dimanche 27 septembre 2009

Glühend - 8

8

Les semaines se succédèrent et il ne revenait toujours pas. Je passai mes journées à osciller entre crises de larmes et crises de fureur. Je me rendis compte que j’avais tout perdu : l’amitié de tous mes proches, l’amour de tous mes enfants. Till était le seul qui me supportait encore, et lui aussi crut bon de me laisser dépérir dans mon trou.
« Mais pourquoi ? Pourquoi fallait-il que tout ça arrive à moi ? Je sais que j’ai été égoïste dans ma vie, parfois un vrai tyran – un mari pas très fidèle, un père pas très présent, un frère et un fils un peu indigne, et surtout un ami difficile, mais pourquoi ? Pourquoi me punir ainsi ? »
Quand je regardai mon reflet atroce dans le miroir, j’en vins à ne même plus reconnaître mon regard désespéré. Je ne vis qu’une loque. Une loque humaine qui réclamait la fin tout de suite.
Je roulai jusqu’à la cuisine, ouvris tous les tiroirs à la volée, tombai sur mon plus grand couteau. Je vis à nouveau mon reflet hideux sur la lame – le monstre au regard haineux – avant de me taillader les veines du poignet comme un sauvage et couvrir de sang ce reflet que je ne voulais plus jamais revoir. Mes sanglots étouffèrent la douleur ; mes cris jaillirent pour s’éteindre au plus vite. Avant de perdre connaissance, je fis de même avec l’autre poignet, puis mes deux cuisses – n’ayant aucune idée de l’endroit où pouvaient se trouver les veines, je tailladai l’intérieur de ma cuisse gauche tandis que je mutilai ma cuisse droite en y enfonçant la lame jusqu’à l’os. Je ne voulais surtout pas être réveillé un jour – je voulais en finir une bonne fois pour toutes ! Quitte à les obliger de m’amputer le reste de ma jambe perdue pour me rendre présentable dans mon cercueil.
Le couteau m’échappa des mains, atterrit dans la mare de sang, et je me rendis compte que je n’avais plus la force de me baisser pour le ramasser. Je calai donc mon dos sur le dossier de mon fauteuil et attendis sagement la fin : les bras pendant par-dessus les accoudoirs, le regard rivé au plafond, la respiration saccadée.

***

‘Quel con !’ s’exclama une voix grave.
‘Dis pas ça…il était…il est désespéré. Ça peut se comprendre,’ fit une voix masculine mais plus aiguë.
‘Faire ça, c’est…c’est inadmissible !’ reprit la voix grave. ‘Il n’a pas pensé à ses enfants ?! Il…’
‘C’est vrai mais…’
‘C’est impardonnable de faire ça !’
‘Schneider, arrête !’ gronda la voix de Till, que je pourrais reconnaître entre mille.
‘Mais…’ protesta Schneider.
‘Oh, vous allez pas recommencer,’ soupira Paul.
La porte s’ouvrit.
‘Il est toujours pas réveillé ?’ demanda la voix de Khira, presque éteinte.
‘Non, désolé…’ répondit Paul.
‘Mouais…ben, je repasserai demain alors,’ marmonna Merlin.
‘Merlin, attends !’ s’exclama Claudia.
La porte claqua puis s’ouvrit à nouveau.
‘Attends-moi, Merlin !’ recommença la voix de Claudia, plus éloignée.
Paul soupira. D’autres pas approchèrent.
‘Pas réveillé, je suppose ?’ demanda un Flake hésitant.
‘Non. Où est passé Oli ?’ demanda Paul.
‘Je l’ai retrouvé devant la machine à café. Il m’a dit qu’il avait besoin de faire un tour pour respirer,’ l’informa Flake.
‘Il est dehors ?’ demanda à nouveau la voix inquiète de Paul.
‘Oui, sur le parking.’
‘Je vais aller le voir, alors.’
J’entendis Paul se lever et la porte se fermer. Je crus entendre Schneider marmonner quelque chose pour lui-même et Flake chuchoter.
‘Non, je vais rester,’ déclara Till.
‘Comme tu veux,’ fit Flake.
‘Khira, je te ramène ?’ demanda Schneider.
‘Non, je vais rester aussi.’
‘T’es sûre ?’
‘Ouais.’
‘Bon, ben…je vais y aller – je dois aller chercher ma fille.’
‘Je croyais qu’elle répétait avec son groupe ?’ dit Till.
‘Oui, mais le batteur est malade – elle vient de m’envoyer un texto pour me prévenir,’ précisa Schneider.
‘Ah, OK.’
‘Moi aussi, je vais y aller,’ dit Flake. ‘Pour le repas, ce soir, ça tient toujours ?’
‘Hm ? Ah, oui, oui,’ répondit Till.
‘Bien. Je vais prévenir Jenny.’
La porte s’ouvrit puis se referma. Je sentis la main moite de Khira prendre la mienne.
‘C’est quoi, le paquet ?’ demanda-t-elle.
‘C’est une prothèse,’ fit Till.
‘Une prothèse ?’
‘Oui. Pour remplacer sa jambe. Je voulais la lui offrir aujourd’hui pour son anniversaire, mais ce couillon…pff…’
Till renifla.
‘…mais ton père a préféré fêter son anniversaire autrement, on dirait.’
Khira caressa ma main en sanglotant. J’entendis Till poser quelque chose là où Paul était assis puis faire le tour du lit pour s’approcher de Khira.
‘C’est vrai ce que Claudia m’a dit ?’ demanda Khira.
‘Quoi ?’
‘Que c’est toi qui l’as trouvé tout nu dans le salon, au milieu d’une mare de sang ?’
‘Oui.’
‘Et il y avait beaucoup de sang ?’
‘Ecoute, ne t’inquiète pas : ton père et moi, on est O positif tous les deux. Les médecins lui ont transfusé mon sang dès qu’on est arrivés à l’hôpital, donc il y a pas à s’inquiéter. Ils ont pu recoudre toutes ses blessures et m’ont dit qu’il se réveillera dès qu’il aura assez de force. D’accord ?’
‘D’accord.’
‘Il va se réveiller. J’en suis sûr.’
La porte s’ouvrit.
‘Apparemment, Oli est parti,’ déclara Paul.
‘Ouais, je m’en doutais,’ fit Till. ‘Il doit être déboussolé et il n’aime pas le montrer. Il est sûrement rentré chez lui, ou parti faire du skate pour décompresser.’
‘Ouais, sûrement.’
‘Dis, tu pourrais emmener Khira boire un chocolat chaud ?’
‘Pas de souci.’
‘Non, je vais rester,’ répondit Khira.
‘Ecoute, ça sert à rien d’attendre comme ça,’ lui dit Till. ‘Tu sais que je te préviendrai dès qu’il se réveillera.’
‘D’accord,’ fit-elle d’une petite voix.
Elle lâcha ma main et se leva.
‘Un bon chocolat chaud pour toi, et moi un grand café, ça va nous faire du bien, tu vas voir. Je t’en ramène un aussi, Till ?’ demanda Paul.
‘Non merci.’
‘A tout à l’heure alors.’
‘Ouais, à toute.’
La porte se referma.

‘Je sais que tu es réveillé.’
J’ouvris les yeux et vis Till penché au-dessus de moi, le regard froidement inquisiteur.
‘Comment tu le sais ?’ demandai-je.
‘Je te connais depuis des années : je sais quand tu dors et quand tu fais semblant de dormir. En général, tu as la bouche ouverte quand tu dors.’
‘Tu me connais trop bien, on dirait,’ fis-je d’une voix désabusée.
Till avait le regard méchant.
‘Pourquoi t’as fait ça ?’ demanda-t-il enfin d’une froideur glaciale. ‘Si tu voulais vraiment en finir, tu te serais taillader le cou et c’était terminé. Au lieu de ça, tu t’ouvres quelques veines et tu attends qu’on vienne te trouver ! Tu cherches quoi ? Tu veux que tout le monde s’apitoie sur ton sort ? Tu veux faire pleurer Khira ? C’est ça que tu veux ?’
‘Pourquoi le cou ?’ demandai-je au bord des larmes.
‘Parce que dans le cou, il y a la jugulaire !’ s’écria-t-il. ‘S’ouvrir la jugulaire, c’est en finir en deux secondes et… !’
‘Je savais pas,’ murmurai-je.
Till secoua la tête et commença à faire les cent pas au pied de mon lit.
‘Je voulais vraiment en finir, tu sais…’
‘Mais pourquoi ??!!’
‘Tu sais pourquoi…’
‘Non, justement !’
‘Je t’aime…mais toi, tu m’aimes pas…sûrement parce que je suis trop moche…qui voudrait d’un monstre comme moi, de toute façon…’
Je regardai Till, devenu impassible.
‘…ou alors…je sais pas…tu m’aimes pas…pas comme ça…’
En séchant mes larmes, je vis les gros bandages autour de mes poignets, puis la perfusion par laquelle les médecins m’avaient sûrement transfusé son sang. L’idée d’avoir son liquide vital dans mes veines me procura à la fois une joie brûlante et une peine honteuse. J’étais fier de savoir qu’il avait fait ce geste pour me sauver sans poser de question, sans hésiter…mais j’étais aussi désespéré de devoir me contenter de son sang – alors que c’est lui que je voulais ! Son corps, ses lèvres, ses doigts – son regard posé tendrement sur moi.
Till vint s’asseoir à mon chevet.
‘Excuse-moi…j’ai réagi un peu trop impulsivement…la dernière fois.’
Je lui jetai un regard suppliant.
‘Je… Avec tes sautes d’humeur…je savais pas trop quoi penser de…de…’
‘De mon baiser ?’
‘Oui, voilà. J’avais peur…que…que tu sois dans ton humeur sarcastique et que tu fasses ça pour te moquer de moi.’
‘Tu m’aimes aussi alors ?’
Till me scruta du regard, comme pour chercher la preuve de ma sincérité. Sa main se mit à caresser ma joue et je n’avais plus qu’une envie : lui attraper le bras et le tirer vers moi. Il se pencha sur moi ; son visage s’approcha lentement du mien pendant que sa main partait sous les draps ; je plongeai mes doigts dans ses cheveux et humidifiai ma bouche avant de toucher ses lèvres. Alors que sa langue cajolait la mienne, je sentis mon corps s’embraser.

‘Heu…désolé de vous déranger…’
Till fit volte face. Paul était dans l’encadrement de la porte, visiblement très perplexe.

[Par ici la suite! http://doomkrusmannders.blogspot.com/2009/10/gluhend-9.html ]

3 commentaires:

  1. Mdr la fin ! Paul est toujours là quand il ne faut pas XD La scène qu'il vient de voir a certainement dû le choquer à moitié.
    Je dois avouer que c'est plutôt mignon d'imaginer Richard & Till s'embrasser XD
    Je serai bien curieuse de savoir ce que tu nous réserves à propos de l'avenir de ce couple ... ^^

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  2. génial

    "‘Je te connais depuis des années : je sais quand tu dors et quand tu fais semblant de dormir. En général, tu as la bouche ouverte quand tu dors.’"

    mdr je l'imagine trop la bouche ouverte :P... une si petite chose qui démontre à quel point ils se connaissent..!
    Paul qui arrive, j'ai bien hâte de voir sa réaction!!!

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  3. Excellent Paul qui débarque pile au bon moment XD

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Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...