Chapitre X –
Rien à foutre !
C’est le cœur blanc de ta souffrance
Qui est de ma cause la lance
Ma lance m’élance, épanche ma rage
Mes pulsions irréfléchies, dignes et sauvages
A la famille d’Adélaïde, qui se demandait que faire de
l’appartement, et surtout des impayés, je proposai de prendre en charge le
tout. Je payai le reste du crédit et versai une somme intéressante d’avance en
liquide, et ils héritèrent du lieu tout en payant les factures, les taxes et
l’assurance avec la somme versée pendant que j’occuperais les lieux pour une « petite
période », leur dis-je. Ça me permettait surtout d’avoir un pied à terre
et d’éviter de laisser des traces par mes passages répétés à l’hôtel ; et même
si certains de la fratrie, seuls héritiers directs, trouvaient cet arrangement
bizarre, d’autant plus qu’ils me connaissaient seulement de réputation et
avaient une vague idée de mon passage en prison, ils étaient bien contents de
s’épargner quelques conflits et tracas concernant un partage d’héritage qu’ils
disaient trop précoce. Il faut dire aussi que, de toute évidence, Adélaïde leur
avait caché qu’elle avait acheté ce petit appartement parisien, ce qu’ils la
pensaient incapables de faire, et les théories allaient bon train concernant la
manière dont elle avait pu réunir l’apport.
Le groupe, s’inquiétant de mon silence, avait lancé un avis
de recherche malgré l’injonction que j’avais faite à tous, à savoir de me
foutre la paix pendant six mois. Les flics me pêchèrent quelques jours après
les funérailles d’Adélaïde, alors que je ramassais mes affaires à l’hôtel.
‘Bonjour,
Monsieur. Police nationale. Voulez-vous bien nous suivre ?’
‘I
don’t understand…’ leur fis-je de ma voix enrouée, en poussant la porte.
‘Ah? Heu… Ahem. Heu… Your family
ask where you gone.’
‘Here.’
‘Mm?’
‘I’m here. What do you want?’
‘Your family worry – heu – about
you – where you gone.’
‘Oh go fuck yourself.’
‘Heu… what?’
Je passai devant eux en les ignorant. Ils me gavaient déjà.
‘Please, mister!’
‘WHAT?… Sir.’[1]
Ils avaient reculé d’un bond, sûrement surpris par ma voix
soudain tonitruante. L’un d’entre eux n’apprécia pas ce ton et voulut
intervenir mais son collègue lui saisit le bras. Il sortit de sa poche puis me
montra la copie d’un avis de recherche en allemand, traduit en français
en-dessous, et m’expliqua dans un anglais encore plus approximatif que le mien
que je devais les suivre pour répondre à quelques questions. J’étais loin d’avoir
envie d’être encore traîné au poste – ces types-là me donnent tous désormais de
l’urticaire – mais je pensai que le meilleur moyen pour qu’ils me lâchassent la
grappe, c’était de leur expliquer aussi calmement que possible que j’avais
juste besoin d’un break. Or, leur interprète français-allemand n’était pas
disponible. J’inventai donc un prétexte assez bête et simple à faire
comprendre.
‘So... you come to Paris for see a
girl?’
‘Yeah, I came to Paris to see a
girl.’
‘A girlfriend?’
‘Yeah.’
‘Your family and friends, zey don’t
know?’
‘Hm.’
‘You don’t want say zat to zem?’
‘Hm.’
‘D’accord,
d’accord.’
Etrangement, l’excuse de la liaison douteuse avec une
Française, que mes amis et ma famille n’approuveraient pas, passa comme une
lettre à la Poste malgré mon âge, mon statut et l’absurdité de l’excuse. Mais
pourquoi m’en plaindre ? Après tout, j’étais majeur et vacciné – j’avais
le droit d’aller où bon me semblait, n’en déplût aux membres du groupe et à
l’équipe de management, celle-ci bien plus inquiète qu’eux de mon absence, à
mon avis.
‘You see, mister, we can’t do
nothing, us, but it’s better to say your family because zey worry...’
‘OK,
OK. Can I
go?’[2]
‘Yes, mister.’
Je n’allais pas demander mon reste. Je pris un taxi pour me
rendre directement dans l’appartement d’Adélaïde où, après une mauvaise nuit, je
m’effondrai sur son canapé.
A la question Que faire? je me retrouvais sans voix.
***
Quelques jours plus tard,
alors que je revenais d’un énième tour sur les quais de la Seine pour chercher
le courage, l’inspiration ou tout autre grand concept qui m’avait depuis
longtemps fui, trois types cagoulés, avec des battes de baseball, sortirent
d’une fourgonnette et se jetèrent sur moi. Mon caractère morose avait annihilé
mes réflexes et je me retrouvai à terre en une clef de bras. Je ne sais plus
combien de temps dura le passage à tabac. Les types n’émirent aucun mot et se
contentèrent de me rouer de coups, méthodiquement, l’un après l’autre, jusqu’à
me laisser inconscient sur le trottoir.
Lorsque je repris connaissance, j’étais dans l’appartement
d’Adélaïde ; Ariane était là, ainsi que le couple gay. Ils se chuchotaient
des trucs en français. Ils m’annoncèrent qu’ils m’avaient trouvé devant
l’entrée, arrivé là pendant la nuit ils ne savaient comment (et moi non plus), qu’ils
avaient déjà contacté un médecin, que je ne devais pas bouger car j’avais
probablement quelque chose de cassé. Quelques heures plus tard, le médecin
insista pour qu’ils me conduisissent à l’hôpital et j’appris que j’avais deux
côtes fêlées, le nez cassé, des contusions un peu partout et probablement
beaucoup de chance d’y avoir survécu. Ça ne me convainquit pourtant pas de
rester à l’hôpital, d’autant plus après cinq heures d’attente aux urgences :
je me fichais bien de mon nez cabossé, tant que je pouvais respirer, et les
côtes fêlées, ça se gère : il suffit de faire attention en se levant. Sans
parler de ma résistance naturelle à la douleur. Ils essayèrent tous de me raisonner
mais rien n’y fit : je retournai dès que possible à l’appartement
d’Adélaïde, où je me terrai plusieurs semaines, pendant lesquelles Ariane prit
l’habitude d’y passer me voir.
Christophe et Guillaume faisaient les courses, Ariane
cuisinait pendant que je me déplaçais comme un vieil éclopé du canapé au lit,
du lit aux toilettes et des toilettes au canapé. Ils chuchotaient toujours
entre eux, et je commençais à me douter qu’ils s’interrogeaient sur ma
présence. Et comme moi-même non plus, je ne savais pas très bien ce que je
foutais là, j’étais bien dans l’incapacité de leur répondre. Je me contentais
de feuilleter les livres éparpillés un peu partout dans l’appartement.
Un jour, Ariane fit la remarque qu’il serait peut-être plus
« sympa » de répondre à mes messages sur mon iPhone. Si mes proches
s’inquiétaient sans relâche, c’est qu’ils devaient forcément beaucoup m’aimer,
dit-elle.
‘Des tas de gens m’aiment sans raison ; ça n’a pas beaucoup changé
ma vie de le savoir,’ lui répliquai-je en anglais puis en allemand puisqu’elle
comprenait les deux langues.
‘Alors pourquoi les fuir ?’
‘Je ne les fuis pas. Je réfléchis à un moyen.’
‘Un moyen de faire quoi ?’
A cette question, je
restais généralement silencieux. Ce jour-là fut différent.
‘A un moyen de la venger. De me venger.’
Ariane lâcha
l’assiette qu’elle lavait et se tourna vers moi, pas vraiment interloquée, ni
même sceptique. Puis elle reprit la vaisselle.
‘Alors qu’est-ce que tu fous encore à Paris ? Il habite sur la
Côte d’Azur.’
[1] ‘Je ne comprends pas.’
‘Ah ?… Votre famille demande où vous êtes passé.’
‘Ici.’
‘Mm ?’
‘Je suis ici. Qu’est-ce que vous voulez ?’
‘Votre famille s’inquiète… heu… à votre sujet… de
savoir où vous êtes passé.’
‘Oh, allez vous faire foutre !’
‘Quoi ? […] S’il vous plaît, monsieur !’
‘QUOI ?… Monsieur.’
[2] ‘Donc…vous être venu à
Paris voir une fille.’
‘Ouais, je suis venu à Paris pour voir une fille.’
‘Une petite amie ?’
‘Votre famille et vos amis ne sont pas au
courant ?’
‘Mm.’
‘Vous ne voulez pas leur dire ? […] Ecoutez,
monsieur, nous, on ne peut rien faire, mais ça serait mieux de le dire à votre
famille parce qu’ils s’inquiètent.’
‘D’accord, d’accord. Je peux y aller ?’
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Trêve estivale oblige, je vais faire une pause dans l'écriture. Les publications devraient reprendre en septembre.
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