vendredi 16 octobre 2009

Review de "Liebe ist für alle da" (Lifad) de Rammstein

MUSIQUE :
L’ensemble (avec Bonus) : éclectique, surprenant, parfois innovant, mais surtout disparate. L’album aurait gagné à être plus unifié – mais aurait peut-être perdu en richesse. (Moyenne générale : 7.12/10 – sans bonus : 7.36/10)

Rammlied : riff percutant mais trop rammsteinien pour satisfaire mon envie de nouveauté. Seul le côté épique, qui s’essouffle un peu, m’épatait – m’épate moins maintenant. Par contre, l’intro de Till, reprise sur les guitares seules, m’enchante toujours et les paroles restent intéressantes par leurs multiples sens.
Note : de la note maximale, elle passe à 9/10

Ich Tu’ Dir Weh : première impression très tapageuse – la musique est énergique ; la voix de Till, prouesse à mon goût et surtout du jamais entendu dans tout Rammstein, est une merveille. Le refrain fait très « pop » à cause de son efficacité. Elle représente bien ce que j’attendais du groupe : elle garde tous les éléments qui font R+ (riffs répétitifs, clavier qui rehausse le ton, voix qui émerveille) mais elle innove aussi.
Note : 10/10

Du bist das Schiff ich der Kapitän
Wohin soll denn die Reise gehen?
Ich seh' im Spiegel dein Gesicht
Du liebst mich denn ich lieb' dich nicht
Ich tu' dir weeeeeeeeeeeh
Tut mir nicht leeeeiiiiid
Das tut dir guuuuut
Hör wie es schreit!


Waidmanns Heil : le mini break avant le refrain est surprenant, sincèrement beau – seule la batterie le gâche un peu– les riffs de guitares donnent envie de pogoter comme si on avait à nouveau 17 ans. Seul défaut : elle manque d’unité – elle fait un peu fouillis – mais le halètement vers 2’40 est une excellente idée.
Note : 8/10

Haifisch : elle déroute par la direction un peu groovy qu’elle prend. Sûrement la plus « épique » de l’album – mais un épique différent de celui de Reise, Reise – comme disait Sonnen, elle représente la direction qu’il imaginait R+ prendre. En quelque sorte, Haifisch est un bon compromis, du même acabit que Ich Tu’ Dir Weh.
Note : 9/10

Bückstabü : J’hallucine !!!!!!! C’est en partie les paroles d’un des poèmes de Till (Nele 1 ou 2) ! Par réflexe, je n’arrive pas à dissocier la chanson du thème du poème (l’amour inconditionnel d’un père envers sa fille) – et bien entendu, le résultat, c’est la confusion totale ! Du métal indus froid auquel je m’attendais avec l’intro et les crissements de pneu à la Benzin (ou les cris de Rosenrot ?), voici un Mein Teil claustrophobe, oppressant. Le couplet est trop mou par rapport au refrain complètement taré – même le morceau martelé vers 2’50 et la voix de fou à lier que Till prend à la fin ne rattrape pas le tout.
Note : 7/10 – mais aurait pu beaucoup mieux faire !

Frühling in Paris : guitare = parfaite. Gros fou rire sur l’accent de Till sur « Oh nooooo(n), rien de rieeeeee(n/m) !… » sûrement rajouté sur un coup de tête de Till (qui ne maîtrise pas du tout les sons nasaux !) Le clavier me déçoit. La chanson aurait pu être un nouveau Ohne Dich avec juste le trio guitare-basse-batterie + voix de Till. En fait, c’est le clavier qui retire toute la beauté du morceau. J’espérais peut-être trop de cette chanson aussi.
Note: 6.5/10 mais plus je l'écoute, plus elle remonte dans mon estime.

Wiener Blut: paroles – j’ai l’impression d’un mix forcé (Seid Bereit revu et corrigé pour coller à Fritzl), et je trouve ça dommage. Musique – nouvelle impression de fouillis. Le refrain est trop rapide par rapport aux couplets, dont l’atmosphère fascinante de cruauté est trop vite oubliée. D’accord avec MaXX : plutôt monotone dans l’ensemble. Ce sera un fiasco en concert.
Note: 6/10 même si elle commence à me plaire aussi...

Pussy: elle fait tâche – mais elle relève le ton, justement, comme toute bonne chanson gag – sûrement pour ça que R+ l’ont gardée. Elle est moins drôle que Rein Raus, mais les paroles plus intéressants que celles de Te quiero Puta. Son seul défaut pour les puristes fait sa qualité à mes yeux : elle n’a rien à voir avec le R+ qu’on connaît.
Note: elle mérite son 8/10 pour les claviers, le break « Germanyyyyyy » et la batterie

Liebe ist für alle da : la version leak m’avait lassée – je regrettais même de l’avoir téléchargée. Elle ne représente pas l’album : trop peu travaillée, les paroles mal foutues au refrain, elle laisse un arrière goût de punk un peu sale – se veut hard’n’heavy sans l’être. Même la légère modification sur le dernier refrain, avec Till qui reprend en retard, ben…ça n’sauve pas grand-chose.
Note: je lui ai mis 7 en leak – elle passe à 5/10

Mehr : Juste une impression ? Les guitares sonnent comme Rammlied Nummer 2 – ou alors c’est Rammlied la copie ? Le riff est lassant – le break est bizarre, surtout avant l’élan épique de Till vers la fin. Par contre, je ne sais plus qui a dit que Till a dû s’amuser : je confirme ! Mais il aurait dû resté sur le style des deux premiers couplets.
Note : 6/10 parce que je m’ennuie un peu dessus.

Roter Sand : Je n’arrive pas à comprendre toutes les paroles, mais on dirait la reprise de l’alliance l’amour/la mort si bien connue.
« Roter Sand und zwei Patronen
Ein stirbt in Pulverkuss »
(Sable rouge et deux cartouches / L’un meurt dans le baiser de la poudre)
Pour une ballade mélancolique sur l’amoouuuur, ben, elle fait un peu maladive. Par contre, je mets instinctivement le thème de la mort en avant, et là, elle prend plus de valeur. Mais pas assez pour m’émerveiller pour l’instant.
Note : 6.5/10

Bonus:

Führe mich: léger goût de Oomph, en particulier à cause de la voix de Till (sur le refrain) et la batterie simpliste. Je remarque encore le thème de l’arrêt (halten), présent dans Haifisch et bien sûr Halt. Plutôt intéressant, venant de la part d’un homme qui approche la cinquantaine, âge où on a l’impression que tout s’arrête. Musicalement, pas intéressante mais efficace.
Note: 7/10

Donaukinder: Les paroles sont jolies, la voix de Till les porte bien. La batterie m’ennuie. Seuls les claviers et son élan épique à la fin m’interpellent. Le solo de Richard…ben, c’est dommage que j’ai 45% de perte auditive dans les aigus (je ne l’entends pas dans le métro), il ne m’interpelle pas assez.
Note: une chanson « jolie » donc, mais pas grandiose : 6/10

Halt: Chapeau bas à la voix de Till ! Le piano me donne l’impression d’être enfermée dans une maison hantée – ne me demandez pas pourquoi. Sensation claustrophobe due aux guitares aussi. Elle aurait pu remplacer Wiener Blut sur CD-1 – elle prend moins de risque mais elle a le mérite d’être bien unifiée.
Note: 8/10

Liese: Paroles légèrement altérées – là, on a droit à l’histoire de Jacob qui tue Liese par amour, je crois, et pour…
« von deiner Haut probieren » (goûter à ta peau)
Mmm… On a l’impression que Till veut jouer les conteurs, avec une musique plus que minimaliste, plus dans l’esprit Ein Lied. La voix de Till y est plus stable – c’est cette version que j’aurais préférée à la place de Roter Sand sur le premier CD.
Note: 7/10

Roter Sand (orchestre) : Je rejoins l’avis de Geoffrey et quelques autres – cette version n’est pas indispensable. Mais je me souviens que Ein Lied, que j’adore aujourd’hui, m’avait laissée peu émerveillée à la première écoute. Cette version avec les chœurs masculins, les cordes et les cloches, ben…elle fait un peu tâche… Mais comme ces deux sœurettes, je pense que je l’apprécierai plus à force de l’écouter.
Note: 5/10

Un mot pour décrire tout l'album: Belliqueux

POCHETTE :
Le côté doré de partout, allié à la noirceur de l'ensemble (boîtier, atmosphère des photos), ça me rappelle le baroque - d'ailleurs, à vérifier, mais je pense que les chaises sont de style baroque. C'est une assez bonne idée car ce style (que ce soit en architecture ou en littérature) est caractérisé par ce que j'appellerai un "fouillis structuré": les jeux de miroir et de masque, l'opposition des antithèses et des symétries... Bref, un mélange des genres qui masque une structure.

Ceci dit, on comprends mieux pourquoi tout l'artwork de l'album donne une impression "too much": les photos de Schneider et de Till dans l'espèce de salle de bains stylé Rome antique me rappelle la mythologie gréco-romaine, que les deux femmes, sortes de sosies de Venus symbolisent bien aussi: regardez l'espèce de couronne/casque que porte celle aux pieds de Till. Le coup de la table/Cène fait au contraire plus biblique. D'ailleurs, il y a un vieux livre sur la table. Ce côté biblique est rappelé par les bandages sanguinolants autour des poignets de Till - pour moi, ça fait référence au Christ, mais après tout, ça peut juste vouloir dire combien c'est difficile de couper un corps humain/l'Amour en morceaux pour le donner à manger à ses copains ensuite - qu'on en garde des cicatrices, ou un truc de ce genre. Mais je ne sais pas pourquoi: je reste sur mon interprétation biblique - après tout, c'est Richard qui explicite le titre de l'album en posant la question "peut-on aimer même le pire des monstres?" (RockHard octobre). Comme la doctrine chrétienne inclut d'aimer son prochain, de "tendre l'autre joue" comme le bon Samaritain aurait dit, je reste sur cette optique. Reste plus qu'à trouver les références bibliques dans les chansons!
Par contre, le costume de Richard avec le masque (souvenez-vous: le baroque aime les masques, les miroirs, l'eau) fait plus Renaissance.

Un vrai fouillis historique là-dedans!

Je ne parle même pas de la vieille télé devant laquelle Paul, Richard et Flake, toujours en costume Renaissance mais en caleçon blanc, s'excitent (comme s'ils regardaient un match de foot) - pendant que Till ronfle (agonise?) dans le fauteuil d'en face, en caleçon noir mais avec la veste d'un costume plus contemporain. Tout est symétrique - tout est jeu de miroir...
Le mélange des genres devient limite excessif avec Oli et Flake en mineurs - ou encore avec Oli en face d'une machine à coudre pour...assembler les morceaux des plantes carnivores de la Cène revisitée (plantes carnivores dont on retrouve les racines autour du lit de l'une des Venus prête à être aussi déchiquetée par Schneider, après que Till s'est occupé de l'autre, visiblement avec culpabilité).

Pour comprendre pourquoi Venus, je vous renvoie à La Naissance de Vénus de Botticelli - ressemblance évidente:


Tout ça me laisse à la fois enthousiasmée (par la richesse des références) et perplexe (c'est décidément trop fouillis tout ça) - et quelle ironie! c'est exactement la même impression que j'avais en écoutant l'album il y a deux jours.
Dans l'ensemble, je salue le travail d'Eugenio Recuenco, qui est l'auteur des photos (où est donc passé Olaf?): toutes les scènes sont hyper travaillées - les costumes et les maquillage aussi: ça donne une image très atypique du groupe, dans la veine de l'artwork de Sehnsucht ou Rosenrot.
Seul regret: il n'y pas de photo de Paul en individuel - alors que justement, je l'avais imaginé dans la scène de Till en train de laver les deux Venus.

Bref, trop de choses pour tout résumé en une seule fois: c'est une pochette d'album qui demande à être contemplée comme un tableau de maître pour en voir tous les détails.

Petits détails "rigolos":
- Flake fait un doigt d'honneur sur la photo de groupe autour de la table, ou c'est moi qui rêve?
- Sur le tableau dans la scène de la télé, on dirait un portrait de Richard!! A l'envers! J'adore! Tout de suite je pense au fait que Richard a perdu son statut de "roi" au sein de Rammstein, mais alors...ai-je raison? Aucune idée!



Petit B-Mol: il n'y a pas les paroles des chansons bonus sur l'édition spéciale! :o



English version here: http://ludicrousclimaxofthedevil.blogspot.com/2009/10/liebe-ist-fur-alle-da-review-music.html

mardi 13 octobre 2009

Glühend - 10 et épilogue

10

Paul avait rajouté :
‘Non, parce que, tu connais ma fille – elle est si rabat-joie ! Si je lui annonce que je sors avec un mec, elle serait capable de se mettre à la recherche d’une nouvelle copine pour moi – déjà qu’Emil me harcèle à ce sujet…’
Mais je ne l’avais pas vraiment écouté – j’avais regardé le médaillon en forme de soleil comme s’il s’agissait d’une pierre précieuse – un symbole ardent [1]mon symbole.

***

‘Tu n’es bon qu’à te plaindre !’
‘Mais c’est la vérité ! J’ai l’impression d’avoir une jambe plus courte que l’autre quand je marche avec ça !’
‘Mais tu as une jambe plus courte que l’autre !’ me répondit Till en rigolant.
‘Ha-ha ! Très drôle celle-là. Non, franchement, j’aime pas marcher avec ce truc.’
‘Tu préfères que je te porte ?’
‘Non, ça ira.’
‘Allez, viens !’
Je le suivis dehors, ma prothèse bien fixée à mon moignon. Depuis trois semaines, j’avais emménagé chez lui à Wendisch, où nous vivions comme le couple gay parfait – sauf que nous ne couchions pas ensemble. Un peu à cause de lui car il n’osait pas me demander d’aller plus loin : beaucoup à cause de moi car je me détestais trop physiquement pour aller jusqu’au bout. Pourtant, le désir, entretenu par ses petites attentions et mes caresses nocturnes, me tiraillait les tripes. Mais nos ébats s’arrêtaient toujours à sa fellation du soir, après laquelle il s’endormait comme un gros bébé. Je le laissais me toucher, mais seulement avec réticence, avant de le refroidir complètement en lui rappelant que mes brûlures m’avaient fait perdre toute sensation au toucher, ce qui était vrai…sur une partie de mes cicatrices – pas toutes. Je voyais bien, quand il insistait plus que d’habitude, qu’il n’avait qu’une envie : celle de me prendre par derrière avec sauvagerie. Mais je ne pouvais m’y résoudre, non pas par crainte de la douleur ou de la gêne due à ma jambe manquante, mais seulement à cause de mon besoin de garder la situation sous contrôle.
Till finit par s’habituer à ma mauvaise humeur, s’en amusant souvent, soit en répondant à mes sarcasmes avec encore plus de cynisme, soit en roulant les yeux d’exaspération pour me faire taire. Et je ne lui en voulais pas. Au contraire ! J’aimais son regard franc et ses paroles spontanées, toujours prêts à me remettre sur la route. Avec Till, je me sentais presque humain à nouveau – avec lui, j’avais l’impression de vivre pour quelqu’un.
Pour quelqu’un. Pas pour moi. Voilà tout le problème.

Lors d’une sortie en famille, car Till avait réussi à récupérer la garde de ses fils et Khira et Marie-Louise nous avaient rejoints, je prétendis avoir besoin d’une pause. Nous nous fixâmes un certain parc comme point de rendez-vous pour le pique-nique et ils continuèrent jusqu’au bois alentour pendant que je revenais vers le centre-ville. Je me dirigeai directement vers ma banque et demandai au guichet, sans même dire Bonjour, s’ils avaient reçu la somme que j’avais demandée trois jours plus tôt.
‘758 000 euros… Herr Kruspe, le compte est bon,’ fit la guichetière sans oser lever les yeux sur mes cicatrices.
‘Bien.’
‘Désirez-vous un sac pour…’
‘Non, non, j’ai mon sac à dos. Mettez tout dedans !’
Une grosse somme pour une petite succursale de banque, avouons-le – d’ailleurs, le directeur avait été quelque peu sonné par ma requête trois jours plus tôt.
‘758 000 euros ?’
‘Oui.’
‘Eh bien…’
‘Ne me demandez pas pour quoi faire. Je veux juste cette somme.’
‘Très bien.’
Ne me demandez pas non plus pourquoi 758 000, et pas 759 000 ou 757 985 – j’avais choisi cette somme un peu au hasard, en restant dans l’optique : laisser 200 000 euros pour Khira, et 100 000 pour Merlin. En enlevant ces 300 000 de mon compte principal ce jour-là, j’étais arrivé à 758 000 environ. Ce fut donc la somme que je retirai – grosse somme, oui, et toute en coupures de 500 – somme qui, pourtant, pesait peu sur mon dos. Etonnée par le volume du sac, Khira me demanda même ce qu’il y avait dedans.
‘Rien à manger, grosse vache !’
‘Hey !!’
Elle fit semblant de me taper sur la tête avec une chemise en plastique, dans laquelle elle range ses cours d’Economies qu’elle ne révise pas, et je vis Till regarder mon sac d’un air sceptique, mais il ne dit mot, et nous rentrâmes à la maison sans qu’aucune autre question sur mon sac plein de billets roses soit posée.
Le lendemain, vers quatre du matin, je me levai sans bruit du lit de Till, où il ronflait encore, et appelai un taxi. Je fis sommairement ma valise, attrapai le sac à euros, et laissai sur mon oreiller ce mot pour Till :

« Ne t’inquiète pas si tu ne me trouves pas. Je suis quelque part et je vais bien. Je t’embrasse. Richard. »

Je ressentis l’envie de l’embrasser mais la peur de le réveiller m’en désista. J’eus un sourire en l’imaginant se lever avec sa mauvaise humeur de vieil ours mal léché – c’est que j’avais fini par l’apprécier comme ça aussi, au fond. Mais voilà : j’avais tout planifié depuis une semaine – c’était aujourd’hui ou jamais.
Le taxi me conduisit à l’aéroport de Schwerin où j’embarquai pour mon vol aller simple sans me soucier du regard intrigué des gens alentour. Personne ne me reconnut ; personne ne savait où j’allais. Et c’était tout aussi bien ainsi.



EPILOGUE

Tampon de la Poste : en provenance de Sydney.

Cher Till,
Je t’écris cette lettre avant tout pour te rassurer. Te connaissant, tu es en train de remuer ciel et terre pour me retrouver. Je ne veux pas que tu te tues à la tâche pour rien. Sache que je suis parti, et que je ne reviendrai pas.
Non, je te ne dirai pas où je suis. Rien ne sert de me chercher via le tampon de la poste non plus. Je serai déjà ailleurs quand tu arriveras ici. Je bouge souvent ; change de pays dès que l’envie me prend, ou dès que les gens commencent à repérer le monstre hideux que je suis. J’erre dans les grandes villes surtout, sauf celles où je risque de croiser des connaissances – au final, toutes sauf Berlin et NYC – car même si le regard des autres me fait flipper, il me rassure aussi. Je me sens bien dans les grandes villes – je m’y sens anonyme.
Je prends l’avion avec un faux passeport (oui, j’ai tout prévu, Till – tu me connais) ou je me contente du train. Je loge dans les hôtels miteux où on me laisse mentir sur mon identité. J’évite les jeunes qui pourraient connaître Rammstein et savoir qu’on me recherche. Je vis dans le dénuement ou presque – il n’y a que mon iPod qui me rappelle nos moments de gloire, ta voix rythmant mes pas lorsque je rôde, claudiquant, dans les quartiers sombres.
Je ne sais pas encore combien de temps je pourrai tenir avec l’argent que j’ai emporté, et pour être franc, ça m’est bien égal. Quand je n’aurai plus d’argent, je me laisserai crever. Comme un vieux chien abandonné sur la route. Tu auras remarqué, si tu as déjà eu l’idée de faire vérifier les mouvements sur mon compte pour me retrouver, que je t’ai donné procuration dessus. Fais ce que tu veux de l’argent qui reste – donne-le à Khira et Merlin s’ils en ont besoin – ou plutôt, s’ils le veulent. Je ne viendrai pas le réclamer.

Je n’ai pas envie qu’on me retrouve car je souffre en ta présence – je ne me sens plus moi-même parmi mes proches – non pas parce que vous m’êtes étrangers, mais parce que c’est moi qui me sens méconnaissable auprès de vous tous.
S’il te plaît, oublie-moi. Je sais que c’est peut-être trop de demander, mais j’en ai besoin. Tu as été formidable ces derniers mois, Till, je te jure que je m’en souviendrai toujours. Tu as été le meilleur ami, le père dont j’avais cruellement besoin – l’amant aussi, même si ce fut un peu court…j’en suis désolé. Pardonne-moi ça, même si tu ne le veux pas. Je sais combien tu t’es donné de mal – tous les efforts que tu as faits pour moi, pour me remettre sur pieds. Ce n’était pas en vain, crois-moi ! C’est juste que…

Vois-tu, je veux qu’on se souvienne de moi comme j’étais avant – je veux rester la rock star qui brillait sous les projecteurs et derrière les lances-flammes, comme un soleil ardent – qui s’embrasa un jour sur scène – et qui en mourut.
Même si ce n’est pas vrai.
Je t’en prie, Till, oublie-moi pour toi.
Je t’aime.

Richard.

NB:
[1] glühend : ardent, brûlant en allemand

jeudi 1 octobre 2009

Glühend - 9

9

‘Qu’est-ce que je voulais dire déjà ?’ réfléchit Paul à voix haute.
Till se leva en un éclair, se recoiffa, garda la tête baissée.
‘Heu…’ hésitai-je, à la recherche d’une excuse à donner.
‘Non, j’ai oublié,’ déclara Paul en nous fuyant du regard.
Je n’avais aucune idée de l’attitude à adopter. Embrasser Till m’avait littéralement coupé le souffle et reprendre mes esprits n’était pas aussi simple. Till me fit faux bond en trouvant une excuse bidon pour sortir de la chambre au plus vite. Il n’y avait plus que moi et Paul, qui lui aussi cherchait une bonne raison pour s’éclipser.
‘Je vais tout t’expliquer.’
‘De quoi ?’
‘Ce que t’as vu.’
‘Qu’est-ce que j’ai vu ?’
‘Paul…’
‘C’est pas mes affaires !’
Je soupirai tandis qu’il se balançait d’un pied sur l’autre, avec les mains dans les poches et l’envie de se faire encore plus petit qu’il ne l’était.
‘Après tout, vous êtes deux adultes consentants ; vous faites ce que vous voulez,’ hésita-t-il à nouveau en tripotant une poche à perfuser vide abandonnée sur la table.
‘Paul…’
‘Non mais c’est vrai ! C’est tout ce que je pense.’
‘Tu vas me laisser en placer une ?’
‘Hein ? Heu…d’accord.’
‘Tu veux bien venir t’asseoir ?’
‘Heu…je sais pas trop.’
‘Je vais pas te manger !’
‘Ah ? bon…Okay.’
Paul s’approcha lentement, tira le fauteuil vers lui, posa le paquet de Till par terre et s’assit à bien deux mètres de moi, sans me regarder. Sur le coup, je me dis qu’il était sûrement préférable de le laisser partir et d’attendre le retour de Till, mais en même temps, je ressentais le besoin pressant de me confier à quelqu’un. Et c’est ce que je fis. Sous les yeux ébahis de Paul, qui ne savait décidément pas comment réagir, je lui racontai tous mes doutes : à quel point je me faisais horreur et comment Till avait réussi à me redonner un peu d’amour propre alors que j’étais devenu détestable pour tous mes proches. Je lui avouai aussi comment j’avais décelé les sentiments de Till envers moi, et comment j’avais fini par accepter les miens envers lui, que j’avais pourtant choisi d’enfouir tout au fond de moi. Enfin, je lui demandai si lui aussi s’était déjà retrouvé dans une situation gênante.
‘…où on a l’impression de ressentir quelque chose qu’on ne devrait pas, ou plutôt qu’on ne veut pas, parce qu’on croit que ça va tout compliquer, alors que les choses pourraient être plus simples ; où on a envie d’annihiler ses envies parce qu’on croit que l’autre préfère qu’elles n’existent pas…’
‘Oui.’
Je le regardai, étonné.
‘Oui, je sais ce que c’est.’
‘Ah bon ?’
‘C’est un peu à cause de ça que j’ai divorcé, en fait,’ fit-il en se grattant derrière la tête.
Je ne comprenais toujours pas. Je séchai mes larmes et me redressai pour l’écouter. Paul cala ses mains entre ses genoux, baissa un peu la tête et me lança un regard indécis.
‘Sina supportait pas un truc chez moi. Elle trouvait ça…pervers, qu’elle disait.’
Je fronçai les sourcils. Je ne m’attendais pas vraiment à ce que Paul se confiât à son tour. Je voulais juste lâcher du lest de mon côté, pour mon bien-être – et pas devoir écouter son lot de malheur. Mais j’avoue : j’étais, je suis et je resterai un sale petit curieux.
‘Et c’est quoi ?’
‘C’est…c’est gênant…’
‘Tu peux me le dire : je raconterai à personne.’
‘Je suis…’
‘Oui ?’
‘Je suis fasciné par…par les pieds.’
Je retins un fou rire. Je m’attendais à un truc plus grave – à une vraie perversion !
‘Les pieds ?’
‘Oui. J’aime les regarder et…les masser…’
‘En général, c’est bien, non ?’
‘Oui. Sina aimait bien que je m’en tienne à ça. Mais…des fois, elle trouvait que j’allais trop loin. Quand je lui demandais d’aller acheter des chaussures, par exemple.’
‘Ben, les femmes aiment bien le shopping donc…’
‘Ouais, sauf que moi, je voulais qu’elle essaye toutes les chaussures à talon aiguille du magasin.’
‘A chaque fois ?’
‘Oui.’
‘Ah.’
‘Et puis…elle trouvait que j’allais trop loin quand je voulais lui lécher les pieds, que c’était une perversion.’
‘Le fétichisme, c’est pas une perversion ; c’est une déviance.’
Paul eut l’air interloqué.
‘Oui, les mecs qui sont fascinés par les pieds comme ça, on les appelle des fétichistes. Et il y a rien de mal à ça ; c’est pas comme la pédophilie – ou la zoophilie – ça, c’est une perversion parce que c’est moralement inacceptable. Le fétichisme, c’est comme…comme…’
‘L’homosexualité ?’
Je le dévisageai.
‘Oui, si tu veux. C’est une déviance aussi parce que moralement, c’est pas…mal ; c’est juste qu’il y a des gens qui trouvent pas ça normal ou naturel, soi-disant…’
Paul hocha la tête.
‘Donc…si je comprends bien…toi et Till, ça fait un moment que vous êtes ensemble ?’
‘Ah non, ça fait juste depuis…aujourd’hui.’
Paul fronça les sourcils, un sourire aux lèvres.
‘Ben, vous allez vite en besogne !’
‘Comment ça ?’
‘Vous étiez à deux doigts de coucher ensemble quand je suis arrivé !’ ricana Paul.
‘Hein ?…heu…non, enfin…pas forcément…ça dépend…’
Paul se mit à glousser.
‘Oui, bon, peut-être,’ admis-je. ‘Je sais pas.’
Je regardai par la fenêtre.
‘Tu sais, Paul, je croyais que plus jamais…je…je me sentirais humain à nouveau. Et…encore aujourd’hui…j’ai l’impression que j’aurai…j’aurai toujours peur.’
‘Peur de quoi ?’
‘Peur du regard des autres. Tu vas dire que je suis superficiel…’
‘Tu es superficiel.’
‘Merci, ça m’aide beaucoup,’ répliquai-je avec mauvaise humeur.
‘Non, mais c’est vrai ! T’as toujours été superficiel. Ou plutôt…je veux dire…tu es quelqu’un de très attaché à ton apparence – c’est pas forcément un défaut ; c’est juste…que chez toi, c’est…c’est mal tombé. Tu es vraiment le dernier sur terre qui méritait ça…ce qui t’est arrivé, cet accident… Pour être franc, je me demandais encore ce que Till pouvait bien te faire pour que tu ne passes pas à l’acte, comme aujourd’hui.’
‘Je sais pas…sûrement son regard…il est dénué de préjugés. Quand il me regarde, j’ai l’impression d’être comme avant…parce qu’avant, il a jamais fait attention à mon physique… C’est pas clair, hein ?’
‘Si, si…’
‘En tout cas, il ne me regarde pas comme les autres ; il me regarde pas comme toi, par exemple. Toi, tu baisses les yeux dès que je parle de ça. La preuve ! Là, tu regardes les pieds du lit, ou je-ne-sais-quoi ! Alors que c’est moi qui te parle ! Till, lui, il me regarde en face, même quand je l’envois chier. C’est comme si mes cicatrices, il ne les voyait pas. Comme si…comme si je n’étais pas défiguré.’
Paul sortit un mouchoir de sa poche et me le tendit, visiblement peiné de me voir pleurer.
‘Je suis désolé.’
‘Non, c’est pas grave,’ dis-je avant de me moucher. ‘Il n’y a pas que toi. Les autres, aussi, c’est pareil. Et puis, les gens dans la rue… C’est horrible, il y a trop de gens dehors – quand je sors, ils me regardent tous – et ils me jugent, je le vois…je peux pas le supporter.’
Paul hocha la tête.
‘Il ne te reste plus qu’à déménager à la campagne,’ fit-il.
‘C’est censé être drôle ?’
‘Heu…non.’
Je soupirai – pas vraiment à cause de lui ; plutôt à cause de mes réactions, que je n’arrivais toujours pas à contrôler. Paul ramassa le paquet de Till.
‘C’est quoi ?’
‘Une prothèse.’
‘Pour ta jambe ?’
‘Non, pour ton cerveau.’
‘Heu…j’aime autant que Richard le sarcastique la mette en sourdine, si tu veux bien.’
Je me mordis la lèvre inférieure.
‘Désolé, c’est devenu un réflexe.’
‘Pas grave. Tiens ! ça me fait penser que j’ai ça pour toi.’
Il trifouilla sa poche à la recherche d’un petit écrin bordeaux.
‘Tiens !’
‘C’est quoi ?’
‘Ben, ouvre et tu sauras !’ dit-il avec un clin d’œil.
A l’intérieur, un pendentif en argent représentant un soleil.
‘C’est pas pour te rappeler de mauvais souvenirs ; c’est juste parce que j’ai toujours pensé que tu es un battant – alors j’ai décidé de te le rappeler !’ déclara-t-il en souriant. ‘Par contre…ça n’a rien à voir avec un bijou qu’on offre entre amoureux, je précise…au cas où.’
J’éclatai de rire.
‘T’es pas mon genre, Paul !’
‘Tant mieux !’ fit-il, soulagé.

[et la fin? ici! http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/10/gluhend-10-et-epilogue.html ]

Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...