dimanche 4 novembre 2018

Amaryllis - Chapitre III


III – L’homme en gris


                Je sais que je suis dans un état pitoyable. Je sais que je ne devrais pas boire autant. Mais je n’y peux rien : je n’arrive pas à dormir sinon. Je n’arrive pas à rire non plus, ou à éviter de pleurer. Je ne m’estime pas être alcoolo. Je ne me réveille pas avec un verre dès le matin quand même ! Le matin, je dors. Par contre, j’arrose mes soirées, ça, c’est certain.

‘T’as bientôt cinquante ans, abruti ! Arrête de foirer ta vie comme ça !… Ça en devient plus que déplorable !’
                C’est ce que Schneider m’a sorti ce matin quand il m’a réveillé à quatorze heures passées. Ce qu’il ne sait pas, c’est que je n’ai pas réussi à dormir cette nuit – encore une nuit blanche. On pourrait croire que je fais la fête tous les soirs comme lorsque nous étions en tournée, sauf qu’il n’y a plus de tournée en réalité, ni même de fête, d’ailleurs. Plus personne ne veut m’inviter – il paraît que je deviens insupportable. Je ne bois pas trop pourtant. Je bois juste assez pour effacer les cauchemars. S’ils ne comprennent pas ça, c’est leur problème.
‘Tu devrais aller voir un psy.’
                Ça, c’est l’idée lumineuse de Richard, toujours de très bons conseils, comme on peut le constater. Le problème, c’est que je ne supporte pas ces charlatans et, vue la manière dont ils ont réussi à grossir son égo déjà surdimensionné, j’ose à peine imaginer ce qu’ils pourraient faire de moi, le mythomane accompli.
‘Toi aussi, tu trouves que je bois comme un trou ?’
‘Heu… je sais pas trop…’
                Olli n’est pas mieux, toujours indécis, incapable de froisser qui que ce soit. Seuls Till et Flake me foutent la paix. Till dit qu’il me comprend. Flake ne dit rien mais n’en pense pas moins. Je préfère leur attitude – avec eux, pas besoin de me mettre à chialer en racontant mes doutes et mes craintes. Me voir sursauter en me réveillant en sueurs sur le siège dans l’avion leur a suffi.
Les cauchemars sont incessants : mains ensanglantées venues de nulle part pour m’étrangler, ombre éplorée prête à me crier que je ne suis qu’un lâche, qu’un imbécile, qu’une loque humaine, indigne de vivre… Sans l’alcool, j’en pourrais devenir fou à lier !
                Je n’aime pas parler de mes cauchemars d’habitude… T’as pas une cigarette ?

                Ma séparation ? Il n’y a presque rien à dire à ce sujet. De toute façon, ça ne se passait déjà pas très bien entre moi et Maja avant le…enfin bref ! La routine qui s’est installée, je suppose. C’est que je n’ai jamais vraiment aimé Maja. Je sais que ce n’est pas très honnête de ma part, mais je n’ai jamais aimé sa superficialité d’esthéticienne, jamais apprécié son air énamouré de groupie, jamais supporté sa fascination pour Maja l’Abeille, dont elle a tous les produits dérivés. C’est pour ça que je faisais semblant d’ignorer ses remarques quand elle commençait à parler de mariage, même si la raison officielle que je lui servais systématiquement, à savoir le fait que je ne veuille pas perdre mon nom d’époux, adopté lors d’un mariage expéditif et conservé après un divorce tout aussi expéditif, reste bel et bien valide. Me remarier signifierait soit devoir prendre le nom de ma nouvelle femme (Maja et Paul Strauss ? Non merci.), soit retrouver le nom de mon père, Hiersche (pas vraiment le nom d’une rockstar, franchement…).
De plus, j’ai déjà un divorce à mon compteur. Remettre le couvert ? Sans façon. Maja a des qualités, n’empêche, un peu comme une très bonne copine avec qui je pouvais parler pendant des heures de tout et de rien – avec qui je couchais aussi. Je sais : normalement, on ne couche pas avec sa meilleure amie, surtout si on commence à parler plus de rien que de tout avec elle. Mais rester avec elle était une facilité, d’autant plus à mon âge, où se mettre dans un nouveau couple, c’est prendre le risque de se faire plumer par la première jolie tourterelle venue. Sans parler du fait que la relation passionnelle, j’avais déjà essayé avec mon ex-femme, et ça avait résulté en pas mal de vaisselle brisée. Je me disais donc : le truc de la bonne copine, pourquoi ne pas essayer ? Mais de toute évidence, je n’avais pas prévu de n’avoir plus aucun désir envers Maja après à peine une dizaine d’années.
                J’avoue qu’à un moment, j’avais même cru être impuissant. A la quarantaine seulement… C’est navrant, je sais. Aujourd’hui, je me rassure en blâmant mon manque de sommeil, ou mon ennui permanent. Après tout, je ne ressens plus rien non plus envers les autres femmes…
                J’arrête là – la sexualité d’un mec de presque cinquante balais n’intéresse personne.

                La semaine dernière, quand Richard est passé me voir, il m’a fait remarquer que j’ai grossi. Je lui ai répliqué que c’est le gris qui fait ça. Richard m’a rétorqué que c’est le blanc et les rayures qui font grossir, pas le gris. J’ai explosé de rire. De toute évidence, Richard n’était pas d’humeur à plaisanter, ou même dans la capacité de comprendre mes blagues, puisqu’il ne m’a renvoyé qu’un petit rictus complaisant. J’ai cru l’entendre chuchoter :
‘Abruti.’
                Mais je n’ai pas vraiment fait gaffe. Je n’étais pas bourré, juste un peu joyeux. C’est devenu presque systématique avec moi. Je suis joyeux, antiphrase qui n’exprime que le mal-être que je cache en vain.
Richard venait principalement pour discuter de la copine de Till, qu’il n’apprécie toujours pas (en même temps, personne ne l’aime, cette gonzesse) et pour me demander si j’avais envie de participer à son prochain album d’Emigrate. Schneider et Olli auraient déjà accepté – c’est ce qu’il a ajouté en croyant sûrement qu’il allait plus facilement me convaincre ainsi. Mais pour moi, c’est niet.
‘Pourquoi ?’ m’a-t-il dit, sans trop se fouler.
On dirait qu’en réalité, il s’en foutait que je participe à son album ou pas. Serait-ce juste pour la forme qu’il me le demande ?
‘Emigrate, c’est naze ! Et puis, c’est seulement une tentative désespérée de remettre Rammstein sur pied en en récupérant tous les lauriers. Tu m’as cru bête à ce point ?’
                Richard a peu apprécié ce que j’ai dit : ça se voyait à sa face liquéfiée, tel le miroir de la reine dans Blanche-Neige quand il comprend qu’il a causé une tentative de meurtre. C’est vrai qu’après tout, malgré les sempiternelles disputes et les remises en question, Richard reste persuadé que Rammstein, c’est surtout lui. Le miroir magique croit aussi être essentiel – il sait tout sur tout – mais il reste un personnage secondaire… Je m’égare avec cette comparaison.
Emigrate, ce n’est qu’une façon détournée pour Richard de nous prouver qu’il est la vraie tête pensante de Rammstein. Mais, en fait, j’ai refusé sa proposition plutôt parce que je n’ai plus trop d’inspiration en ce moment. Ça ne vient plus. Je prends ma guitare Les Paul fétiche, je démarre mon logiciel Guitar Rig, et… rien. Nada. Que dalle. C’est limite désespérant, mais…je préfère en rigoler. Je finis par croire parfois que je n’ai aucun talent, que je ne suis, de toute façon, pas un compositeur dans le groupe – juste un producteur, le mec qui critique tout ce que font les autres sans lever le petit doigt lui-même.
L’alcool doit y être pour quelque chose…

                Je n’ai pas vraiment de quoi me réjouir de mon existence. Je n’irai pas jusqu’à dire que je suis pathétique. Je trouve ça tellement pathétique de dire un truc pareil. Disons…déplorable ! Oui, le mot de Schneider marche plutôt bien. Je suis célibataire après avoir passé près de dix années avec une femme que je n’aime pas ; c’est déplorable. Je garde ma fille tous les week-ends même si elle se plaint que je ne sache pas faire la cuisine comme maman ; encore plus déplorable. Je ne m’entends pas super bien avec mon second fils, qui m’a annoncé qu’il était gay. Pas que son homosexualité me gène ; c’est juste que j’ai l’impression qu’il ne me dit pas tout : il s’habille et se maquille comme les rockeurs japonais et se comporte de plus en plus comme une fille – et s’acharne pour qu’on l’appelle Tanja au lieu de Thomas…
Son frère aîné, Emil, m’a dit que je devrais le surveiller, faire attention à ce qu’il mange et à ce qu’il prend – je sais qu’il n’est pas anorexique (j’étais aussi maigre à son âge) et je me doute un peu qu’il se drogue, mais j’ai comme le sentiment que je n’ai pas vraiment envie de savoir ce qu’il prend – ça n’a probablement rien à voir avec les « stimulants » que moi, je prenais. Emil me répète que ça peut être hyper dangereux de prendre des hormones à l’âge de Thomas. J’ai toujours trouvé Emil un peu rabat-joie, j’avoue. Il est si peu subtil, ce mec. Mais Flake est d’accord avec lui. Pourtant, aucun des deux n’a fait d’études de médecine, sans vouloir offenser qui que ce soit – mais je dis ça, je dis rien…
                Je n’aime pas trop qu’on me dise comment élever mes gosses. Encore moins si c’est mon meilleur ami, ou pire, mon propre fils, qui fait la leçon. Je trouve ça…pathétique en fait.

                Je m’égare, on dirait. C’est que je n’aime pas expliquer pourquoi mon comportement n’a rien de pathologique. Je suis juste dans ma phase « j’emmerde le monde et il me le rend bien ! » Je n’aime pas trop parler de cette pauvre gamine non plus. Même si ça m’a fait du bien de savoir que c’est peut-être elle qui est venue mettre un peu le foutoir à la FNAC à Paris. Y penser me fait sourire, j’avoue. Bien sûr, je me rends compte combien ma décision de parler d’elle, de ce qui lui est arrivé, comme ça, publiquement, n’était sûrement pas la meilleure idée qui me soit passée par la tête. Je sais que j’ai dû la rendre mal à l’aise – la faire souffrir peut-être aussi, me ridiculisant au passage par mon appel vain. Mais j’avais besoin de savoir qu’elle était encore en vie. Je me sentais vraiment trop coupable de n’avoir pas su réagir comme il fallait le jour de son…enfin, voilà. Je sais aussi que j’ai dû passer pour un nigaud devant les fans en avouant devant la caméra que tout ce que j’avais pu faire ce soir-là, c’était de demander à Emu, notre manager, d’appeler les flics, qui s’étaient retrouvés comme des cons car j’avais été incapable de décrire la victime ou même l’agresseur :
‘Heu… Le type, je ne l’ai pas vraiment vu. Mais elle oui. Elle a les cheveux…noirs, je crois. Ou bruns. Foncés en tout cas. Et il y avait quelque chose sur sa joue. Ou alors elle était blessée ? Je sais pas trop… Heu… Ah si ! je me souviens qu’elle avait un truc sur la poitrine. Elle avait des trucs écrits… heu… c’était quoi déjà ? Il faisait sombre alors j’ai pas trop bien vu…’
‘Concrètement, pouvez-vous donner un signe distinctif ? N’importe quoi qui pourrait nous aider à l’identifier ?’
‘Heu…je crois que c’était peut-être un tatouage sur sa poitrine.’
                Par la suite, j’ai passé des mois à me triturer la cervelle pour redessiner ce tatouage – en vain. L’image est toujours floue dans mon cerveau groggy. Au final, les flics avaient conclu machinalement :
‘Bon, on va faire avec. On va lancer un avis de recherche dans les hôpitaux de la ville, mais je vais être franc avec vous : si elle ne vient pas d’elle-même au poste pour porter plainte, il y a peu de chances de la retrouver et de régler cette affaire.’
                Le flic s’était surtout adressé à Mathilde, l’épouse de notre manager. Elle avait joué les interprètes. Elle avait posé sa main sur mon épaule et avait sûrement essayé de traduire mes mots de manière à ce que j’eusse l’air moins con devant les policiers. Till aussi avait été à côté de moi et avait pris son air sérieux des mauvais jours. Les autres étaient à l’écart et s’étaient chuchoté des trucs entre eux, Olli me fixant d’un regard peiné. Quelques heures plus tard, à l’hôtel, Emu était venu me dire que les flics n’avaient trouvé aucune trace d’une fille, correspondant au signalement, admise dans un hôpital ou une clinique de la ville, et qu’ils avaient quadrillé les rues alentour à la recherche d’un corps. Je me souviens que j’avais serré le foulard dans mes mains, en tremblotant. Emu et Olli, restés dans ma chambre pour me tenir silencieusement compagnie, avaient voulu me conduire à l’hôpital mais j’avais refusé mordicus. Je n’avais pas eu besoin de calmant. J’avais juste voulu qu’on la retrouvât.
                Parfois, oui, je me sens coupable d’avoir créé tout ce remue-ménage alors que, de toute évidence, elle voulait qu’on la laisse tranquille. Mais je suis content qu’elle soit venue à la séance de dédicace à Paris – déçu qu’elle soit partie comme ça – mais content quand même qu’elle ait choisi de me faire savoir qu’elle était en vie. Enfin, si c’était bien elle…
Oh ! et je n’y ai pas trop perdu au change. Elle a laissé traîner pas mal de papiers derrière elle ! Till était plutôt ravi de la lecture d’ailleurs. Bizarrement, c’est à lui que les fans ont donné les feuilles volantes. En même temps, ça paraît plus logique quand on y repense. Juste des poèmes. Le domaine de Till, quoi ! Je n’ai voulu garder que celui-ci. Till a le reste. Il dit qu’ils sont plus recherchés, mieux écrits, plus intéressants que celui que j’ai gardé. Mais moi, je l’aime bien celui-ci. Et des fois, j’ai comme l’impression que Till a oublié les initiales de mon premier nom car il n’a fait aucun rapprochement. Ou alors, il s’est bien gardé de me le faire savoir.

H. H.

Augen, die lachen
Augen, die schmunzeln
                Sie sehen mich wie
Das Mädchen, das ich nicht bin

Augen, die lachen
Augen, die schmunzeln
                Sie machen mich klein
Und schlafen nicht ein

Augen, die lachen
Augen, die schmunzeln
                Manchmal mit Schminke
Geben mir keinen Wink

Augen, die lachen
Augen, die schmunzeln
Dem schwarzen Humor vergebe ich
Am Ende nur Amor sehe ich.

                Certes, il y a quelque chose de maso à relire ce poème. Ça fait un moment que je n’ai plus ri ou même souri avec sincérité, je dois te dire.
                L’autre raison qui me pousse à garder ce poème, c’est qu’il est signé. Les autres non. Je ne sais pas si c’est son vrai prénom. Mais si c’est le cas, il est très joli, je trouve. Amaryllis. Une fleur souvent dans les dégradés rouges ou roses, avec un long pistil et des pétales qui forment un cône. J’avoue que j’espérais un peu tomber sur elle. Sur un blog à son nom. Si elle écrit des poèmes, elle fait peut-être partie de ces fans qui écrivent des fan-fictions à l’eau de rose ou homo-érotiques par centaine ? Je trouve l’activité complètement ridicule, et je ne lis pas ces conneries, mais si ça me permettait de la retrouver, il fallait tenter… Or, je n’ai trouvé que des sites sur le jardinage.
                J’admets aussi que j’ai fouillé quelques forums de fans pour voir si je pouvais retrouver quelqu’un utilisant ce prénom – ou pseudo. Encore bredouille. J’en ai été démoralisé pendant une semaine. Une bouteille de whisky vidée en six heures à peine – mon record. Je sais ce que tu vas dire : c’est stupide comme réaction. J’ai parfois l’impression qu’il me sera impossible de la retrouver un jour – ne pas la revoir aux concerts suivant de la tournée me confirmant lugubrement dans mon pessimisme. J’ai comme l’impression que je fais une fixette sur elle. Une sorte d’obsession maladive. C’est un peu la première fois pour moi, alors je n’en suis pas certain non plus. Être obsédé comme ça par une fille que je ne connais même pas – par une ombre presque – c’est nouveau pour moi ; et je crois que c’est pour ça que je n’arrive pas très bien à gérer. Les autres pensent sûrement que je suis devenu timbré. Ils n’ont peut-être pas aussi tort que je le prétends. N’est-ce pas le premier signe de folie de se parler à soi-même ?

                Till m’a dit qu’il va passer demain pour me montrer un exemplaire de son prochain livre. Il sait que je n’aime pas parler du groupe (qui n’existe plus vraiment désormais puisqu’on vient de lâcher l’info de la séparation sur le site – ‘incompatibilité de caractères’ : quelle belle excuse pour que les fans croient que c’est Richard qui refait sa reine et non moi qui touche le fond) – alors, Till se retrouve comme un con, ne sachant pas trop quoi me dire. Il sait que me parler de gonzesses, de ses orgies, ce n’est pas la peine non plus. En général, il finit par me parler de ses poèmes. Il m’en fait lire un, intitulé ‘Kleine Blume’. Till répète qu’il n’y a rien de biographique dans ses poèmes, mais là, c’est un peu trop évident pour moi. ‘Kleine Blume’ raconte l’histoire d’un mec qui recherche désespérément une petite fleur dont il a ramassé le pétale en se promenant. Il sait qu’il ne pourra pas la guérir en recollant le pétale au reste de la fleur et il sait aussi qu’elle peut très bien continuer à vivre sans son pétale manquant mais il la recherche quand même – sa promenade en forêt devenant une longue excursion sans fin, où personne ne peut l’aider car les plantes ne parlent pas, et où il ne cesse de se demander dans quelles circonstances elle a pu perdre son pétale.
‘Alors ? T’en penses quoi ?’
                Till demande rarement l’opinion d’autrui sur ses textes.
‘Tu veux une critique version Flake ou version Richard ?’
‘Les deux.’
‘Version Flake : Mmm… j’ai comme l’impression que tu as tenté d’adopter mon point de vue en prenant la voix d’un crétin pas foutu de comprendre que comparer une femme à une fleur est le truc le plus bateau qui puisse exister en poésie.’
‘Pas faux.’
‘Version Richard : Ooohhh ! J’adoooore ce poème !’
‘Richard dirait plutôt qu’il aurait substituer la fleur à un animal – que ça ferait plus gore comme ça.’
‘Exact. Sauf que le verbe substituer, dans la bouche de Richard, c’est pas très crédible.’
                Till pouffe de rire en se tapant la cuisse ; puis il boit une gorgée de son verre en fixant le foulard du regard. Sans mot dire. Je sais que personne n’aime voir ce foulard sur ma table basse. Richard m’a même dit que je devrais le laver au moins.
‘Parce que, franchement, l’odeur de sang coagulé dans ton salon…enfin, voilà, quoi !’
                Mais je ne sais même pas à quelle température on peut laver un foulard aussi fin. Blague à part, si je l’apporte à mon teinturier, il serait capable d’appeler la police en disant que l’un de ses clients est un meurtrier psychopathe. Remake d’American Psycho, façon rockeur berlinois au lieu du yuppie new-yorkais – on va éviter !
Till est resté figé pendant au moins deux minutes. Je crois qu’il n’a pas saisi ma blague. Puis, d’un coup, je comprends pourquoi lui et les autres sont tous passés chez moi cette semaine pour dire qu’ils reviendraient demain. Demain, c’est le 9 décembre. J’aurai 48 ans.

Bon, je ne vais pas me plaindre. Till fête ses cinquante ans dans un mois. Ce sera pire pour lui. Et je ne peux pas dire que je ne m’y attendais pas non plus… Mais voilà : faire le bilan de sa vie à 48 ans et s’apercevoir que tout ce qu’on a construit lors de ce presque demi-siècle s’est effondré comme un château de cartes, ça fait mal. Une bonne raison pour se servir un autre verre.

[Suite]

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