau de finir HS contre le mur, toujours dans un bruit différent, et avec ma voix pour compléter la symphonie. Le médecin et un infirmier déboulèrent dans la chambre et me sommèrent de me calmer. Très vite à bout de forces après tant de jours de coma, je m’allongeai pour fixer le plafond d’un regard larmoyant, insensible aux mots compatissants de mes proches tout autour.

***

‘Votre sympathie me fait vomir.’
Voilà comment j’accueillis les bouquets de fleurs, les mots gentils, les corbeilles de fraises que tous ceux qui disaient m’aimer m’apportaient les jours suivant la découverte de l’ampleur de mon accident.
‘Epargnez-moi vos condoléances, ça vaudra mieux.’
fut une autre de mes répliques. Aux discours du médecin, je réservai :
‘Allez donc charcuter quelqu’un d’autre !’
Non, je n’écoutais pas quand on me parlait de chirurgie réparatrice. Ni quand on me disait que j’avais gardé ma charmante voix. D’ailleurs, je soupçonnais cette dernière phrase d’être ironique. Oui, j’étais devenu exécrable avec tout le monde. Je me plaignais de tout. Je les critiquais sur tout.
‘Et ça te sert à quoi d’être aussi sarcastique ?’ me demanda Schneider le dernier jour où il vint me voir.
Apparemment, il n’appréciait pas ma remarque sur son costume pourri.
‘Tu te sens mieux après, c’est ça ?’
‘Quoi ? Tu veux que je pleure sur ton sort, Monsieur le Divorcé ? Crois-moi, j’ai assez du mien.’
‘Ecoute, Richard : je peux comprendre que ça te fasse un choc…tout ça…mais…putain ! ça fait un mois que tu es là, que tu refuses de sortir, que tu gueules sur tout le monde, que tu fais pleurer ta famille, que…que tu croupis dans ta merde !’
‘Ah ? Tu dis que je pue maintenant. Sympa.’
‘Oh ! et puis, tu fais chier ! Je reviendrai quand tu auras un peu plus de respect !’
‘Ouais, c’est ça ! Dégage !’
Après Schneider, ce fut au tour de Merlin de ne plus venir me voir. Puis Emu. Oli. Flake. Claudia. Paul. Même Khira n’était plus revenue après ma remarque sur sa prise de poids.
‘Mais c’est vrai qu’elle est grosse !’
Till leva la tête de son livre et me jeta un regard épuisé.
‘Tu sais très bien qu’elle prend du poids quand elle déprime,’ soupira-t-il.
‘Ah ouais ? Elle s’est encore fait larguer ? Pfff ! Quelle conne !’
‘Non.’
Je le vis se remettre à lire.
‘Bon, tu comptes me dire pourquoi elle déprime alors ? Ou je dois attendre que tu ais fini de déchiffrer ta page ?’
‘Elle déprime à cause de toi.’
‘Ah, bien sûr! C’est facile de rejeter la faute sur moi maintenant ! Tout le monde fait ça, en même temps ! Je devrais avoir l’habitude.’
Till soupira.
‘Utilise ton doigt pour lire, ça ira plus vite ! Et puis, c’est quand que tu te fais un lifting ? Parce qu’avec tes cernes, t’as vraiment l’air de venir d’outre-tombe.’
Till ne réagissait pas à ce que je disais. J’avais beau être méchant avec lui, c’est comme s’il s’en foutait.
‘Hey ? Tu réponds, oui ou merde ?’
‘Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?’
‘Je sais pas moi !… T’as qu’à dire…que toi et Paul, vous faites la paire au Club des Ridés !’
Till ignora ma remarque et continua à lire. Je sentais qu’il n’avait qu’une envie, c’était de me balancer en pleine face que moi aussi, j’aurais bien droit à être membre de ce club, avec carte de fidélité spéciale pour clients nécessitant des traitements pas encore inventés. Mais il se taisait et restait docilement assis quatre heures par jour sur le fauteuil près de la fenêtre de ma chambre d’hôpital. Au bout des quatre heures, il regardait sa montre et me demandait si je voulais qu’il restât, même si parfois, il arrivait des jours où on ne s’échangeait pas un seul mot.
‘Ouais, vas-y ! Tire-toi !’
Et il insistait toujours une deuxième fois.
‘Va donc baiser ta gonzesse – moi, je vais me branler tout seul,’ lui répliquai-je un jour, pour voir.
‘On sera deux.’
Till enfila son manteau.
‘Quoi ? Maria t’a largué ? Ha-ha ! Quel con ! Et tu l’as trompée avec qui cette fois ?’
‘Personne. Je dors à l’hôtel depuis que tu es hospitalisé.’
‘Ouais, ben…’
Savoir qu’il foutait sa vie de couple en l’air pour moi me fit hésiter une fraction de seconde. Mais pas assez.
‘…ben, tu peux rentrer dans ta campagne ! ça m’énerve de voir ta sale tronche tous les jours !’
‘Je sais. A demain.’

[la suite? ici: http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/09/gluhend-4.html ]

5 commentaires:

  1. Quel mauvais ce Richard.. Enfin j'dis ça mais je pense qu'on réagirait pratiquement tous pareil.. ><

    Mais que va-t-il se passer ensuite ? =O

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  2. Qu'est-ce qu'il est exécrable Richard ! Un vrai connard, sérieusement ! (J'pensais pas dire ça un jour vu que je suis une de ses admiratrices, oui je l'avoue xD Mais en même temps, il s'agit là d'une fiction ^^) Lui qui fait tellement attention à son image, là il est vraiment dans la merde.
    Je ne suis pas étonnée que plus personne ne veuille le voir. Till est vraiment un excellent ami. Même en se faisant traiter comme une merde, il reste toujours présent pour Richard.

    La suite ! La suite ! :D

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  3. Waw t'as le don de nous faire passer par toutes les émotions XD
    D'abord on est compatissant pour Richard, puis on se fout de sa gueule quand il passe pour une vrai folle, et enfin on le déteste... enfin moi personnellement je le déteste pas ^^ C'est une carapace qu'il utilise je pense, et Till l'a bien compris. Ce Till... quel héro ^^ Le pauvre aussi...
    Hâte de lire la suite!

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  4. pauv' Riri ! Je me demande bien où tu vas nous emmener cette fois ! Par contre si tu pouvais me tenir au courant des suites ça m'arrangerait, car la mise à jour de ton blog ne se fait pas tout de suite chez moi, du coup j'arrive après la bataille !

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  5. chaque fois que je lis, je sens à quel point il est misérable, et à quel point sa situation est à en chialer.
    Je me demande ou tout ca va nous mener, mais je crois que tu as tout ca en tête.
    Till le connais par coeur, voilà pourquoi il reste alors que tout les autres ne le voit plus.
    J'aimerais bien esseyer de voir ce que sera la suite, mais voilà je reste dans le brouillard! vive les fics qui ne révèlent pas l'intrigue en 2 secondes!

    ah et au fait j'ai écouté un podcast ou il y avait une entrevue avec RZK..

    la journaliste demande "Pussy, what's that about?"
    Et RZK répond:" Its about fucking..." comme une évidence... il m'a bien fait rire dans cette entrevue ^^

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Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...