jeudi 1 octobre 2009

Glühend - 9

9

‘Qu’est-ce que je voulais dire déjà ?’ réfléchit Paul à voix haute.
Till se leva en un éclair, se recoiffa, garda la tête baissée.
‘Heu…’ hésitai-je, à la recherche d’une excuse à donner.
‘Non, j’ai oublié,’ déclara Paul en nous fuyant du regard.
Je n’avais aucune idée de l’attitude à adopter. Embrasser Till m’avait littéralement coupé le souffle et reprendre mes esprits n’était pas aussi simple. Till me fit faux bond en trouvant une excuse bidon pour sortir de la chambre au plus vite. Il n’y avait plus que moi et Paul, qui lui aussi cherchait une bonne raison pour s’éclipser.
‘Je vais tout t’expliquer.’
‘De quoi ?’
‘Ce que t’as vu.’
‘Qu’est-ce que j’ai vu ?’
‘Paul…’
‘C’est pas mes affaires !’
Je soupirai tandis qu’il se balançait d’un pied sur l’autre, avec les mains dans les poches et l’envie de se faire encore plus petit qu’il ne l’était.
‘Après tout, vous êtes deux adultes consentants ; vous faites ce que vous voulez,’ hésita-t-il à nouveau en tripotant une poche à perfuser vide abandonnée sur la table.
‘Paul…’
‘Non mais c’est vrai ! C’est tout ce que je pense.’
‘Tu vas me laisser en placer une ?’
‘Hein ? Heu…d’accord.’
‘Tu veux bien venir t’asseoir ?’
‘Heu…je sais pas trop.’
‘Je vais pas te manger !’
‘Ah ? bon…Okay.’
Paul s’approcha lentement, tira le fauteuil vers lui, posa le paquet de Till par terre et s’assit à bien deux mètres de moi, sans me regarder. Sur le coup, je me dis qu’il était sûrement préférable de le laisser partir et d’attendre le retour de Till, mais en même temps, je ressentais le besoin pressant de me confier à quelqu’un. Et c’est ce que je fis. Sous les yeux ébahis de Paul, qui ne savait décidément pas comment réagir, je lui racontai tous mes doutes : à quel point je me faisais horreur et comment Till avait réussi à me redonner un peu d’amour propre alors que j’étais devenu détestable pour tous mes proches. Je lui avouai aussi comment j’avais décelé les sentiments de Till envers moi, et comment j’avais fini par accepter les miens envers lui, que j’avais pourtant choisi d’enfouir tout au fond de moi. Enfin, je lui demandai si lui aussi s’était déjà retrouvé dans une situation gênante.
‘…où on a l’impression de ressentir quelque chose qu’on ne devrait pas, ou plutôt qu’on ne veut pas, parce qu’on croit que ça va tout compliquer, alors que les choses pourraient être plus simples ; où on a envie d’annihiler ses envies parce qu’on croit que l’autre préfère qu’elles n’existent pas…’
‘Oui.’
Je le regardai, étonné.
‘Oui, je sais ce que c’est.’
‘Ah bon ?’
‘C’est un peu à cause de ça que j’ai divorcé, en fait,’ fit-il en se grattant derrière la tête.
Je ne comprenais toujours pas. Je séchai mes larmes et me redressai pour l’écouter. Paul cala ses mains entre ses genoux, baissa un peu la tête et me lança un regard indécis.
‘Sina supportait pas un truc chez moi. Elle trouvait ça…pervers, qu’elle disait.’
Je fronçai les sourcils. Je ne m’attendais pas vraiment à ce que Paul se confiât à son tour. Je voulais juste lâcher du lest de mon côté, pour mon bien-être – et pas devoir écouter son lot de malheur. Mais j’avoue : j’étais, je suis et je resterai un sale petit curieux.
‘Et c’est quoi ?’
‘C’est…c’est gênant…’
‘Tu peux me le dire : je raconterai à personne.’
‘Je suis…’
‘Oui ?’
‘Je suis fasciné par…par les pieds.’
Je retins un fou rire. Je m’attendais à un truc plus grave – à une vraie perversion !
‘Les pieds ?’
‘Oui. J’aime les regarder et…les masser…’
‘En général, c’est bien, non ?’
‘Oui. Sina aimait bien que je m’en tienne à ça. Mais…des fois, elle trouvait que j’allais trop loin. Quand je lui demandais d’aller acheter des chaussures, par exemple.’
‘Ben, les femmes aiment bien le shopping donc…’
‘Ouais, sauf que moi, je voulais qu’elle essaye toutes les chaussures à talon aiguille du magasin.’
‘A chaque fois ?’
‘Oui.’
‘Ah.’
‘Et puis…elle trouvait que j’allais trop loin quand je voulais lui lécher les pieds, que c’était une perversion.’
‘Le fétichisme, c’est pas une perversion ; c’est une déviance.’
Paul eut l’air interloqué.
‘Oui, les mecs qui sont fascinés par les pieds comme ça, on les appelle des fétichistes. Et il y a rien de mal à ça ; c’est pas comme la pédophilie – ou la zoophilie – ça, c’est une perversion parce que c’est moralement inacceptable. Le fétichisme, c’est comme…comme…’
‘L’homosexualité ?’
Je le dévisageai.
‘Oui, si tu veux. C’est une déviance aussi parce que moralement, c’est pas…mal ; c’est juste qu’il y a des gens qui trouvent pas ça normal ou naturel, soi-disant…’
Paul hocha la tête.
‘Donc…si je comprends bien…toi et Till, ça fait un moment que vous êtes ensemble ?’
‘Ah non, ça fait juste depuis…aujourd’hui.’
Paul fronça les sourcils, un sourire aux lèvres.
‘Ben, vous allez vite en besogne !’
‘Comment ça ?’
‘Vous étiez à deux doigts de coucher ensemble quand je suis arrivé !’ ricana Paul.
‘Hein ?…heu…non, enfin…pas forcément…ça dépend…’
Paul se mit à glousser.
‘Oui, bon, peut-être,’ admis-je. ‘Je sais pas.’
Je regardai par la fenêtre.
‘Tu sais, Paul, je croyais que plus jamais…je…je me sentirais humain à nouveau. Et…encore aujourd’hui…j’ai l’impression que j’aurai…j’aurai toujours peur.’
‘Peur de quoi ?’
‘Peur du regard des autres. Tu vas dire que je suis superficiel…’
‘Tu es superficiel.’
‘Merci, ça m’aide beaucoup,’ répliquai-je avec mauvaise humeur.
‘Non, mais c’est vrai ! T’as toujours été superficiel. Ou plutôt…je veux dire…tu es quelqu’un de très attaché à ton apparence – c’est pas forcément un défaut ; c’est juste…que chez toi, c’est…c’est mal tombé. Tu es vraiment le dernier sur terre qui méritait ça…ce qui t’est arrivé, cet accident… Pour être franc, je me demandais encore ce que Till pouvait bien te faire pour que tu ne passes pas à l’acte, comme aujourd’hui.’
‘Je sais pas…sûrement son regard…il est dénué de préjugés. Quand il me regarde, j’ai l’impression d’être comme avant…parce qu’avant, il a jamais fait attention à mon physique… C’est pas clair, hein ?’
‘Si, si…’
‘En tout cas, il ne me regarde pas comme les autres ; il me regarde pas comme toi, par exemple. Toi, tu baisses les yeux dès que je parle de ça. La preuve ! Là, tu regardes les pieds du lit, ou je-ne-sais-quoi ! Alors que c’est moi qui te parle ! Till, lui, il me regarde en face, même quand je l’envois chier. C’est comme si mes cicatrices, il ne les voyait pas. Comme si…comme si je n’étais pas défiguré.’
Paul sortit un mouchoir de sa poche et me le tendit, visiblement peiné de me voir pleurer.
‘Je suis désolé.’
‘Non, c’est pas grave,’ dis-je avant de me moucher. ‘Il n’y a pas que toi. Les autres, aussi, c’est pareil. Et puis, les gens dans la rue… C’est horrible, il y a trop de gens dehors – quand je sors, ils me regardent tous – et ils me jugent, je le vois…je peux pas le supporter.’
Paul hocha la tête.
‘Il ne te reste plus qu’à déménager à la campagne,’ fit-il.
‘C’est censé être drôle ?’
‘Heu…non.’
Je soupirai – pas vraiment à cause de lui ; plutôt à cause de mes réactions, que je n’arrivais toujours pas à contrôler. Paul ramassa le paquet de Till.
‘C’est quoi ?’
‘Une prothèse.’
‘Pour ta jambe ?’
‘Non, pour ton cerveau.’
‘Heu…j’aime autant que Richard le sarcastique la mette en sourdine, si tu veux bien.’
Je me mordis la lèvre inférieure.
‘Désolé, c’est devenu un réflexe.’
‘Pas grave. Tiens ! ça me fait penser que j’ai ça pour toi.’
Il trifouilla sa poche à la recherche d’un petit écrin bordeaux.
‘Tiens !’
‘C’est quoi ?’
‘Ben, ouvre et tu sauras !’ dit-il avec un clin d’œil.
A l’intérieur, un pendentif en argent représentant un soleil.
‘C’est pas pour te rappeler de mauvais souvenirs ; c’est juste parce que j’ai toujours pensé que tu es un battant – alors j’ai décidé de te le rappeler !’ déclara-t-il en souriant. ‘Par contre…ça n’a rien à voir avec un bijou qu’on offre entre amoureux, je précise…au cas où.’
J’éclatai de rire.
‘T’es pas mon genre, Paul !’
‘Tant mieux !’ fit-il, soulagé.

[et la fin? ici! http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/10/gluhend-10-et-epilogue.html ]

4 commentaires:

  1. Excellent!!
    "Je soupirai tandis qu’il se balançait d’un pied sur l’autre, avec les mains dans les poches et l’envie de se faire encore plus petit qu’il ne l’était." MDR j'imagine trop le truc!!

    Bon, j'ai eu de la lecture là, 4 chapitres à rattraper!!! mais j'adooooore!!! (le pire c'est que toi et moi, on a toujours les mêmes idées au même moment pour les fiction (tu comprendras quand j'aurais fini ma nouvelle). Till est extraordinaire dans ta fiction, je l'aime je l'adore, Richard est touchant mais c'est différent. On se demande presque s'il ne serait pas tombé amoureux de lui juste parce qu'il est le seul à rester là pour lui malgré son visage actuel... (je suis claire?lol)
    Paul me fait bien rire en tout cas...XD
    Vivement la suite!!
    Bisous

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  2. J'ai pas mal rigolé pendant la lecture de ce nouveau chapitre ! J'ai surtout adoré le : " et l’envie de se faire encore plus petit qu’il ne l’était." à propos de Paul. MDR, j'en ris encore d'ailleurs ! XD Pas mal le coup du fétichisme des pieds pour notre ami Paulo ^^ Ca me fait penser qu'il y un gars sur Rouen qui aborde les jeunes filles dans la rue pour leur demander de regarder leurs pieds. Je l'ai déjà rencontré, mdr ^^ Enfin, je m'éloigne du sujet. Comme d'habitude : vivement la suite ! (:

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  3. "T'es pas mon genre Paul!"

    mdr..! Paul qui aime les pieds, c'est intéressant tout ca!! J'ai hate de voir la reaction des autres... Vont-ils le dire?? ... Mhhh c'est a voir dans le prochain!!! :)

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  4. J'ai pas arreter de pouffer de rire tous le long de ce chapitre vraiment hilarant et puis cette histoire de pieds =D

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Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...