III – L’homme en gris
Je
sais que je suis dans un état pitoyable. Je sais que je ne devrais pas boire
autant. Mais je n’y peux rien : je n’arrive pas à dormir sinon. Je
n’arrive pas à rire non plus, ou à éviter de pleurer. Je ne m’estime pas être
alcoolo. Je ne me réveille pas avec un verre dès le matin quand même ! Le
matin, je dors. Par contre, j’arrose mes soirées, ça, c’est certain.
‘T’as bientôt cinquante ans, abruti ! Arrête de
foirer ta vie comme ça !… Ça en devient plus que déplorable !’
C’est
ce que Schneider m’a sorti ce matin quand il m’a réveillé à quatorze heures
passées. Ce qu’il ne sait pas, c’est que je n’ai pas réussi à dormir cette nuit
– encore une nuit blanche. On pourrait croire que je fais la fête tous les
soirs comme lorsque nous étions en tournée, sauf qu’il n’y a plus de tournée en
réalité, ni même de fête, d’ailleurs. Plus personne ne veut m’inviter – il
paraît que je deviens insupportable. Je ne bois pas trop pourtant. Je bois
juste assez pour effacer les cauchemars. S’ils ne comprennent pas ça, c’est
leur problème.
‘Tu devrais aller voir un psy.’
Ça,
c’est l’idée lumineuse de Richard, toujours de très bons conseils, comme on peut
le constater. Le problème, c’est que je ne supporte pas ces charlatans et, vue
la manière dont ils ont réussi à grossir son égo déjà surdimensionné, j’ose à
peine imaginer ce qu’ils pourraient faire de moi, le mythomane accompli.
‘Toi aussi, tu trouves que je bois comme un
trou ?’
‘Heu… je sais pas trop…’
Olli
n’est pas mieux, toujours indécis, incapable de froisser qui que ce soit. Seuls
Till et Flake me foutent la paix. Till dit qu’il me comprend. Flake ne dit rien
mais n’en pense pas moins. Je préfère leur attitude – avec eux, pas besoin de
me mettre à chialer en racontant mes doutes et mes craintes. Me voir sursauter
en me réveillant en sueurs sur le siège dans l’avion leur a suffi.
Les cauchemars sont
incessants : mains ensanglantées venues de nulle part pour m’étrangler,
ombre éplorée prête à me crier que je ne suis qu’un lâche, qu’un imbécile, qu’une
loque humaine, indigne de vivre… Sans l’alcool, j’en pourrais devenir fou à
lier !
Je
n’aime pas parler de mes cauchemars d’habitude… T’as pas une cigarette ?
Ma
séparation ? Il n’y a presque rien à dire à ce sujet. De toute façon, ça
ne se passait déjà pas très bien entre moi et Maja avant le…enfin bref !
La routine qui s’est installée, je suppose. C’est que je n’ai jamais vraiment
aimé Maja. Je sais que ce n’est pas très honnête de ma part, mais je n’ai
jamais aimé sa superficialité d’esthéticienne, jamais apprécié son air énamouré
de groupie, jamais supporté sa fascination pour Maja l’Abeille, dont elle a
tous les produits dérivés. C’est pour ça que je faisais semblant d’ignorer ses
remarques quand elle commençait à parler de mariage, même si la raison officielle
que je lui servais systématiquement, à savoir le fait que je ne veuille pas
perdre mon nom d’époux, adopté lors d’un mariage expéditif et conservé après un
divorce tout aussi expéditif, reste bel et bien valide. Me remarier
signifierait soit devoir prendre le nom de ma nouvelle femme (Maja et Paul
Strauss ? Non merci.), soit retrouver le nom de mon père, Hiersche (pas vraiment
le nom d’une rockstar, franchement…).
De plus, j’ai déjà un divorce
à mon compteur. Remettre le couvert ? Sans façon. Maja a des qualités,
n’empêche, un peu comme une très bonne copine avec qui je pouvais parler
pendant des heures de tout et de rien – avec qui je couchais aussi. Je
sais : normalement, on ne couche pas avec sa meilleure amie, surtout si on
commence à parler plus de rien que de tout avec elle. Mais rester avec elle
était une facilité, d’autant plus à mon âge, où se mettre dans un nouveau
couple, c’est prendre le risque de se faire plumer par la première jolie
tourterelle venue. Sans parler du fait que la relation passionnelle, j’avais
déjà essayé avec mon ex-femme, et ça avait résulté en pas mal de vaisselle
brisée. Je me disais donc : le truc de la bonne copine, pourquoi ne pas
essayer ? Mais de toute évidence, je n’avais pas prévu de n’avoir plus
aucun désir envers Maja après à peine une dizaine d’années.
J’avoue
qu’à un moment, j’avais même cru être impuissant. A la quarantaine seulement…
C’est navrant, je sais. Aujourd’hui, je me rassure en blâmant mon manque de
sommeil, ou mon ennui permanent. Après tout, je ne ressens plus rien non plus
envers les autres femmes…
J’arrête
là – la sexualité d’un mec de presque cinquante balais n’intéresse personne.
La
semaine dernière, quand Richard est passé me voir, il m’a fait remarquer que
j’ai grossi. Je lui ai répliqué que c’est le gris qui fait ça. Richard m’a
rétorqué que c’est le blanc et les rayures qui font grossir, pas le gris. J’ai
explosé de rire. De toute évidence, Richard n’était pas d’humeur à plaisanter, ou
même dans la capacité de comprendre mes blagues, puisqu’il ne m’a renvoyé qu’un
petit rictus complaisant. J’ai cru l’entendre chuchoter :
‘Abruti.’
Mais
je n’ai pas vraiment fait gaffe. Je n’étais pas bourré, juste un peu joyeux.
C’est devenu presque systématique avec moi. Je suis joyeux, antiphrase qui n’exprime
que le mal-être que je cache en vain.
Richard venait principalement
pour discuter de la copine de Till, qu’il n’apprécie toujours pas (en même
temps, personne ne l’aime, cette gonzesse) et pour me demander si j’avais envie
de participer à son prochain album d’Emigrate. Schneider et Olli auraient déjà
accepté – c’est ce qu’il a ajouté en croyant sûrement qu’il allait plus
facilement me convaincre ainsi. Mais pour moi, c’est niet.
‘Pourquoi ?’ m’a-t-il dit, sans trop se fouler.
On dirait qu’en réalité, il
s’en foutait que je participe à son album ou pas. Serait-ce juste pour la forme
qu’il me le demande ?
‘Emigrate, c’est naze ! Et puis, c’est
seulement une tentative désespérée de remettre Rammstein sur pied en en
récupérant tous les lauriers. Tu m’as cru bête à ce point ?’
Richard
a peu apprécié ce que j’ai dit : ça se voyait à sa face liquéfiée, tel le
miroir de la reine dans Blanche-Neige quand il comprend qu’il a causé une
tentative de meurtre. C’est vrai qu’après tout, malgré les sempiternelles
disputes et les remises en question, Richard reste persuadé que Rammstein, c’est
surtout lui. Le miroir magique croit aussi être essentiel – il sait tout sur
tout – mais il reste un personnage secondaire… Je m’égare avec cette
comparaison.
Emigrate, ce n’est qu’une
façon détournée pour Richard de nous prouver qu’il est la vraie tête pensante de
Rammstein. Mais, en fait, j’ai refusé sa
proposition plutôt parce que je n’ai plus trop d’inspiration en ce moment. Ça
ne vient plus. Je prends ma guitare Les Paul fétiche, je démarre mon logiciel
Guitar Rig, et… rien. Nada. Que dalle. C’est limite désespérant, mais…je
préfère en rigoler. Je finis par croire parfois que je n’ai aucun talent, que
je ne suis, de toute façon, pas un compositeur dans le groupe – juste un
producteur, le mec qui critique tout ce que font les autres sans lever le petit
doigt lui-même.
L’alcool doit y être pour
quelque chose…
Je
n’ai pas vraiment de quoi me réjouir de mon existence. Je n’irai pas jusqu’à
dire que je suis pathétique. Je trouve ça tellement pathétique de dire un truc
pareil. Disons…déplorable ! Oui, le mot de Schneider marche plutôt bien.
Je suis célibataire après avoir passé près de dix années avec une femme que je
n’aime pas ; c’est déplorable. Je garde ma fille tous les week-ends même
si elle se plaint que je ne sache pas faire la cuisine comme maman ;
encore plus déplorable. Je ne m’entends pas super bien avec mon second fils,
qui m’a annoncé qu’il était gay. Pas que son homosexualité me gène ; c’est
juste que j’ai l’impression qu’il ne me dit pas tout : il s’habille et se
maquille comme les rockeurs japonais et se comporte de plus en plus comme une
fille – et s’acharne pour qu’on l’appelle Tanja au lieu de Thomas…
Son frère aîné, Emil, m’a
dit que je devrais le surveiller, faire attention à ce qu’il mange et à ce
qu’il prend – je sais qu’il n’est pas anorexique (j’étais aussi maigre à son
âge) et je me doute un peu qu’il se drogue, mais j’ai comme le sentiment que je
n’ai pas vraiment envie de savoir ce qu’il prend – ça n’a probablement rien à
voir avec les « stimulants » que moi, je prenais. Emil me répète que
ça peut être hyper dangereux de prendre des hormones à l’âge de Thomas. J’ai
toujours trouvé Emil un peu rabat-joie, j’avoue. Il est si peu subtil, ce mec. Mais
Flake est d’accord avec lui. Pourtant, aucun des deux n’a fait d’études de
médecine, sans vouloir offenser qui que ce soit – mais je dis ça, je dis rien…
Je
n’aime pas trop qu’on me dise comment élever mes gosses. Encore moins si c’est
mon meilleur ami, ou pire, mon propre fils, qui fait la leçon. Je trouve
ça…pathétique en fait.
Je
m’égare, on dirait. C’est que je n’aime pas expliquer pourquoi mon comportement
n’a rien de pathologique. Je suis juste dans ma phase « j’emmerde le monde
et il me le rend bien ! » Je n’aime pas trop parler de cette pauvre
gamine non plus. Même si ça m’a fait du bien de savoir que c’est peut-être elle
qui est venue mettre un peu le foutoir à la FNAC à Paris. Y penser me fait
sourire, j’avoue. Bien sûr, je me rends compte combien ma décision de parler
d’elle, de ce qui lui est arrivé, comme ça, publiquement, n’était sûrement pas
la meilleure idée qui me soit passée par la tête. Je sais que j’ai dû la rendre
mal à l’aise – la faire souffrir peut-être aussi, me ridiculisant au passage
par mon appel vain. Mais j’avais besoin de savoir qu’elle était encore en vie.
Je me sentais vraiment trop coupable de n’avoir pas su réagir comme il fallait
le jour de son…enfin, voilà. Je sais aussi que j’ai dû passer pour un nigaud
devant les fans en avouant devant la caméra que tout ce que j’avais pu faire ce
soir-là, c’était de demander à Emu, notre manager, d’appeler les flics, qui s’étaient
retrouvés comme des cons car j’avais été incapable de décrire la victime ou
même l’agresseur :
‘Heu… Le type, je ne l’ai pas vraiment vu. Mais elle
oui. Elle a les cheveux…noirs, je crois. Ou bruns. Foncés en tout cas. Et il y
avait quelque chose sur sa joue. Ou alors elle était blessée ? Je sais pas
trop… Heu… Ah si ! je me souviens qu’elle avait un truc sur la poitrine.
Elle avait des trucs écrits… heu… c’était quoi déjà ? Il faisait sombre
alors j’ai pas trop bien vu…’
‘Concrètement, pouvez-vous donner un signe
distinctif ? N’importe quoi qui pourrait nous aider à l’identifier ?’
‘Heu…je crois que c’était peut-être un tatouage sur
sa poitrine.’
Par
la suite, j’ai passé des mois à me triturer la cervelle pour redessiner ce tatouage
– en vain. L’image est toujours floue dans mon cerveau groggy. Au final, les
flics avaient conclu machinalement :
‘Bon, on va faire avec. On va lancer un avis de
recherche dans les hôpitaux de la ville, mais je vais être franc avec
vous : si elle ne vient pas d’elle-même au poste pour porter plainte, il y
a peu de chances de la retrouver et de régler cette affaire.’
Le
flic s’était surtout adressé à Mathilde, l’épouse de notre manager. Elle avait joué
les interprètes. Elle avait posé sa main sur mon épaule et avait sûrement essayé
de traduire mes mots de manière à ce que j’eusse l’air moins con devant les policiers.
Till aussi avait été à côté de moi et avait pris son air sérieux des mauvais
jours. Les autres étaient à l’écart et s’étaient chuchoté des trucs entre eux,
Olli me fixant d’un regard peiné. Quelques heures plus tard, à l’hôtel, Emu était
venu me dire que les flics n’avaient trouvé aucune trace d’une fille,
correspondant au signalement, admise dans un hôpital ou une clinique de la
ville, et qu’ils avaient quadrillé les rues alentour à la recherche d’un corps.
Je me souviens que j’avais serré le foulard dans mes mains, en tremblotant. Emu
et Olli, restés dans ma chambre pour me tenir silencieusement compagnie, avaient
voulu me conduire à l’hôpital mais j’avais refusé mordicus. Je n’avais pas eu besoin
de calmant. J’avais juste voulu qu’on la retrouvât.
Parfois,
oui, je me sens coupable d’avoir créé tout ce remue-ménage alors que, de toute
évidence, elle voulait qu’on la laisse tranquille. Mais je suis content qu’elle
soit venue à la séance de dédicace à Paris – déçu qu’elle soit partie comme ça
– mais content quand même qu’elle ait choisi de me faire savoir qu’elle était
en vie. Enfin, si c’était bien elle…
Oh ! et je n’y ai pas
trop perdu au change. Elle a laissé traîner pas mal de papiers derrière elle !
Till était plutôt ravi de la lecture d’ailleurs. Bizarrement, c’est à lui que
les fans ont donné les feuilles volantes. En même temps, ça paraît plus logique
quand on y repense. Juste des poèmes. Le domaine de Till, quoi ! Je n’ai
voulu garder que celui-ci. Till a le reste. Il dit qu’ils sont plus recherchés,
mieux écrits, plus intéressants que celui que j’ai gardé. Mais moi, je l’aime
bien celui-ci. Et des fois, j’ai comme l’impression que Till a oublié les
initiales de mon premier nom car il n’a fait aucun rapprochement. Ou alors, il
s’est bien gardé de me le faire savoir.
H. H.
Augen,
die lachen
Augen,
die schmunzeln
Sie sehen mich wie
Das
Mädchen, das ich nicht bin
Augen,
die lachen
Augen,
die schmunzeln
Sie machen mich klein
Und schlafen nicht ein
Augen,
die lachen
Augen,
die schmunzeln
Manchmal mit Schminke
Geben
mir keinen Wink
Augen,
die lachen
Augen,
die schmunzeln
Dem
schwarzen Humor vergebe ich
Am Ende
nur Amor sehe ich.
Certes, il y a quelque chose de maso à relire ce poème. Ça fait un
moment que je n’ai plus ri ou même souri avec sincérité, je dois te dire.
L’autre
raison qui me pousse à garder ce poème, c’est qu’il est signé. Les autres non.
Je ne sais pas si c’est son vrai prénom. Mais si c’est le cas, il est très
joli, je trouve. Amaryllis. Une fleur souvent dans les dégradés rouges
ou roses, avec un long pistil et des pétales qui forment un cône. J’avoue que
j’espérais un peu tomber sur elle. Sur un blog à son nom. Si elle écrit des
poèmes, elle fait peut-être partie de ces fans qui écrivent des fan-fictions à
l’eau de rose ou homo-érotiques par centaine ? Je trouve l’activité
complètement ridicule, et je ne lis pas ces conneries, mais si ça me permettait
de la retrouver, il fallait tenter… Or, je n’ai trouvé que des sites sur le
jardinage.
J’admets
aussi que j’ai fouillé quelques forums de fans pour voir si je pouvais
retrouver quelqu’un utilisant ce prénom – ou pseudo. Encore bredouille. J’en ai
été démoralisé pendant une semaine. Une bouteille de whisky vidée en six heures
à peine – mon record. Je sais ce que tu vas dire : c’est stupide comme
réaction. J’ai parfois l’impression qu’il me sera impossible de la retrouver un
jour – ne pas la revoir aux concerts suivant de la tournée me confirmant
lugubrement dans mon pessimisme. J’ai comme l’impression que je fais une
fixette sur elle. Une sorte d’obsession maladive. C’est un peu la première fois
pour moi, alors je n’en suis pas certain non plus. Être obsédé comme ça par une
fille que je ne connais même pas – par une ombre presque – c’est nouveau pour
moi ; et je crois que c’est pour ça que je n’arrive pas très bien à gérer.
Les autres pensent sûrement que je suis devenu timbré. Ils n’ont peut-être pas
aussi tort que je le prétends. N’est-ce pas le premier signe de folie de se
parler à soi-même ?
Till
m’a dit qu’il va passer demain pour me montrer un exemplaire de son prochain
livre. Il sait que je n’aime pas parler du groupe (qui n’existe plus vraiment
désormais puisqu’on vient de lâcher l’info de la séparation sur le site –
‘incompatibilité de caractères’ : quelle belle excuse pour que les fans
croient que c’est Richard qui refait sa reine et non moi qui touche le fond) –
alors, Till se retrouve comme un con, ne sachant pas trop quoi me dire. Il sait
que me parler de gonzesses, de ses orgies, ce n’est pas la peine non plus. En général,
il finit par me parler de ses poèmes. Il m’en fait lire un, intitulé ‘Kleine
Blume’. Till répète qu’il n’y a rien de biographique dans ses poèmes, mais là,
c’est un peu trop évident pour moi. ‘Kleine Blume’ raconte l’histoire d’un mec
qui recherche désespérément une petite fleur dont il a ramassé le pétale en se
promenant. Il sait qu’il ne pourra pas la guérir en recollant le pétale au
reste de la fleur et il sait aussi qu’elle peut très bien continuer à vivre
sans son pétale manquant mais il la recherche quand même – sa promenade en
forêt devenant une longue excursion sans fin, où personne ne peut l’aider car
les plantes ne parlent pas, et où il ne cesse de se demander dans quelles
circonstances elle a pu perdre son pétale.
‘Alors ? T’en penses quoi ?’
Till
demande rarement l’opinion d’autrui sur ses textes.
‘Tu veux une critique version Flake ou version
Richard ?’
‘Les deux.’
‘Version Flake : Mmm… j’ai comme l’impression
que tu as tenté d’adopter mon point de vue en prenant la voix d’un crétin pas foutu
de comprendre que comparer une femme à une fleur est le truc le plus bateau qui
puisse exister en poésie.’
‘Pas faux.’
‘Version Richard : Ooohhh ! J’adoooore ce poème !’
‘Richard dirait plutôt qu’il aurait substituer la
fleur à un animal – que ça ferait plus gore comme ça.’
‘Exact. Sauf que le verbe substituer, dans la bouche
de Richard, c’est pas très crédible.’
Till
pouffe de rire en se tapant la cuisse ; puis il boit une gorgée de son
verre en fixant le foulard du regard. Sans mot dire. Je sais que personne
n’aime voir ce foulard sur ma table basse. Richard m’a même dit que je devrais
le laver au moins.
‘Parce que, franchement, l’odeur de sang coagulé
dans ton salon…enfin, voilà, quoi !’
Mais
je ne sais même pas à quelle température on peut laver un foulard aussi fin. Blague
à part, si je l’apporte à mon teinturier, il serait capable d’appeler la police
en disant que l’un de ses clients est un meurtrier psychopathe. Remake d’American
Psycho, façon rockeur berlinois au lieu du yuppie new-yorkais – on va
éviter !
Till est resté figé pendant
au moins deux minutes. Je crois qu’il n’a pas saisi ma blague. Puis, d’un coup,
je comprends pourquoi lui et les autres sont tous passés chez moi cette semaine
pour dire qu’ils reviendraient demain. Demain, c’est le 9 décembre. J’aurai 48
ans.
Bon, je ne vais pas me
plaindre. Till fête ses cinquante ans dans un mois. Ce sera pire pour lui. Et
je ne peux pas dire que je ne m’y attendais pas non plus… Mais voilà :
faire le bilan de sa vie à 48 ans et s’apercevoir que tout ce qu’on a construit
lors de ce presque demi-siècle s’est effondré comme un château de cartes, ça
fait mal. Une bonne raison pour se servir un autre verre.
[Suite]
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