mercredi 30 septembre 2009

Paul se confie à Elegy!


Malheureusement, j’avais raison. Les lecteurs qui me suivent savent de quoi je parle. Je viens de lire l’interview de Paul dans le nouvel Elegy (n°61).
Voici donc un petit résumé :

Paul y précise que l’année sabbatique qu’ils ont prise, chacun décidant de ne rien faire, de voyager ou comme Richard de faire un disque, était plus que nécessaire : pour Reise, Reise et Rosenrot, le groupe avait été forcé de composer et enregistrer en petits groupes pour éviter les conflits. Recommencer à travailler tous ensemble « était extrêmement difficile au début car chacun avait une personnalité et un style encore plus affirmé qu’auparavant… Cette fois, nous avons choisi de composer avec ces frictions, les transformer pour faire quelque chose de créatif. » (bla-bla-bla – non, le plus important, c’est ça :)
Le journaliste a l’idée judicieuse de demander à Paul ce qu’il a fait de son année sabbatique. A ma surprise, Paul l’en remercie chaleureusement (car c’était le seul journaliste qui lui posait cette question de la journée !) et il lui avoue ceci : « D’un seul coup, je me suis retrouvé face au néant, tout s’arrêtait. C’était vraiment dur. Bien sûr, la décision de prendre une année sabbatique était unanime, mais j’avoue en avoir beaucoup souffert. J’ai fait une dépression et je me revois en train de parcourir Berlin à la recherche d’une certaine gaieté. » Paul précise qu’il doit beaucoup à sa femme d’avoir eu l’idée de voyager en famille en Californie (on comprend mieux pourquoi il voulait enregistrer là-bas !) et Hawaï, ainsi qu’à Oli qui lui a fait découvrir la planche à voile, qu’il ne quitte plus.
A part ça, rien de nouveau, à part que selon Paul, le titre de l’album semble anodin, que c’est voulu, mais attention aux apparences. « Nous sommes connus pour être provocants et c’est une nouvelle fois le cas. Par exemple, imagine la photo d’une explosion atomique avec le titre de l’album noté en dessous ? Vois-tu où je veux en venir ?… Nous préférons les choses plus réfléchies avec des significations à plusieurs niveaux. »
(Mon petit doigt me dit que je n’ai pas tort de substituer le mot ‘Liebe’ à ‘Sex’ par exemple… mais passons !)
Paul enfin signale en plaisantant que le côté sombre de Lifad est « un cadeau bonus pour les fans » car ce n’était pas leur intention ; il compare Rosenrot à l’éducation d’un enfant qui ne suivrait pas la route que ses parents lui destinaient ; et il précise qu’il n’était pas étonné que la tournée soit sold-out si vite (le journaliste dit « en quelques heures », mais bon, c’est un peu poussé, là !)

Petite anecdote : Paul demande à la fin de l’interview les 3 chansons préférées du journaliste car le groupe « réalis[e] un petit sondage » (haha !) et dans la rubrique du Crobard Rammstein et leurs éditions « digi-pack collector » sont caricaturés avec peu de finesse mais beaucoup de justesse !(j’en ris encore !)

dimanche 27 septembre 2009

Glühend - 8

8

Les semaines se succédèrent et il ne revenait toujours pas. Je passai mes journées à osciller entre crises de larmes et crises de fureur. Je me rendis compte que j’avais tout perdu : l’amitié de tous mes proches, l’amour de tous mes enfants. Till était le seul qui me supportait encore, et lui aussi crut bon de me laisser dépérir dans mon trou.
« Mais pourquoi ? Pourquoi fallait-il que tout ça arrive à moi ? Je sais que j’ai été égoïste dans ma vie, parfois un vrai tyran – un mari pas très fidèle, un père pas très présent, un frère et un fils un peu indigne, et surtout un ami difficile, mais pourquoi ? Pourquoi me punir ainsi ? »
Quand je regardai mon reflet atroce dans le miroir, j’en vins à ne même plus reconnaître mon regard désespéré. Je ne vis qu’une loque. Une loque humaine qui réclamait la fin tout de suite.
Je roulai jusqu’à la cuisine, ouvris tous les tiroirs à la volée, tombai sur mon plus grand couteau. Je vis à nouveau mon reflet hideux sur la lame – le monstre au regard haineux – avant de me taillader les veines du poignet comme un sauvage et couvrir de sang ce reflet que je ne voulais plus jamais revoir. Mes sanglots étouffèrent la douleur ; mes cris jaillirent pour s’éteindre au plus vite. Avant de perdre connaissance, je fis de même avec l’autre poignet, puis mes deux cuisses – n’ayant aucune idée de l’endroit où pouvaient se trouver les veines, je tailladai l’intérieur de ma cuisse gauche tandis que je mutilai ma cuisse droite en y enfonçant la lame jusqu’à l’os. Je ne voulais surtout pas être réveillé un jour – je voulais en finir une bonne fois pour toutes ! Quitte à les obliger de m’amputer le reste de ma jambe perdue pour me rendre présentable dans mon cercueil.
Le couteau m’échappa des mains, atterrit dans la mare de sang, et je me rendis compte que je n’avais plus la force de me baisser pour le ramasser. Je calai donc mon dos sur le dossier de mon fauteuil et attendis sagement la fin : les bras pendant par-dessus les accoudoirs, le regard rivé au plafond, la respiration saccadée.

***

‘Quel con !’ s’exclama une voix grave.
‘Dis pas ça…il était…il est désespéré. Ça peut se comprendre,’ fit une voix masculine mais plus aiguë.
‘Faire ça, c’est…c’est inadmissible !’ reprit la voix grave. ‘Il n’a pas pensé à ses enfants ?! Il…’
‘C’est vrai mais…’
‘C’est impardonnable de faire ça !’
‘Schneider, arrête !’ gronda la voix de Till, que je pourrais reconnaître entre mille.
‘Mais…’ protesta Schneider.
‘Oh, vous allez pas recommencer,’ soupira Paul.
La porte s’ouvrit.
‘Il est toujours pas réveillé ?’ demanda la voix de Khira, presque éteinte.
‘Non, désolé…’ répondit Paul.
‘Mouais…ben, je repasserai demain alors,’ marmonna Merlin.
‘Merlin, attends !’ s’exclama Claudia.
La porte claqua puis s’ouvrit à nouveau.
‘Attends-moi, Merlin !’ recommença la voix de Claudia, plus éloignée.
Paul soupira. D’autres pas approchèrent.
‘Pas réveillé, je suppose ?’ demanda un Flake hésitant.
‘Non. Où est passé Oli ?’ demanda Paul.
‘Je l’ai retrouvé devant la machine à café. Il m’a dit qu’il avait besoin de faire un tour pour respirer,’ l’informa Flake.
‘Il est dehors ?’ demanda à nouveau la voix inquiète de Paul.
‘Oui, sur le parking.’
‘Je vais aller le voir, alors.’
J’entendis Paul se lever et la porte se fermer. Je crus entendre Schneider marmonner quelque chose pour lui-même et Flake chuchoter.
‘Non, je vais rester,’ déclara Till.
‘Comme tu veux,’ fit Flake.
‘Khira, je te ramène ?’ demanda Schneider.
‘Non, je vais rester aussi.’
‘T’es sûre ?’
‘Ouais.’
‘Bon, ben…je vais y aller – je dois aller chercher ma fille.’
‘Je croyais qu’elle répétait avec son groupe ?’ dit Till.
‘Oui, mais le batteur est malade – elle vient de m’envoyer un texto pour me prévenir,’ précisa Schneider.
‘Ah, OK.’
‘Moi aussi, je vais y aller,’ dit Flake. ‘Pour le repas, ce soir, ça tient toujours ?’
‘Hm ? Ah, oui, oui,’ répondit Till.
‘Bien. Je vais prévenir Jenny.’
La porte s’ouvrit puis se referma. Je sentis la main moite de Khira prendre la mienne.
‘C’est quoi, le paquet ?’ demanda-t-elle.
‘C’est une prothèse,’ fit Till.
‘Une prothèse ?’
‘Oui. Pour remplacer sa jambe. Je voulais la lui offrir aujourd’hui pour son anniversaire, mais ce couillon…pff…’
Till renifla.
‘…mais ton père a préféré fêter son anniversaire autrement, on dirait.’
Khira caressa ma main en sanglotant. J’entendis Till poser quelque chose là où Paul était assis puis faire le tour du lit pour s’approcher de Khira.
‘C’est vrai ce que Claudia m’a dit ?’ demanda Khira.
‘Quoi ?’
‘Que c’est toi qui l’as trouvé tout nu dans le salon, au milieu d’une mare de sang ?’
‘Oui.’
‘Et il y avait beaucoup de sang ?’
‘Ecoute, ne t’inquiète pas : ton père et moi, on est O positif tous les deux. Les médecins lui ont transfusé mon sang dès qu’on est arrivés à l’hôpital, donc il y a pas à s’inquiéter. Ils ont pu recoudre toutes ses blessures et m’ont dit qu’il se réveillera dès qu’il aura assez de force. D’accord ?’
‘D’accord.’
‘Il va se réveiller. J’en suis sûr.’
La porte s’ouvrit.
‘Apparemment, Oli est parti,’ déclara Paul.
‘Ouais, je m’en doutais,’ fit Till. ‘Il doit être déboussolé et il n’aime pas le montrer. Il est sûrement rentré chez lui, ou parti faire du skate pour décompresser.’
‘Ouais, sûrement.’
‘Dis, tu pourrais emmener Khira boire un chocolat chaud ?’
‘Pas de souci.’
‘Non, je vais rester,’ répondit Khira.
‘Ecoute, ça sert à rien d’attendre comme ça,’ lui dit Till. ‘Tu sais que je te préviendrai dès qu’il se réveillera.’
‘D’accord,’ fit-elle d’une petite voix.
Elle lâcha ma main et se leva.
‘Un bon chocolat chaud pour toi, et moi un grand café, ça va nous faire du bien, tu vas voir. Je t’en ramène un aussi, Till ?’ demanda Paul.
‘Non merci.’
‘A tout à l’heure alors.’
‘Ouais, à toute.’
La porte se referma.

‘Je sais que tu es réveillé.’
J’ouvris les yeux et vis Till penché au-dessus de moi, le regard froidement inquisiteur.
‘Comment tu le sais ?’ demandai-je.
‘Je te connais depuis des années : je sais quand tu dors et quand tu fais semblant de dormir. En général, tu as la bouche ouverte quand tu dors.’
‘Tu me connais trop bien, on dirait,’ fis-je d’une voix désabusée.
Till avait le regard méchant.
‘Pourquoi t’as fait ça ?’ demanda-t-il enfin d’une froideur glaciale. ‘Si tu voulais vraiment en finir, tu te serais taillader le cou et c’était terminé. Au lieu de ça, tu t’ouvres quelques veines et tu attends qu’on vienne te trouver ! Tu cherches quoi ? Tu veux que tout le monde s’apitoie sur ton sort ? Tu veux faire pleurer Khira ? C’est ça que tu veux ?’
‘Pourquoi le cou ?’ demandai-je au bord des larmes.
‘Parce que dans le cou, il y a la jugulaire !’ s’écria-t-il. ‘S’ouvrir la jugulaire, c’est en finir en deux secondes et… !’
‘Je savais pas,’ murmurai-je.
Till secoua la tête et commença à faire les cent pas au pied de mon lit.
‘Je voulais vraiment en finir, tu sais…’
‘Mais pourquoi ??!!’
‘Tu sais pourquoi…’
‘Non, justement !’
‘Je t’aime…mais toi, tu m’aimes pas…sûrement parce que je suis trop moche…qui voudrait d’un monstre comme moi, de toute façon…’
Je regardai Till, devenu impassible.
‘…ou alors…je sais pas…tu m’aimes pas…pas comme ça…’
En séchant mes larmes, je vis les gros bandages autour de mes poignets, puis la perfusion par laquelle les médecins m’avaient sûrement transfusé son sang. L’idée d’avoir son liquide vital dans mes veines me procura à la fois une joie brûlante et une peine honteuse. J’étais fier de savoir qu’il avait fait ce geste pour me sauver sans poser de question, sans hésiter…mais j’étais aussi désespéré de devoir me contenter de son sang – alors que c’est lui que je voulais ! Son corps, ses lèvres, ses doigts – son regard posé tendrement sur moi.
Till vint s’asseoir à mon chevet.
‘Excuse-moi…j’ai réagi un peu trop impulsivement…la dernière fois.’
Je lui jetai un regard suppliant.
‘Je… Avec tes sautes d’humeur…je savais pas trop quoi penser de…de…’
‘De mon baiser ?’
‘Oui, voilà. J’avais peur…que…que tu sois dans ton humeur sarcastique et que tu fasses ça pour te moquer de moi.’
‘Tu m’aimes aussi alors ?’
Till me scruta du regard, comme pour chercher la preuve de ma sincérité. Sa main se mit à caresser ma joue et je n’avais plus qu’une envie : lui attraper le bras et le tirer vers moi. Il se pencha sur moi ; son visage s’approcha lentement du mien pendant que sa main partait sous les draps ; je plongeai mes doigts dans ses cheveux et humidifiai ma bouche avant de toucher ses lèvres. Alors que sa langue cajolait la mienne, je sentis mon corps s’embraser.

‘Heu…désolé de vous déranger…’
Till fit volte face. Paul était dans l’encadrement de la porte, visiblement très perplexe.

[Par ici la suite! http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/10/gluhend-9.html ]

vendredi 25 septembre 2009

Glühend - 7

7

Et pourtant !…
‘Bonne nuit.’
‘Merci. Rentre bien.’
Till acquiesça en marmonnant :
‘T’inquiète !’
Il ferma la porte de ma chambre. Mais il ne rentra pas à l’hôtel. Il resta dans mon salon, se prépara pour dormir en silence. Depuis deux semaines déjà, il s’installait sur mon canapé pour ronfler toute la nuit. Et il croyait encore que je ne le savais pas.
‘Till ?’ m’écriai-je au bout d’un bon quart d’heure. ‘Till ?!’
Till se précipita dans ma chambre.
‘Un problème ?’
‘Non. Je faisais un test.’
Till fronça le sourcils et prit sa mine renfrognée bien typique.
‘Tu rentres pas à l’hôtel ?’ demandai-je en souriant.
‘Si, si… J’allais partir.’
‘En caleçon ?’
Till baissa le regard vers ses jambes dénudées.
‘Bon, OK. Je…j’ai la flemme de rentrer en fait.’
‘Depuis deux semaines ?’
Till me dévisagea, comme une souris coincée par un chat plus malin qu’elle.
‘Heu… Si tu veux que je m’en aille…’
‘Non, ça va, tu peux rester. Mais tu sais, j’ai une chambre d’ami. Faut juste faire le lit.’
‘Ouais, je sais. Mais…comme elle est juste à côté de ta chambre, tu m’aurais entendu…’
Je me mis à rire et il gloussa timidement à son tour.
‘J’suis con, hein ?’
‘Ouais !’ l’approuvai-je.
‘Bon…ben, je vais faire mon lit.’
‘Attends ! Tu peux rester deux minutes ? J’arrive pas à trouver le sommeil.’
‘Pas de souci.’
Till vint s’asseoir à mon chevet et se mit à parler de mes draps. Je ne l’écoutais pas vraiment – je regardais surtout ses lèvres ; je crois qu’il me demanda si j’avais des draps en coton car il n’aimait pas mes draps en soie.
‘…ça coûte la peau des couilles et en plus, ça colle dès que tu transpires un peu. Les draps en coton, par contre, c’est agréable au toucher – et puis, c’est plus facile à laver !’
‘Mm.’
‘Alors ? t’en as ?’
‘Je sais pas. Je crois pas, non.’
‘Ah ! ça, c’est con. Je n’aime que les draps en coton. Faudra que je pense à en ramener de la maison…’
‘Mm.’
‘Maria n’a repris que les parures de lit-double, pas les simples…donc ça ira…’
‘Mm.’
‘T’es sûr que ça va ?’
‘Pourquoi ?’
‘On dirait que tu m’écoutes pas.’
‘J’ai un peu mal au crâne.’
‘T’as de la fièvre ?’
‘Je sais pas.’
Till se leva et posa sa main sur mon front pour vérifier ma température. Il était penché à vingt centimètres de moi et je ne pensai qu’à une chose…
‘On dirait pas.’
A une seule et unique chose. Mon cœur se mit à battre la chamade alors que la main de Till fuyait lentement mon front. Je me redressai d’un coup et attrapai son cou pour l’embrasser. Comme ça, sans crier gare. Ce baiser volé fit frémir chaque pore de mon corps, comme s’il n’attendait que ça depuis des mois. Je me sentis brûler de passion pour mon colosse et je fus littéralement sonné en le voyant me repousser fermement.
Till me lança un regard glacial avant de s’éclipser au plus vite. Deux minutes plus tard, j’entendis la porte d’entrée claquer. Et ce fut le silence le plus total…jusqu’à que je me misse à sangloter, me vidant lentement de toute ma rancœur, toute mon aigreur, toute la peine que Till venait de m’infliger.

[trop court? la suite ici: http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/09/gluhend-8.html ]

mercredi 23 septembre 2009

Glühend - 6

6

C’est à partir de ce jour-là que je compris les petits sourires – les clins d’œils. Les gestes presque tendres. Et puis, les silences gênés. Surtout les silences gênés.
Till n’était plus seulement l’ami serviable qui venait désormais trois fois par semaine pour m’occuper. Il était devenu l’homme que j’avais toujours refusé de voir en lui. L’homme qui depuis vingt-quatre ans déjà avait partagé mes peines et mes joies, mes ambitions et mes déceptions, mes envies et mes délires – mes amours aussi – ou plutôt, disons que c’est moi qui lui piquais ses gonzesses ; j’appréciais ses restes comme un chien qui croit toujours que ce qu’il y a dans l’assiette du maître est meilleur que les croquettes de sa gamelle. Je baisais ses copines en me disant secrètement que si Till avait aimé, j’aimerais aussi. De l’idolâtrie ? J’avoue : j’y avais longtemps cru. A mes yeux, Till se faisait Dieu : savoir presque tout de son enfance difficile me rapprochait de lui, et pourtant, il me semblait toujours plus cultivé, toujours plus intelligent, toujours plus fort que moi.
J’en étais venu à la conclusion que pour moi, Till était en fait le grand frère que je n’ai jamais eu – l’homme à qui je veux ressembler plus tard. Toujours plus tard. L’homme qui m’arrête dans mes conneries aussi – le seul qui avait réussi à me gueuler dessus assez fort pour me faire lâcher la coke…alors que nous avions tous les deux commencé à sniffer ensemble. Till partageait mes contradictions, mais il avait la réflexion nécessaire pour se contrôler – alors que moi, j’étais le penchant pulsionnel de notre duo – passionnel aussi – celui qui le poussait à accepter l’offre d’une collaboration avec tel ou tel groupe, jubilant secrètement de le voir ensuite me supplier d’y participer avec lui. C’est que Till m’avait choisi moi ! Moi ! C’est moi qu’il venait voir quand il avait des doutes concernant les paroles d’une chanson. Ou sa voix défaillante. Ou sa nouvelle copine. Ou sa gamine pré-pubère trop intéressée par les mecs…

***

Je me souviens qu’un jour (ça devait être pendant la tournée Mutter), Paul, complètement bourré, nous surnomma « le couple gay le plus cohérent qu’il eût rencontré ». Till explosa de rire tandis que je m’exclamai, outré :
‘Mais on n’est pas gays !’
‘Ah bon ?’ s’étonna Till.
Je le dévisageai dans le but de lui faire comprendre que personne dans le groupe n’était au courant de mes (més-)aventures homosexuelles remontant à ma vingtième année – et que c’était beaucoup mieux ainsi.
‘Il n’empêche…’ répondit Paul visiblement gêné, car pas assez bourré pour zapper la remarque de Till. ‘Heu…je disais quoi déjà ?’
Till s’affala sur le canapé, pris d’un autre fou rire.
‘Oh ! et puis, zut ! J’ai oublié ! Je vais me servir un autre verre, tiens !’
‘Pff !’ me contentai-je de dire.

Notre duo… Ou notre couple. Peu importe. L’ambiguïté avait été permanente.

***

C’est à partir de ce jour-là, disais-je donc, ce jour où il réussit à me sortir de mon appartement pour une petite ballade en ville, habillé des vêtements tout neufs qu’il venait de m’offrir, que je compris que j’avais pour Till des sentiments plus forts que ceux guidés par l’amitié ou la reconnaissance. Oui. J’aimais Till comme on aime une femme. J’aimais sa tendresse quand il m’aidait à prendre mon bain. J’aimais sa voix quand il m’assurait que je n’étais pas devenu le monstre que je voyais dans le miroir. J’aimais le léger bruit des pages de son livre, qu’il tournait pendant que je fumais ma clope. J’aimais le son de son stylo quand il marquait la liste des courses à faire pour la gamine que j’avais embauchée. J’aimais même ses ronflements quand il tombait de sommeil au bout d’une de nos longues conversations.
Un soir, il resta si tard qu’il m’aida à me pieuter, allant jusqu’à me border comme par réflexe, avant de s’endormir comme une masse, la tête posée sur l’espace où aurait dû se trouver ma jambe droite. Je ne pus m’en empêcher : je me redressai et portai sa tête pour la poser sur ma cuisse, appréciant la chaleur de sa respiration – véritable présence humaine et bénéfique qui finit par réchauffer mon cœur aigri. Lorsque je me réveillai le lendemain matin, je le vis toujours dans la position où je l’avais laissé – exceptée sa main, qui était partie entourée mon genou gauche pendant la nuit.
Les jours passèrent, et mes sentiments se précisèrent : je compris que l’admiration que j’avais toujours eue envers son corps musclé n’était pas de la jalousie voilée ; c’était une véritable attirance physique. Et penser à lui quand il n’était pas là réveillait en moi des désirs qui m’avaient quitté depuis mon accident.
Or, même si parfois, j’avais l’impression qu’il devait partager ces sentiments, qu’il ne serait pas à mes côtés s’il ne ressentait pas quelque chose de plus fort qu’une simple amitié, je ne pouvais me résoudre à faire le premier pas. Lui avouer ce que je ressentais avant que lui ne le fît – non, il en était tout simplement hors de question. Je suis beaucoup trop fier pour ça.

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mercredi 9 septembre 2009

Glühend - 5

5

Je sais pas trop comment ça commença – sûrement par ma mauvaise humeur habituelle, assaisonnée de la visite inopinée de Merlin ce matin-là, visite qui se solda par des cris de sa part et des grimaces de la mienne – mais je me souviens comment ça se termina. Till claqua la porte derrière lui en gueulant :
‘T’inquiète ! Tu me reverras pas de si tôt !’
Mais il revint, comme prévu, le jeudi suivant.

Depuis quelques temps déjà, je m’étais mis à boire, mais Till ramassait mes bouteilles de bière comme une bonniche bien docile et commentait peu mon état rarement sobre. Ce jour-là, par contre, c’est l’argument qui sortit de sa bouche et que je ne voulais surtout pas réentendre. Apparemment, il n’apprécia pas que je confondisse son rôle d’ami serviable avec celui de la gamine que je payais pour remplir mon frigo.
‘Tu veux des bières ? T’as qu’à descendre toi-même en acheter. Maintenant, viens prendre ton bain !’
‘Tu te fous de ma gueule ou quoi ?!’ m’emportai-je. (C’est que je ne lui demandai que de m’acheter le pack de bière que cette idiote avait oublié dans mes courses. Pas la lune !) ‘Comment veux-tu que je descende dans mon état ?’
‘Ben, tu prends l’ascenseur. C’est à ça qu’il sert : aux vieux pépés et aux handicapés comme toi.’
‘Connard !’
‘Quoi ? ça te fais chier d’admettre que tu es handicapé ? Pourtant, faudra bien que tu t’y fasses un jour.’
‘Va me chercher mon pack de bières !’
‘Non. Tu bois assez comme ça. Si t’as soif, y’a l’eau du robinet.’
‘Je ne bois pas trop si c’est ce que tu crois ! ça…ça m’aide à m’endormir…’
‘Sur ton fauteuil à côté de la fenêtre ? Tu crois que j’ai pas remarqué que ton lit n’est jamais défait, que tu n’as pas changé de vêtements depuis la dernière fois ? Voyons, Richard, tu crois que je vois rien ?’
‘T’es qu’une…une… une taupe !’
‘Une taupe ?’ ricana-t-il.
‘Oui, une taupe !! T’es aveugle et tu viens creuser ton trou chez moi alors que je t’ai rien demandé ! Voilà ce que tu es : une sale taupe !’
‘Mais bien sûr ! Bon, allez, viens prendre ton bain maintenant.’
‘Non !’
Je roulai en direction de ma chambre.
‘Hey ! Tu crois que tu peux me fuir ?’
Till me rattrapa.
‘Mais tu ne me laisseras donc jamais ?’
‘Non.’
‘Mais qu’est-ce qui t’arrive bordel pour que tu ne me lâches pas d’une semelle ?! Maria veut plus baiser avec toi ? C’est pour ça que tu viens me faire chier ?’
‘Maria et moi, on est séparés. Maintenant, tu viens prendre ton bain.’
Till saisit les poignets de mon fauteuil et me fit prendre la direction de la salle d’eau, mais dans ma tête, les méchancetés fusaient déjà : il venait de me donner le bâton pour lui taper dessus, et je n’allais pas me gêner !
‘Ah ! je comprends mieux maintenant : elle est partie avec les gosses, c’est ça ? Hein ?’
Till s’arrêta net.
‘J’ai pas envie d’en parler.’
‘Ha-ha ! Bien sûr ! Elle aussi en a marre de toi, donc elle t’a largué comme une vieille chaussette. Résultat : tu viens me pourrir la vie parce que t’as peur de finir tout seul comme un con, hein ?’
‘Non.’
‘Ben, vas-y ! explique-moi, tocard ! Raconte-moi ta version des faits ! Tu as appris qu’elle te trompait car tu n’arrives pas à la satisfaire toi-même, donc tu as décidé de la laisser te surprendre dans les bras d’une autre, c’est ça ?’
‘Non.’
‘Mais bien sûr ! Si je me souviens bien, c’est le coup que tu avais fait à Anja, non ?’
‘Ecoute Richard : ferme-la !’
‘Pourquoi je me tairais ? Je suis chez moi, d’abord ! Si t’es pas content de ce que je dis, tu sais où se trouve la sortie.’
Till retourna mon fauteuil d’un coup sec et se baissa pour me faire face, ses deux grosses mains fermement accrochées à mes accoudoirs.
‘Maria est partie parce qu’elle trouve que je passe trop de temps avec toi. Voilà.’
‘Ha-ha-ha ! C’est la meilleure ! Maintenant, tu rejètes la faute sur moi ! C’est vrai : c’est tellement plus simple d’accuser les autres de sa propre connerie.’
‘Je…je ne t’accuse pas…’
‘Mais bien sûr ! Ton couple part en miettes, alors tu viens me faire chier parce que moi, je peux pas t’attraper par le col pour te foutre à la porte.’
‘Je viens ici pour t’aid…’
‘J’ai pas besoin de ton aide !!!’
‘Apparemment, si ! Puisque tu n’es même pas capable de sortir de chez toi pour aller au supermarché du coin de la rue !’
‘Si je n’arrive à rien, c’est peut-être parce que tu me maternes trop !’
Till fut si abasourdi par ma réplique qu’il se contenta de rire.
‘T’es toujours derrière moi à vouloir savoir si j’ai bien mangé, si je me suis changé, si je me suis bien torché le cul ! Tu fais chier à la fin ! J’en ai marre de te voir !’
Till secoua la tête comme pour se débarrasser de mes remarques et reprit les commandes de mon fauteuil. Je mis mon pied gauche dans une des roues et bloquai l’autre de ma main.
‘Mais arrête de faire le gamin, Richard !’
‘Je fais pas le gamin : c’est toi qui veux être ma mère !’
Till soupira.
‘Pourquoi tu restes ici à me faire chier ? Pourquoi tu ne me laisses pas tranquille, à la fin ?’
‘Tu veux que je te laisse pourrir dans ta merde ? C’est ça que tu veux ?’
‘Ouais !’
‘Comme tu vaudras. Mais sache que j’ai mes raisons pour rester auprès de toi – et elles sont loin d’être celles que tu imagines !’
‘M’en fous ! Veux pas savoir ! Dégage de chez moi ! Et reviens pas !’
‘T’inquiète ! Tu me reverras pas de si tôt !’

***

Mercredi : j’eus sincèrement peur qu’il ne revînt pas. Alors je roulai en rond dans le salon à la recherche d’une activité à laquelle occuper mon cerveau préoccupé par une absence qui me chagrinait plus que je ne l’aurais voulu. Jeudi : il fut en retard. C’est donc sur le seuil de ma porte qu’il me trouva en sortant de l’ascenseur avec un sac de courses à la main. Il se contenta de sourire en disant :
‘Tu as roulé un mètre hors de chez toi. C’est un début. Ça te dit de faire une ballade en ville ?’
‘Je sais pas… C’est quoi que tu as dans le sac ?’
‘Des vêtements. Je me suis dis que si tu ne t’habilles plus, c’est sûrement parce que tu as grossi.’
Je fronçai les sourcils en le voyant sortir un pantalon noir puis je regardai mon ventre ridé, difforme, couvert de cicatrices et, c’est vrai, bedonnant aussi. A vue d’œil, j’avais bien pris deux tailles.
‘Allez, rentre ! Je vais t’aider à l’enfiler,’ fit-il en entrant chez moi et en ébouriffant mes cheveux au passage.

[la suite? ici!!! http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/09/gluhend-6.html ]

Pussy ist für alle da!

This is actually one of the biggest debate among fans - are Rammstein going too far with those Pussy videos? Or are they just doing what they always have done, from the very beginning, ever since the Bück dich performance to the Mann gegen Mann video?
This is a big question actually.
Because 1st, Rammstein have always wanted to unveil all taboos of our western society.
and 2nd: those taboos change with time because people and culture change.
In other words, what R+ used to do 10 years ago shocked people then - even if nowadays, they just make us laugh. This obsession with sex for example: it's present in many songs by R+ - from Das Alte Leid to Feuer und Wasser through Bück dich, Rein Raus, even Feuer frei and Reise Reise in some aspects. Why? Because the 80's (when R+ were young - discovering sexuality) and the 90s have had to face THE thing that prevented free sexuality at a time when Women's Lib and Gay Pride came to change the world against traditions and religions: AIDS. Talking about sex then was taboo for different reasons: no more because it was a way to say "no" to our elders (symbol of order, tradition, etc.) but because it was a way to say "no" to a hypocrite society.
And now? Things have changed - AIDS is becoming a real desease to fight like cancer - no more the flaw that gays or junkies "deserved". Sexuality is free again because of the stress put on contraceptive ways (young people belonging to our generation all know how to use a condom - which is not the case of 40-year-olds who were not born with AIDS like we were). In other words, sex is no more taboo, is no more prohibited as it has always been. So Rammstein have to face a change of perception towards sexuality when they wanna talk about their "favourite" subject. They have to deal with it differently.
Nowadays, you see sex EVERYWHERE: check out adverts for yogurts - or those for cars. See how the woman licks her lips with her spoon full of WHITE yogurt ready to be swallowed with sensuality. See how nice the model next to the car looks with her bikini on her suntanned body. I think that's what R+ means with Liebe is für alle da - remember the lyrics?
"So gut gebaut / so braune Haut"

To me it's obvious: they actually mean: "SEX (not really love) is there for everybody"

lundi 7 septembre 2009

Petite interview de Paul

pour Arte diffusée vendredi dernier. Juste comme ça, en extra. Paul nous y parle de Berlin-Est et de son expérience en tant que musicien dans un groupe punk de l'époque, Feeling B. Ses petites rides au coin des yeux, à comparer avec son look blond péroxydé de ses vingt ans me donnent la larme à l'oeil...
http://www.youtube.com/watch?v=1uBs_yo8SMA

Petite aide pour comprendre? Allez! je vous dis ce que j'ai compris. Dans cette troisième partie de l'émission, Paul explique qu'à la chute du Mur, on se sentait forcément un peu perdu - comme un boxeur qui reste sur le ring après un combat: il n'y a plus de raison d'être en désaccord avec quoi que ce soit une fois le régime de la RDA tombé. Par conséquent, il s'est senti comme vidé de toute motivation et le seul moyen pour lui de continuer en tant que musicien a été de retrouver quelque chose contre quoi être opposé. C'est ainsi que Rammstein est devenu un "groupe à renommée mondiale qui s'évertue à dévoiler tous les tabous de l'Ouest", nous dit la commentatrice.
La différence est qu'une fois à l'Ouest, le fait de s'opposer à quoi que ce soit "énerve" moins les gens - même si ça ne plaît pas forcément aux gens.

C'est approximatif, je sais. Mais voilà: Paul a un accent que je ne supporte pas - il prononce les "au" comme un "o", les "ich" comme "ig"... En plus, il parle vite et s'arrête en milieu de phrase pour chercher ses mots - au final, on perd le fil, et on est obligé de reconstruire sa phrase. Dur-dur!
Mais il est si mignon avec ses petites rides au coin des yeux que je bois ses paroles même quand je ne les comprends qu'à moitié!... *-*

dimanche 6 septembre 2009

Glühend - 4

4

C’est quand je rentrai à mon appartement berlinois que je compris que j’étais devenu un monstre autant physiquement que moralement – et je m’en délectais presque. Certes, et c’est malheureux à dire, j’avais gagné à être ignoré par tous mes proches. Mais étrangement, leur absence avait quelque chose de rassurant : pas de regard attristé, dégoûté ou interrogateur ; pas de conseil inutile ou de remarque navrée ; pas de présence humaine me rappelant que je n’étais plus tout à fait un homme.
‘Dis : on a pris le bain jeudi dernier ?’
Seul Till continuait de venir me voir : tous les jeudis et tous les dimanches.
‘Je sais pas.’
Till soupira en posant sa veste sur le canapé. Khira lui avait donné le double de mes clefs le jour de ma sortie de l’hôpital – et comme elle ne les avait pas réclamées (elle ne ressentait plus vraiment le besoin de venir voir son père aigri et méchant), il les avait gardées pour lui-même.
‘Inutile de te demander si tu t’es lavé entre temps ?’ fit-il en ramassant mes restes de pizza.
‘Aucune idée.’
‘Alors on va commencer par ça.’
Il fit un peu de ménage dans le salon et la cuisine – l’essentiel, on va dire, puisque Till n’était pas un pro du ménage : il se contentait de mettre tout ce qui ne lui plaisait pas à la poubelle, de passer un coup d’éponge vite fait, avant d’ouvrir grand les rideaux et les fenêtres.
‘Arrête…’ protestais-je.
‘Faut aérer pour renouveler l’oxygène. Et puis, c’est pas bon de vivre dans l’obscurité comme ça,’ me sermonnait-il.
Après le ménage façon Till, il alla me faire couler un bains.
‘Alors ? Tu viens ?’ gueula-t-il de la salle d’eau.
‘J’ai la flemme de rouler…’
‘Ouais…ouais…t’as toujours la flemme de rouler,’ fit-il en ressortant pour venir me chercher.
Il épousseta les miettes sur mes cuisses.
‘C’est pourtant pas difficile : t’as une commande automatique. Si ça tenait qu’à moi, t’aurais un bon vieux fauteuil à avancer manuellement – ça te ferait les bras un peu !’
Il attendit ma réaction. Je regardais nonchalamment par la fenêtre.
‘Je vois…je n’aurai pas droit au Richard sarcastique aujourd’hui.’
‘Non.’
‘Dommage. Je le préfère au Richard qui fout rien et qui veut rien.’
‘Tant pis.’
Till me fit rouler jusqu’à la salle de bains. Il retira mon T-shirt pour le jeter dans la panière de linge sale puis me somma de me mettre debout. Constatant ma passivité totale ce jour-là, il soupira, posa ma main sur son épaule et me souleva par les aisselles. Il me regarda sévèrement.
‘Je dois aussi t’enlever le bas moi-même ?’
‘On dirait que ouais.’
Till soupira bruyamment cette fois – ça voulait toujours dire qu’on atteignait ses limites du supportable. Et pourtant, il se pliait à ma volonté. A chaque fois.
‘Tiens-toi à mon épaule,’ dit-il en lâchant une de mes aisselles pour retirer mon caleçon. ‘Même mon petit Fritz peut le faire tout seul, ça.’
‘Lui, il n’a pas une jambe en moins.’
‘Soit. Mais il a quarante ans d’expérience en moins aussi.’
Il balança mon sous-vêtement, devenu mon principal vêtement ces derniers temps à vrai dire, puis me souleva jusqu’à la baignoire, où je le laissai m’installer, au milieu des bulles rafraîchissantes et de mon petit canard noir.
‘Je t’ai dit l’autre fois que je ne veux pas le voir, ce foutu canard,’ m’énervai-je.
‘Moi, je l’aime bien,’ répondit Till en attrapant la bassine dans l’armoire.
‘Pas moi. Enlève-le !’
‘Très bien…comme tu veux…’
Till saisit l’oiseau en plastique et le posa sur le lavabo. Puis il s’assit au bord de la baignoire, remplit la bassine, et fit couler de l’eau sur ma tête. C’est en général à ce moment-là que je le regardais à mon tour et voyais dans ses yeux une sorte de crainte inexpressible – une pensée qu’il gardait enfouie au fond de son esprit mais qui laissait derrière elle une petite lueur étincelante dans son regard.
‘Quoi ?’ demandai-je assez fermement.
‘Rien.’
Je soupirai en fuyant son regard indescriptible. Il continua de m’arroser la tête, machinalement – ou maternellement – c’est pareil.
‘Pourquoi tu t’occupes de moi comme ça ?’ demandai-je après plusieurs secondes de silence.
‘Parce que tu refuses de le faire tout seul. Et parce que je t’aime bien, je suppose.’
‘T’en es pas sûr alors…’
‘Si.’
Il s’arrêta de m’arroser.
‘Si…j’en suis sûr.’
Je ne répondis pas. Il se pencha pour attraper le shampooing et m’astiqua la tête avec.
‘Tu me diras jamais à quoi tu penses.’
Till me dévisagea.
‘Je pense à rien de particulier.’
‘C’est moi qui pense à rien, puisque que je fous rien et je veux rien, comme tu dis.’
‘Exact.’
‘Toi, tu penses forcément à quelque chose.’
‘C’est vrai.’
‘Alors ? Tu penses à quoi ?’
Till se leva pour prendre le gant de toilette et me savonna le dos et le torse avec.
‘Alors ?’
Till s’arrêta.
‘Alors quoi ?’
‘Tu penses à quoi ?’
‘Je me dis que je suis content que ça ne me soit pas arrivé,’ répondit-il en hochant la tête vers mes marques de brûlure.
‘Sympa. Je me serais passé de ta franchise.’
‘Tu voulais savoir ce que je pense. Voilà.’
‘C’est pas ce que je voulais entendre.’
‘Et tu voulais entendre quoi, alors ?’
‘Rien.’
Till soupira et recommença à me frotter le dos.
‘Pas si vite : ça m’irrite la peau !’
‘T’as qu’à le faire toi-même si t’es pas content.’
‘C’est clair qu’en comparaison avec tes deux mains gauches, je ferais beaucoup mieux !…’
Till secoua la tête comme un père blasé par l’ingratitude de son fils.
‘Bon, je te laisse faire le bas tout seul,’ dit-il en jetant le gant dans la baignoire.

***

Il sortit mais revint trop tôt pour me laisser le temps de perdre mon souffle. Je m’étais allongé pour enfouir ma tête sous l’eau et attendre patiemment le sommeil – c’était sans compter sur la perspicacité de Till qui, en se cramant une clope sur mon balcon, s’était dit que me laisser tout seul dans la baignoire me donnerait des idées dangereuses.
‘T’es vraiment qu’un abruti !’ cria-t-il en me sortant de l’eau par les épaules.
‘Mais laisse-moi…’
‘Non !’
Il retira le bouchon de la baignoire et attendit que l’eau s’écoulât entièrement avant d’attraper le pommeau de douche et de m’arroser comme on lave un chien.
‘Allez ! Lève-toi !’
‘Comment veux-tu que je me lève ? Connard !’
‘Je t’ai fait installer une barre, là ! C’est pour t’aider. Allez, lève-toi !’
‘Laisse-moi ! J’ai pas besoin de ton aide !’
Till se baissa, saisit mon bras et me força debout.
‘Mais tu me fais mal !’
‘Je m’en fous ! Tiens-toi, le temps que je te rince !’
Je me mis à pleurer, ce qui ne m’était jamais arrivé devant Till. Il en fut comme désarçonné. Moi-même, je fus étonné par la rapidité avec laquelle la froideur de Till, toujours serviable et fidèle mais peu compatissant, fit naître mes larmes. Comme si aujourd’hui, la donne avait changé – comme si aujourd’hui, je devenais sensible à l’aigreur que je lui faisais subir.
Till ferma le robinet, me porta jusqu’au fauteuil roulant, où il essaya de m’essuyer le plus délicatement possible, puis il alla vite me chercher une chemise à m’enfiler et une couverture à poser sur mes genoux. Constatant aucune réaction de ma part, il boutonna ma chemise avec précaution. Il me demanda si je voulais qu’il me rasât. Je ravalai mon sanglot :
‘Pourquoi faire ? ça pousse pas sur la moitié de mon visage.’
‘Justement, tu ressembl…’
Till se mordit les lèvres et attrapa quand même la mousse à raser.
‘T’allais dire que je ressemble à rien avec juste la moitié de mes poils qui poussent, c’est ça ?’
‘Oui,’ dit-il d’un air coupable. ‘Mais tu vois, je me suis retenu.’
Il tendit la main pour sécher une dernière larme sur ma joue puis se mit à secouer la flacon de mousse. Je le laissai faire puisqu’il prenait toujours plaisir à contourner de sa lame minutieuse mes cicatrices inégales – avec le soin d’un ado débutant en matière de rasage. Il prenait d’ailleurs autant de plaisir avec mon pot de gel.
‘Je te coiffe comment ?’
‘M’en fiche.’
‘Bon. Je vais te faire des piques pour changer.’
C’était sa manière à lui d’être ironique puisqu’il me coiffait toujours ainsi. Et j’avoue que, même si j’étais sceptique à la vue de ses gros doigts maladroits couverts de gel, il réussissait toujours à me redonner le look d’autrefois. L’illusion d’autrefois seulement car, quand il était derrière moi, et moi devant le miroir, je ne voyais qu’un vieil homme couvert de cheveux blancs qui s’affairait à redonner un semblant de dignité à un être défiguré, immonde, affreux.
Je croyais que Till ne voyait pas les cicatrices sur ma peau – et que c’était la raison pour laquelle il persistait à s’occuper de moi deux fois par semaine. Je croyais qu’il était simplement devenu aveugle. Mais ce jour-là, j’eus l’impression qu’il y avait comme de l’amour dans ses gestes. En moi, il voyait un fils à rééduquer. Ce que je ne comprenais pas, c’est pourquoi il préférait se tuer à la tâche deux jours par semaine plutôt que de les passer avec ses propres fils. Je ne le lui demandai pas mais mon regard cherchait la réponse dans sa démarche, dans la façon dont il prépara cette omelette, dans la manière dont il m’apporta l’assiette.
‘Tiens, dis-le-moi si tu veux plus de sel.’
Je le dévisageai – impassible.
‘Mange avant que ça refroidisse.’
Je pris la fourchette qu’il me tendait.
‘Till ?’
‘Mm ?’
‘Je peux te demander une faveur ?’
‘Laquelle ?’
‘Tu pourrais venir plus souvent ?… Un jour de plus, comme…le mardi par exemple ?’
Till me regarda d’un air incrédule.
‘…Je me sens…un peu seul en ce moment…’ m’expliquai-je.
Till me sourit.
‘D’accord.’

[la suite? suivez le guide! http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/09/gluhend-5.html ]

jeudi 3 septembre 2009

Glühend - 3

3

C’est des semaines plus tard que je compris toute l’ampleur de ce Oui forcé. Mon existence en fut à jamais brisée. Je n’ai pas seulement perdu ma jambe droite ; je suis devenu un monstre cloué dans un fauteuil roulant. Je me souviens encore du jour où ils retirèrent les bandages autour de ma tête. Je voulais un miroir et tout le monde refusa. Alors j’insistai en piquant une crise effroyable et en les empêchant de me toucher jusqu’à ce que le miroir tant réclamé me fût présenté. Je l’arrachai des mains du médecin et le tins fermement de ma seule main de libre pour être sûr qu’on ne me l’arrachât pas au moment opportun. Le médecin déroula lentement les bandes, puis enleva doucement les pansements. Avec la minutie du gars qui se sentait déjà coupable et qui avait déjà préparé son discours sur les progrès de la chirurgie esthétique. Mais je ne l’écoutais pas. Sa voix et celle de mes proches présents s’étaient évanouies comme lorsqu’un claquement soudain agresse vos tympans : le silence s’ensuit même si la salle est bruyante à souhait.
Peau déformée comme de la cire fondue. Un œil tombant, tout comme une commissure de mes lèvres. Arcade sourcilière gauche à laquelle il manque le trois quart des poils. Ô sacrilège ! Même une partie de mes cheveux a disparu ! Je suis devenu Elephant Man – en plus effrayant. Alors que le médecin m’expliquait comment on pouvait rattraper ça en usant de techniques à la Frankenstein, j’observais mes yeux se gorger de larmes. Je sentis la grosse main de Till sur mon épaule ; je vis Khira me cacher son visage sur l’épaule de Merlin, toujours grimaçant ; et Claudia…oh ! Claudia était aussi impassible qu’un bloc de glace, figée dans l’acte de mettre un des nombreux bouquets de fleurs dans un vase.
‘Tiens-moi ça !’
Till sursauta et saisit le miroir que je lui tendais. Je touchai de mes doigts tremblotants ma peau désormais insensible. On frappa à la porte. Face à mon silence obstiné, Claudia alla ouvrir aux nouveaux visiteurs : Paul, suivi d’Emu, Schneider, Flake et Oli. Sur le coup, je me mis à rire : un rire affreusement glauque, sortant de mes lèvres non coordonnées comme le cri du diable.
‘Vous avez fait exprès ?’
‘Quoi ?’ demanda Paul, interloqué et cherchant la réponse à mon mystère en regardant Till.
‘Vous êtes tous entrés par ordre croissant – du plus petit au plus grand !’
Et je gloussai à nouveau. Till baissa le miroir et me demanda si je me sentais bien.
‘Bien sûr que je vais bien !’ m’exclamai-je en colère. ‘Et lève le miroir !!’
Mon reflet hideux était toujours là et sa vue me redonna presque le vertige. Je l’inspectai encore avec minutie, à la recherche de l’harmonie d’avant, mais n’y voir que mes larmes s’écouler sur mes joues fondues sans que je pusse sentir la moindre trace d’humidité figea la boule qui remontait jusqu’à ma gorge. J’entendis Khira demander au médecin si mon comportement était normal.
‘Oui, il arrive que certains patients réagissent au trauma en passant par plusieurs états émotionnels, de la détresse à la colère jusqu’au rire, en quelques secondes…’
‘Je ne suis pas en colère !!’ lui crachai-je à la figure.
Tout le monde recula d’un pas ou presque. Ils n’osaient pas émettre le moindre son. Ils se tenaient tous là, avec leur regard inquisiteur, à surveiller ma prochaine réaction.
‘N’empêche…maintenant, mon strabisme passe totalement inaperçu,’ plaisantai-je dans un sanglot.
‘Ecoutez, Monsieur Kruspe, votre désarroi est compréhensible et…’
‘Ta gueule !’
‘Hey ! Richard, calme-toi…’ marmonna Till.
‘Mais je suis calme !’ m’énervai-je. ‘Et qu’est-ce que vous voulez tous ?! Ma photo peut-être ? Sortez !’
‘Papa…’
‘Dégagez !’
‘Richard…’
‘J’ai dit : dégagez !’

***

Ils ne se firent pas prier. Une fois seul dans ma chambre, je retirai le drap qui me couvrait d’un geste brusque. Ma peau était partout pareille : de la cire jaunâtre, difforme – comme un gâteau mal cuit. Mon bras droit était coincé dans un plâtre énorme. Et puis ma jambe droite coupée juste au-dessus du genou, le morceau manquant disparu pour toujours, ou enfermé dans le coffre réfrigéré d’une morgue lugubre, où on lui ferait subir des expériences illégales.
Oui, l’espace d’un instant, je crus devenir fou, mes sanglots s’entrechoquant dans ma gorge comme une horde de termites – alors je pris le miroir et le balançai contre le mur où il se fracassa dans un tintement que j’accompagnai de mon cri désespéré. Puis ce fut au tour du téléphone, de la télécommande, de la carafe d’eau de finir HS contre le mur, toujours dans un bruit différent, et avec ma voix pour compléter la symphonie. Le médecin et un infirmier déboulèrent dans la chambre et me sommèrent de me calmer. Très vite à bout de forces après tant de jours de coma, je m’allongeai pour fixer le plafond d’un regard larmoyant, insensible aux mots compatissants de mes proches tout autour.

***

‘Votre sympathie me fait vomir.’
Voilà comment j’accueillis les bouquets de fleurs, les mots gentils, les corbeilles de fraises que tous ceux qui disaient m’aimer m’apportaient les jours suivant la découverte de l’ampleur de mon accident.
‘Epargnez-moi vos condoléances, ça vaudra mieux.’
fut une autre de mes répliques. Aux discours du médecin, je réservai :
‘Allez donc charcuter quelqu’un d’autre !’
Non, je n’écoutais pas quand on me parlait de chirurgie réparatrice. Ni quand on me disait que j’avais gardé ma charmante voix. D’ailleurs, je soupçonnais cette dernière phrase d’être ironique. Oui, j’étais devenu exécrable avec tout le monde. Je me plaignais de tout. Je les critiquais sur tout.
‘Et ça te sert à quoi d’être aussi sarcastique ?’ me demanda Schneider le dernier jour où il vint me voir.
Apparemment, il n’appréciait pas ma remarque sur son costume pourri.
‘Tu te sens mieux après, c’est ça ?’
‘Quoi ? Tu veux que je pleure sur ton sort, Monsieur le Divorcé ? Crois-moi, j’ai assez du mien.’
‘Ecoute, Richard : je peux comprendre que ça te fasse un choc…tout ça…mais…putain ! ça fait un mois que tu es là, que tu refuses de sortir, que tu gueules sur tout le monde, que tu fais pleurer ta famille, que…que tu croupis dans ta merde !’
‘Ah ? Tu dis que je pue maintenant. Sympa.’
‘Oh ! et puis, tu fais chier ! Je reviendrai quand tu auras un peu plus de respect !’
‘Ouais, c’est ça ! Dégage !’
Après Schneider, ce fut au tour de Merlin de ne plus venir me voir. Puis Emu. Oli. Flake. Claudia. Paul. Même Khira n’était plus revenue après ma remarque sur sa prise de poids.
‘Mais c’est vrai qu’elle est grosse !’
Till leva la tête de son livre et me jeta un regard épuisé.
‘Tu sais très bien qu’elle prend du poids quand elle déprime,’ soupira-t-il.
‘Ah ouais ? Elle s’est encore fait larguer ? Pfff ! Quelle conne !’
‘Non.’
Je le vis se remettre à lire.
‘Bon, tu comptes me dire pourquoi elle déprime alors ? Ou je dois attendre que tu ais fini de déchiffrer ta page ?’
‘Elle déprime à cause de toi.’
‘Ah, bien sûr! C’est facile de rejeter la faute sur moi maintenant ! Tout le monde fait ça, en même temps ! Je devrais avoir l’habitude.’
Till soupira.
‘Utilise ton doigt pour lire, ça ira plus vite ! Et puis, c’est quand que tu te fais un lifting ? Parce qu’avec tes cernes, t’as vraiment l’air de venir d’outre-tombe.’
Till ne réagissait pas à ce que je disais. J’avais beau être méchant avec lui, c’est comme s’il s’en foutait.
‘Hey ? Tu réponds, oui ou merde ?’
‘Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?’
‘Je sais pas moi !… T’as qu’à dire…que toi et Paul, vous faites la paire au Club des Ridés !’
Till ignora ma remarque et continua à lire. Je sentais qu’il n’avait qu’une envie, c’était de me balancer en pleine face que moi aussi, j’aurais bien droit à être membre de ce club, avec carte de fidélité spéciale pour clients nécessitant des traitements pas encore inventés. Mais il se taisait et restait docilement assis quatre heures par jour sur le fauteuil près de la fenêtre de ma chambre d’hôpital. Au bout des quatre heures, il regardait sa montre et me demandait si je voulais qu’il restât, même si parfois, il arrivait des jours où on ne s’échangeait pas un seul mot.
‘Ouais, vas-y ! Tire-toi !’
Et il insistait toujours une deuxième fois.
‘Va donc baiser ta gonzesse – moi, je vais me branler tout seul,’ lui répliquai-je un jour, pour voir.
‘On sera deux.’
Till enfila son manteau.
‘Quoi ? Maria t’a largué ? Ha-ha ! Quel con ! Et tu l’as trompée avec qui cette fois ?’
‘Personne. Je dors à l’hôtel depuis que tu es hospitalisé.’
‘Ouais, ben…’
Savoir qu’il foutait sa vie de couple en l’air pour moi me fit hésiter une fraction de seconde. Mais pas assez.
‘…ben, tu peux rentrer dans ta campagne ! ça m’énerve de voir ta sale tronche tous les jours !’
‘Je sais. A demain.’

[la suite? ici: http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/09/gluhend-4.html ]

Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...