VII – Toujours trop jeune !
„Sie sieht mich wie einen Stern
So heiß, strahlend und so fern...“
‚Komm
mit Papa’
1
Alors que je me rhabillais devant
lui, Paul a pris son air grave pour me répondre :
‘Non, ça ne me dérange pas de te voir travailler. Au
contraire, je suis touché que tu me laisses assister à tes numéros. Et j’avoue
que c’est pas désagréable de te regarder ainsi,’ dit-il en gloussant un peu.
‘C’est juste que… Les autres – la manière dont ils te regardent, dont ils se
comportent, j’aime un peu moins. C’est tout. Tu as le droit de continuer ton
travail puisque tu aimes danser comme ça, mais je trouve que tu devrais bosser
dans un meilleur endroit – pas en face de vieux soûlards comme eux, tu comprends ?’
‘Oui.’
‘Je… Franchement, j’aime pas du tout la manière dont ils
te regardent.’
Je
pensais qu’il allait m’avouer sa flamme, et mettre un terme à cette situation
ambiguë, où nous sommes devenus de plus en plus proches tout en gardant une
légère distance, juste assez grande pour mettre en place le schéma père-fille.
Mais ce soir-là, j’ai su qu’il serait toujours – aussi contradictoire que cela
puisse paraître – l’éternel homme-enfant qui évite tout engagement, qu’il ne
ferait donc jamais le premier pas !
‘Je tiens vraiment à toi, tu sais. Et pour moi,
c’est important que tu ais un joli appartement, et un bon travail, et assez d’argent
pour t’amuser et sortir un peu. Je veux… je veux que tu profites de ta jeunesse,
c’est tout. Et pas que tu… tu restes dans un milieu assez, enfin voilà,
quoi !’
‘Je vois.’
‘Je te considère vraiment comme ma fille, tu sais.
Et c’est pour cela que je veux ton bonheur.’
Et
je ne cracherai pas dessus, bien sûr que non. Je suis même heureuse que Paul,
homme que j’admire sincèrement depuis quelques années déjà, en soit venu à me
considérer « comme sa fille, » comme un être cher qu’on se doit de
protéger. En fin de comptes, c’est le rêve de toute petite fille que d’avoir un
père qu’on peut admirer. Mais voilà, ce que je ressens envers Paul n’est pas
l’amour qu’une fille porte à son père, et ça ne pourra jamais le devenir, tout
simplement parce qu’il y a trop d’ambiguïté de mon côté.
Et aussi parce que je ne suis
plus une petite fille.
Oui,
j’aime Paul passionnément, et je suis presque certaine qu’il m’aime aussi de cette
manière, pas seulement parce que j’ai vu que le jour de nos retrouvailles, il
avait été très troublé par mon strip-show – et ‘troublé’ est un bel euphémisme –
pas seulement parce qu’à chaque fois que je fais mon numéro, il a toujours l’air
gêné, croisant les jambes en respirant profondément – comme s’il se préparait
pour plonger en apnée ; mais aussi parce qu’il a cet air troublé quand je
frôle sa main – ou quand je le taquine en touchant son petit ventre avec mon
index – ou quand je le regarde droit dans les yeux. Il arrive parfois qu’on
discute pendant des heures sans s’arrêter ; et quand tombe un silence, il
tourne la tête vers moi, s’approche légèrement, s’humecte la lèvre, puis secoue
la tête avant de terminer son café sans me regarder.
Au
début, quand nous nous promenions ensemble, nous nous tenions côte à côte sans
nous toucher. Puis il a commencé par me tenir l’épaule. Enfin par le bras. Et
parfois, je le sens qui s’égare : sa main posée sur mon épaule descend
jusqu’à ma taille, et elle reste là deux secondes, avant d’être retirée bien
vite et timidement enfouie dans sa poche.
Et
j’ai beau soupirer dans ces moments-là – lui montrer par un regard ou un geste
qu’il ne devrait pas être aussi circonspect – il garde son attitude de papa mignon
qui, certes, m’offre des fleurs de temps en temps, m’invite au restaurant, ou
me câline gentiment devant un DVD, mais qui ne va pas plus loin que la bise
pour dire bonjour.
Et un jour, au restaurant, il
aborde le sujet tabou.
‘Dis-moi…
tu vois quelqu’un en ce moment ?’
‘Tu
veux dire : ici ? Oui, toi !’
Il éclate de rire.
‘Non,
je veux dire : est-ce que t’as un copain ?’
‘Oh !
je vois… eh bien… c’est compliqué.’
‘Raconte-moi.’
‘En
fait… je crois que je suis trop difficile déjà.’
‘Non.
Tu es juste exigeante, et c’est bien, ça.’
‘J’adore
comment tu tournes mes défauts en qualités – c’est tordant !’
‘Oui, Till dit tout le temps que je devrais arrêter de
positiver tout le temps comme ça, que ça l’énerve !’ dit-il en riant.
‘Mais dis-moi : pourquoi c’est compliqué entre vous ?’
‘Je
pense qu’il m’aime mais il refuse de me le dire.’
‘Ah
bon ? Mais comment tu peux être sûre qu’il t’aime s’il n’a rien dit ?’
Je fronce les sourcils pour
jouer.
‘Donc
si je comprends bien, je ne suis pas quelqu’un d’aimable… Très bien. Pas grave.’
‘Non, non ! C’est pas ce que je voulais dire !
Bien sûr que tu es assez bien pour être aimée ! Tu es intelligente, drôle,
belle et gentille – tu peux avoir tous les hommes à tes pieds si tu veux
tellement que tu es charmante.’
‘Ah
bon ? Faudrait le leur dire !’
Il se met à rire.
‘Bon, c’est vrai que tu as un sacré caractère aussi –
mais ça fait partie de tes qualités pour ceux qui savent apprécier. Moi, en
tout cas, j’apprécie !’
Il me fait un clin d’œil et je
souris timidement.
‘Alors
dis-moi : ce type…’
‘Oui…
eh bien, en fait… je crois qu’il veut qu’on reste amis.’
‘Ah ?’
‘Oui. On est plutôt proches ; on se dit presque
tout ; il est devenu mon unique confident, en quelque sorte, et il le sait.
Oh ! et il a parfois des gestes ambigus.’
‘Hm.’
‘Mais
il ne va jamais plus loin que l’attitude du meilleur pote.’
‘Et
tu as des sentiments envers lui ?’
‘Je
lui serai éternellement reconnaissante pour tout ce qu’il a fait pour moi.’
‘Tu
lui en as parlé ?’
‘On n’a jamais abordé le sujet. En fait, il est peu
loquace concernant les sentiments amoureux en général. Il est célibataire, et
on dirait que sa dernière relation l’a profondément marqué car il n’aime pas en
parler. Même si on est très proches, il ne m’en parle pas.’
‘Ah,
je vois. Mais il n’y a jamais eu d’occasion où… – tu as dit qu’il a eu des
gestes ambigus parfois, c’est ça ?’
‘Oui.’
‘C’est-à-dire ?’
J’hésite.
Il ne voit pas du tout où je veux en venir. Mais alors pas du tout. C’est vrai
que Paul m’a toujours paru un peu naïf.
‘En fait, il arrive parfois qu’il me regarde dans les
yeux, alors que je suis en train de parler. Et d’un coup, je m’arrête au milieu
d’une phrase et on dirait qu’il n’a pas fait attention parce qu’il me regarde
toujours, sans mot dire, juste comme ça, fixement. Et il suffit que je touche
mes cheveux pour qu’il se mette à regarder ma mèche longuement et intensément.
Puis je me penche en avant…’
Je mets les coudes sur la table
et me penche vers lui.
‘…et
tout logiquement, son regard descend vers mon tatouage.’
Instinctivement, Paul regarde ma
poitrine.
‘Et
là, je lui dis…’
Paul
regarde à nouveau ma mèche, que j’enroule autour de mon index, tic quasi inconscient,
sauf peut-être aujourd’hui.
‘… « Paul,
tu rêvasses encore ! » avant qu’il ne secoue la tête avec un sourire
et regarde ailleurs.’
Il
me regarde droit dans les yeux. Il a compris mais son air mécontent, déçu que
j’ais décidé de casser cette situation pourtant si agréablement équivoque, fait
l’effet d’un électrochoc. Il secoue la tête mais ne sourit pas. Il regarde son
assiette presque vide. Je me tais. Et nous recommençons à trifouiller avec
notre fourchette en silence.
Il
me raccompagne jusqu’à chez moi sans mot dire. Grâce à l’argent qu’il m’a donné
(je préfère dire prêté), je n’habite pas loin du centre dans un appartement un
peu plus grand, dans un immeuble qui appartient entièrement à Paul, ce qui
m’oblige à aller en bus au cabaret, où Gürt a pourtant gardé ma chambre telle
quelle. J’ai promis à Paul que je le rembourserai bientôt. Il a balayé ma
remarque d’un sourire.
‘Avec
les intérêts !’ ai-je précisé.
‘Et
puis quoi encore ? Non, c’est chez toi maintenant, et tu ne me dois rien
du tout.’
C’était
il y a deux mois, quand on jouait les amis.
Aujourd’hui, sur le seuil, après avoir ouvert la porte du hall d’entrée, je me
retourne vers lui et lui demande s’il veut boire un café.
‘On
va éviter.’
Je
constate qu’il n’a toujours pas encaissé le coup que je lui ai donné au restaurant,
au moment des confessions.
‘D’accord.
Alors à bientôt !’
‘Oui.
A bientôt.’
Il
tourne les talons et se dirige vers sa voiture. Il monte dedans sans me regarder,
sans me faire signe de la main comme avant. Il démarre et s’en va. Je reste sur
le perron et me mets à pleurer lamentablement.
***
Je
n’entends pas parler de lui pendant une semaine. Mon anniversaire approchant,
je me dis qu’il a sûrement oublié ou annulé les petites vacances qu’il avait
prévues : il voulait aller dans le sud de la France pour « changer
d’air » comme il dit, et il estimait que c’était important que j’aille
voir ma famille de temps en temps car il regrettait toujours amèrement de ne
pas être lui-même retourné en Pologne voir sa mère avant de recevoir le courrier
de son beau-père lui disant que « l’ancienne Frau Hiersche » (pour
reprendre l’expression de Paul) était décédée.
Je
défais donc la valise que j’avais préparée depuis la mi-juillet pour être sûre
de ne rien oublier. Je ne regrette pas d’avoir ouvert mon cœur à Paul. Je suis,
certes, désespérée qu’il ait choisi de le laisser traîner dans un coin, ne
donnant plus aucune nouvelle, plus aucun signe de vie, mais je ne peux pas non
plus dire que je ne m’attendais pas à ce type de réaction. Paul est quelqu’un
d’assez froid, voire impassible, en ce qui concerne tout ce qui touche les
sentiments. Pourtant, il a son petit côté affectueux, mais seulement quand il
l’estime nécessaire et jamais en public. Il est aimable sur commande en quelque
sorte.
A
moins qu’il ne soit ainsi seulement avec moi – par effet miroir. Oui, je suis
devenue froide avec les hommes – il a dû le remarquer – et sinon, je lui en ai
certainement parlé – faisant de Paul l’unique exception : le seul qui peut
me prendre dans ses bras sans que mon corps se raidisse, le seul qui peut
caresser mes cheveux sans que je recule de trois pas. Il l’a compris et a dû
traduire mon attitude en envie de père, dont il a adopté le rôle très
volontiers – sûrement aussi parce qu’il craint de dévoiler son propre désir, à
des années lumière de celui qu’il m’a désigné par erreur. C’est malheureux
comme on peut être proche de quelqu’un et en même temps se tromper aussi
lourdement sur ses sentiments.
‘Je peux garder celui-là ?’ m’a-t-il demandé le jour
où j’ai emménagé dans le nouvel appartement, en désignant l’une de mes
peintures que nous déballions.
Je
me suis approchée et j’ai vu qu’il indiquait l’un des rares portraits que
j’avais peints. Je peignais en général des paysages imaginés mais j’avais
décidé récemment de m’essayer au portrait, commençant avec une photo de mes
nièces comme modèle, puis une de Till, et enfin une de moi-même – dansant la
salsa dans une robe qui laissait entrevoir mes porte-jarretelles – l’une des
seules photos de moi que je ne trouve pas affreuse car on n'y voit pas mon
visage. Et c’est cette dernière peinture que Paul a pointé du doigt. (Il ignore
que j’ai aussi commencé un portrait de lui – une petite surprise que je lui
réserve.)
‘Je
trouve que tu l’as vraiment bien réussi, celui-là. Je peux le prendre ?’
Je l’ai regardé en fronçant les
sourcils.
‘Pour
en faire quoi, petit coquin ?’
Il a éclaté de rire comme jamais
auparavant.
‘Non, non ! C’est pas ce que tu crois – j’ai juste
envie de l’accrocher dans mon studio parce que je le trouve bien dessiné, c’est
tout. Je ne vais pas le mettre dans ma chambre – si c’est ce que tu crois… Pas
très convaincant, hein ?’
‘Non,
pas vraiment,’ lui ai-je dit en riant.
Il a soupiré longuement.
‘Dommage…’
‘Tu
le veux vraiment ?’
‘Ouais
mais tu veux pas,’ a-t-il bougonné comme un enfant privé de bonbon.
‘Bon,
très bien, prends-le – de toute façon, je sais pas où le mettre.’
‘Yeah !’
Il
m’a prise dans ses bras et m’a embrassé la joue ; puis il a saisi le
tableau et l’a levé à hauteur d’yeux avant de tourner la tête vers moi, avec un
petit sourire sournois au coin des lèvres.
‘Surtout,
n’hésite pas à me le dire si tu trouves que j’en fais trop niveau gamineries.’
‘Si
t’en as envie, pourquoi je t’en empêcherais ?’
‘Bah,
des fois je me dis que je suis nul pour jouer les papas, en fait…’
Par
la suite, on a fini par parler de Thomas alias Tanja, avec qui il a du mal à
communiquer, surtout parce qu’il est de la vieille école et qu’il a du mal à
croire en l’existence des non binaires, mais je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir
à sa dernière phrase : s’il n’est pas doué dans son rôle de père, pourquoi
s’empresser de jouer ce rôle avec moi ?
***
Quelqu’un
sonne à l’interphone. Paul. Je suis tellement étonnée que j’oublie d’appuyer
sur le bouton pour ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble. Il sonne à nouveau.
‘Oui,
désolée ! Je t’ouvre tout de suite !’
Le
temps qu’il monte les escaliers qui mènent à mon étage, je tourne en rond comme
un lion dans sa cage. Une fois sur le seuil de ma porte, Paul me regarde
gravement, et j’hésite à le faire entrer. Je suis vêtue de mon T-Shirt Iron
Maiden XXL monstrueux et je ne pense pas être vraiment présentable. Il voit ma
valise sur le canapé et me demande pourquoi je la défais.
‘Ben…
comme je n’ai pas eu de nouvelles… je pensais que… tu avais annulé…’
Il me regarde en fronçant les
sourcils, puis baisse la tête en soupirant.
‘Désolé.’
C’est tout ce qu’il trouve à
dire. Paul est décidément nul pour les excuses.
‘Refais
ta valise, on y va.’
‘Quoi ?’
Il me regarde fixement et
comprend enfin que je ne laisserai pas passer ce coup-là.
‘Ecoute :
je…’
Il prend sa respiration.
‘Je voulais pas te… te blesser ou quoi que ce soit… c’est
juste que… j’avais besoin de réfléchir à ce que tu as dit et…’
‘Et… ?’
De
toute évidence, il n’est pas venu pour m’ouvrir son cœur. Il a ce petit quelque
chose dans la voix qui sonne faux – comme s’il cherchait à me prouver une
vérité qui ne va pas me faire plaisir car je sais qu’il n’y croit pas non plus.
‘Et…
je crois que tu as mal interprété les… sentiments que tu as envers moi…’
‘Comment
ça ?’
C’est
souvent ce que je dis pour gagner du temps, reprendre mes esprits embrouillés,
rediriger ma colère qui commence à fuser dans tous les sens.
‘Je sais combien tu admires Till… et… enfin ! c’est
clair, non ?’ fait-il en montrant le portrait de Till que j’ai accroché
dans mon salon. ‘Tu ne m’aimes pas vraiment, je le sais… c’est juste parce que
tu aimes Till, en fait, et que tu veux te rapprocher de lui que tu…’
Je suis littéralement sidérée.
‘C’est
vraiment ce que tu penses ?’
‘Oui…
oui, c’est ce que je pens…’
Je
n’arrive vraiment pas à le croire. Comment ose-t-il s’échapper comme ça ?
En queue de poisson, comme le pire des imbéciles ?!?
‘Et
t’es venu juste pour me dire… ça ?’
‘Oui-oui…’ bégaye-t-il en regardant sa montre, ‘…et aussi
pour dire que l’avion part dans moins de deux heures, donc il faudrait que tu
remettes tes affaires dans ta valise maintenant sinon on va être en reta…’
Il
décroche les yeux de sa montre et me regarde fixement. Je crois que j’ai dû me
mettre à pleurer car c’est le même regard indécis qu’il a eu il y a quatre ans
et demi à Nantes, avec l’air désolé en plus.
‘Sors
de chez moi, Paul.’
‘Mais…’
‘Sors !’
Il
hésite, puis se retourne, courbe les épaules de manière penaude et commence à
descendre les escaliers très lentement. Je claque la porte derrière lui. La
colère et la peine se sont mélangées pour former une solution plus qu’explosive
et je ne voulais pas la cracher sur Paul : comment ose-t-il dire ça ?
Comment ose-t-il nier mes sentiments envers lui plutôt que les siens envers
moi ? C’est quoi sa tactique ? Me faire passer pour une groupie prête
à tout pour m’emparer de son cœur et le piétiner avec joie dès que l’occasion
de faire de même avec Till se présenterait ? Mais…c’est…c’est… Rah !
je sens que mon sang bouillonne et quand je l’entends frapper à nouveau à ma porte
– trois petits coups peureux – je suis une véritable expérience scientifique qui
dégénère ; mon sang est bourré de composants chimiques prêts à atomiser
mes organes ; et je sens que je ne pourrai pas me contrôler :
j’attrape ma valise et la jette sur le sol avant d’aller m’enfermer dans la
chambre.
Je crois que Paul est entré. Il a dû s’inquiéter du
bruit, car après quelques minutes, comme s’il avait fait le tour de l’appartement,
il vient frapper à la porte – encore trois petits coups peureux. Le pire, c’est
que je ne sais pas ce qui me met le plus en colère : le fait qu’il ait
partiellement raison dans le sens que, oui, j’admire Till mais que je ne suis
pas idiote au point d’être amoureuse d’un homme que je ne connais même
pas !? Ou le fait que Paul ait choisi de prendre cette excuse bidon pour
rejeter mes sentiments en bloc ? Me prend-il encore pour une gamine qui
peut avaler toutes les excuses qu’on lui sert ? Croit-il vraiment qu’il
peut s’en tirer comme ça ? Après toutes ces fois où il…
Mes
yeux en pleurs se posent sur le portrait de lui que je n’ai pas réussi à finir.
J’ai soudain envie de le déchirer avec mes ongles ; de le lacérer à coup
de griffes ; de l’écorcher avec les épines qui viennent de pousser autour
de mon cœur. Comment ose-t-il ?! Comment ose-t-il ignorer tous ces moments
où il m’a envoyé des signaux plus qu’évidents ? Comment ose-t-il oublier
la fois où, entrant dans ma salle de bains, il a attendu que je me retourne,
soit plusieurs minutes puisque j’avais entendu la porte grincer, pour
dire :
‘Oh !
désolé, je savais pas que tu étais sous la douche.’
Ou encore
la fois où il m’a raconté comment Richard emballe facilement les filles, et me
jouant la manière dont le tombeur procède, m’a attrapée par la taille et a
approché ses lèvres à juste un centimètre des miennes avant de dire en me lâchant :
‘Mais
tu devines la suite !’
Ou ne serait-ce que la fois où
il m’a offert une rose rouge en disant simplement :
‘Je
crois que le fleuriste n’a pas compris ce que je lui ai demandé, en fait…’
Comment ose-t-il me torturer
comme ça ?!?!
‘Excuse-moi,
Amy.’
Je
me tourne vers la porte. J’ai l’impression d’être à bout de souffle quand
j’entends sa voix étouffée dans un sanglot.
‘Je
ne voulais pas te torturer comme tu dis.’
J’ai parlé à haute voix sans le
savoir ? Merde !
‘C’est juste que…je t’aime passionnément et que…j’ai peur
d’aimer comme ça. Car je sais que ça fait mal, vraiment trop mal…quand on est
déçu.’
Je
l’entends renifler. J’ouvre la porte de ma chambre et il est là, en larmes,
devant moi.
‘Et puis… si tu savais combien j’aimerais avoir ne serait-ce
que…dix ans de moins. Tu vois, j’ai…j’ai quand même l’âge d’être ton
père !’
‘Non. T’es beaucoup trop jeune.’
Oui,
je suis toujours en colère : la solution chimique est en train de
bouillonner dans chacun de mes muscles et je suis à deux gouttes de sang de lui
foutre mon poing dans la gueule.
‘Comment ça ?’
‘Mon géniteur fêterait ses 78 ans cette année, alors
t’es bien trop jeune pour être mon père.’
Il
fronce les sourcils.
‘Je croyais que tu connaissais pas ton père.’
‘Je connais juste son nom et sa date de naissance.
Le seul point commun qu’il partage avec toi, c’est d’être Sagittaire. Donc,
non, à part pour le signe astro, tu ne pourrais pas être mon père, non.’
Jusqu’à
ce jour, je ne m’en étais pas rendu compte, d’ailleurs. A ce moment-là me
revient en tête la voix de ma mère qui prêchait : « les Sagittaires fuient
toujours leurs responsabilités, » et j’en rigole.
‘Pourquoi ça te fait rire ?’
Paul
a l’air vexé. Visiblement, il apprécie peu que j’accueille sa confession avec une
posture aussi cynique. Mais pourquoi ne comprend-il donc pas que mes sarcasmes,
c’est pour éviter de lui arracher les yeux !?
‘Ton âge ne peut pas être un obstacle pour moi,
Paul. Tu es trop jeune pour que je puisse t’identifier à la génération de mes
parents. Par contre, c’est vrai qu’à l’inverse, j’ai environ le même âge
qu’Emil, et ça, je te l’accorde, ça peut être gênant…mais seulement pour toi.’
Il
baisse la tête.
‘Tout dépend de toi en fait. En plus, je n’arrive
pas à comprendre ce qui peut te faire croire que j’aime Till plus que toi.
Quoi ? Le tableau ? Bah, regarde alors !’ m’exclamé-je en montrant
son portrait inachevé. ‘Je voulais te faire la surprise pour ton anniversaire
mais peu importe ! Comment peux-tu…comment oses-tu… ?’
Je
fonds littéralement en larmes. Puis je sens ses bras s’enrouler autour de mes
épaules. Après quelques fausses réticences, je pose ma tête contre son torse.
‘Je suis désolé, Amy. Vraiment désolé. Je me suis comporté
comme un sale con, je sais ; je suis impardonnable. Je me sens si bien auprès
de toi que faire un faux pas, prendre une mauvaise décision qui causerait ta
perte me fait peur… Je ne…je ne pourrais pas supporter de te perdre. C’est pour
ça que j’ai cru que c’était mieux de te garder comme amie – pour…pour ne prendre
aucun risque.’
Je
lève la tête et plonge mon regard dans ses yeux en pleurs. Paul est étonnamment
beau quand il est sincère. Il n’a plus cette petite malice qui le fait
ressembler à un enfant. Il a cette maturité que l’homme qui assume enfin ses
sentiments affiche avec pudeur.
‘Comment oses-tu penser que je me sers de toi pour… ?’
‘Je suis désolé. Je…j’avais besoin de me trouver des
excuses. Je vois bien que…que pour toi…l’âge ne…ne…’
Il
déglutit difficilement – ça me rend presque mal à l’aise de le voir faire
l’effort de trouver les mots justes – mais j’ai besoin de savoir ; j’ai
besoin de l’entendre exprimer ses sentiments avec ses propres mots.
‘…que mon âge…n’a pas d’importance, mais…pour moi…ça
en a. Je ne me vois pas…te…te demander de vivre avec moi…sachant que…sachant
que pour moi, ce serait obligatoirement quelque chose de sérieux, presque un
engagement, alors que toi, tu…tu as encore toute ta vie devant toi. J’ai quand
même bientôt cinquante ans, et…ma vie, c’est…c’est celle d’un vieux désormais –
bien pépère devant la télé – à se préparer la même soupe tous les soirs.’
‘Comme ton père ?’
Je souris et il répond à mon
sourire en clignant des yeux.
‘Oui, comme mon père.’
Il
hésite à enchaîner sur l’idée suivante.
‘Même si…’
Il
déglutit à nouveau, jette un œil à son portrait avant de reposer son regard sur
mon tatouage sur la joue.
‘Même si tu as essayé de me faire croire que toi
aussi, tu aimes les mêmes choses qu’un vieux comme moi aime…’
‘Essayé de te faire croire ?’
‘Oui, enfin, je veux dire…heu…’
Il
baisse la tête.
‘Je sais ce que tu penses, là – et c’est pas ce que
j’ai voulu dire.’
Il
questionne encore la sincérité de mes actes et de mes paroles, ou quoi ?
‘Me regarde pas méchamment comme ça.’
‘Je n’te regarde pas méchamment, je…’ m’emporté-je.
‘Ecoute : tu m’aimes comme quelqu’un à admirer
– et ça me fait peur car je ne suis pas quelqu’un d’admirable. Tout ce que tu
trouves d’admirable chez moi, c’est… Je n’arrive pas à croire que tu puisses
m’aimer ainsi. Voilà.’
Je
suis sans voix. Que puis-je répondre à cette remarque si désobligeante envers
lui-même ? Et il attend que je parle, de toute évidence.
‘Tu crois que j’aime une image de toi – pas le
véritable Paul ?’
Il
me regarde droit dans les yeux, comme s’il espérait y voir la réponse à ma
propre question.
‘Tu dis toujours mieux les choses que moi. Oui,
c’est…c’est ce que je me demande.’
‘Et que veux-tu donc que je réponde à ça ? Si
je te dis comment je t’aime, tu vas traduire ça par de l’admiration et
reprendre ton argument de tout à l’heure !’
‘Ne t’énerve pas…’
‘Mais comment veux-tu que je ne m’énerve pas ?
Si je te dis combien je t’aime, tu vas dire que je t’aime trop et en conclure
que tu ne peux pas prendre le risque de m’aimer dans ces conditions – par peur
de me décevoir – c’est bien ça ?’
‘Oui, c’est…c’est un peu ça…’
‘Mais quand est-ce que tu vas finir par comprendre que
quand on aime quelqu’un, on ne voit que le bon chez lui, et que ça se traduit
obligatoirement par de l’admiration ! Oui, j’arrive à ignorer ton
âge ! Et oui, j’arrive à m’accoutumer à ton train-train quotidien !
Car derrière ça, je vois…je vois…je vois l’homme que j’aime, bordel de merde !
Tu fais chier à douter ainsi ! Tu…’
Il
est redevenu impassible – les sourcils froncés – son regard perçant rivé sur
moi.
‘Tu…tu as peur de quoi ? Qu’au bout de cinq
ans, je te dise que je me suis trompée, que j’en aime un autre ?’
‘Oui, c’est ça. Après tout, tu es jeune et jolie –
je ne peux pas prendre le risque de me lancer dans une relation qui n’a aucune
chance d’être sérieuse de ton côté – autant rester amis.’
Mon cerveau devient un
véritable volcan.
‘Je veux dire : je vois bien comment on te regarde
dans la rue – ou pendant tes numéros – c’est évident que tu peux avoir tous les
hommes que tu veux. Je ne peux pas croire que tu puisses…’
‘Ecoute une bonne fois pour toutes : ça fait
cinq ans que je n’ai pas eu un seul homme dans ma vie et encore moins dans mon
lit, et de toute évidence, je suis repartie encore pour plusieurs années comme
ça – voire le reste de ma vie ! Je ne pourrai jamais faire confiance à un
homme autre que toi ; si tu n’arrives pas à comprendre ça, alors, tu
peux…tu peux…’
Je
m’aperçois enfin que ma respiration est saccadée – le « tu peux aller te
faire foutre » n’arrive pas à sortir, il est comme bloqué dans ma gorge –
mon cerveau commence à saturer et voilà que je me mets à ne plus contrôler mes
gémissements. Je vois Paul paniquer, comme s’il me voyait faire une crise
d’épilepsie ; je prends ma tête entre deux mains et commence à m’arracher
les cheveux ; l’expérience scientifique de tout à l’heure a des effets
secondaires plus que néfastes ; Paul se rue sur moi et tente d’attraper
mes poignets ; il me répète « Arrête, s’il te plaît,
arrête ! » mais je n’y arrive pas. Je sais, je sens que quoi que je
dise, quoi que je fasse, il va me rejeter, et remettre en place cette jolie
barrière entre lui et moi – cette espèce de distance factice – ce grillage que je
suis prête à sectionner mais auquel il tient plus que tout au monde. Et je ne
peux pas – je ne veux pas être parquée dans cet enclot. Je ne veux pas – je ne
peux pas supporter cette situation ambiguë plus longtemps.
‘Je ne peux pas ! je ne peux pas être juste une
amie ! Pourquoi tu ne comprends pas ça ?! Je…peux…pas…’
Je
m’écroule par terre mais Paul me tient toujours par les poignets – il
s’agenouille et semble prêt à parler quand je lui crie :
‘Va-t-en ! Si c’est pour me faire souffrir – si
c’est pour faire de moi ton joujou, avec qui tu pourras un jour être l’amant et
l’autre jour le papa, tu peux t’en aller ! J’ai pas besoin de ça !
Va-t-en !’
Paul
essaye de parler, je ne l’entends pas – je crois que mes geignements résonnent
trop fort – même Paul semble reculer. Il finit par me lâcher les poignets et je
recommence à me tirer les cheveux. J’aimerais reprendre mes esprits, retrouver
le contrôle de mon corps, mais ma crise est plus forte que tout. Je sais bien
que je dois avoir l’air d’une aliénée ; je sens que Paul est perturbé par
mon comportement et tourne en rond à la recherche d’une solution ; mais je
continue à me balancer d’avant en arrière, à gémir mon désespoir, à me plonger
dans cet état second où on a l’impression que le monde bascule dans l’autre
sens – où ‘l’Angoisse, atroce, despotique’ ne plante pas son drapeau noir sur
mon crâne incliné mais l’y enfonce à coup de marteau piqueur !
Tout
à coup, j’entends l’intro de Ohne Dich et je lève la tête pour découvrir Paul,
paniqué, debout près de ma chaîne hi-fi, le boîtier de Reise, Reise dans
les mains.
‘Qu’est-ce que tu fais ?’
‘J’ai…pensé que…ça te calmerait.’
Je
me recroqueville sur moi-même – mon cerveau est une lave en fusion qui veut
exploser à nouveau – j’essaie de la retenir, j’essaie… Je sens Paul qui
s’approche et s’agenouille à côté de moi. Il pose sa main sur mon épaule et
j’ai envie de la lui arracher à coup de griffes pour lui faire comprendre
combien il doit regretter de s’être joué de moi ainsi. Puis je sens sa main sur
mes cheveux quand Till entame le refrain. Je fais volte-face et lui lance :
‘Quoi ?’
‘Je suis navré de t’avoir mise dans cet état…’
‘Arrête !’ m’écrié-je en rejetant sa main.
‘Je pensais juste que…’
‘Tu penses mal – tu penses toujours mal.’
‘J’ai seulement cru que ce serait plus simple de ne
pas…’
‘Je t’en supplie, arrête !’
Il
se tait.
‘Tu n’es qu’un lâche !’
Il me regarde droit dans les
yeux avant de répondre :
‘Tu
as raison.’
2
Il
s’est levé et je crois qu’il est allé dans le salon. Le CD continue de tourner
et je n’ai pas la force de me lever pour aller l’arrêter. Je suis toujours
recroquevillée au bout du lit et j’essaie de me remémorer tout ce qui vient de
se passer. Je regrette un peu de m’être laissée assiéger par une crise
d’angoisse devant Paul. Je me rends bien compte combien il doit me prendre pour
une folle désormais. Et bizarrement, cette idée ne me fait plus rien – je sais
que je l’ai perdu. Je sais qu’il ne me regardera plus jamais de la même
manière. Pour lui, je ne serai plus que la demeurée qui ne peut pas contrôler
ses émotions. La dépressive de service qui pète un câble dès qu’on lui dit non.
Paul entre à nouveau dans la
chambre avec une de mes tasses blottie entre ses mains.
‘Je
t’ai préparé un thé.’
J’acquiesce
nonchalamment. Je ne suis pas étonnée – mais je ne suis pas non plus ravie
qu’il ne soit pas parti. Sa présence ne me fait ni chaud ni froid. Je suis bien
trop exténuée. Il vient s’agenouiller à côté et pose la tasse devant moi. Je reconnais
la senteur du thé vert à la pêche et au kiwi. Je n’arrive pas à sourire. Il
sait que c’est mon préféré. Par ses gestes, Paul veut tout faire pour que la
scène d’aujourd’hui passe aux oubliettes. J’ai presque envie de soupirer face à
cette nouvelle lâcheté de sa part. Mais je me contente de prendre la tasse et
de souffler dessus. Je n’ai plus la force de réagir à nouveau.
‘J’ai
refait ta valise.’
‘Et ?’
Paul regarde sa montre.
‘Et l’avion décolle dans un peu plus d’une heure – ça
nous laisse juste assez de temps pour se rendre à l’aéroport et passer les
contrôles en espérant qu’il n’y aura pas trop de monde… Enfin,’ hésite-t-il,
‘…si tu veux toujours y aller.’
Je tourne la tête et lui lance
un regard vide – il attend que je parle mais je ne dis rien.
‘Oh,
Amy – s’il te plaît…dis-moi ce que je dois faire.’
Je soupire. Je baisse la tête
vers ma tasse. Je n’ai même pas la force de boire.
‘Je
sais que ce ne sera plus comme avant mais au moins dis quelque chose. N’importe
quoi. S’il te plaît.’
Je
tourne à nouveau la tête. Paul me lance un regard de supplicié. Je prends une
longue inspiration et me décide à ouvrir la bouche :
‘Imagine…une porte fermée à double tour. Je suis d’un
côté et tu es de l’autre… Mais je n’ai pas la clef. Je sais seulement qu’elle
est dans la poche de ta veste… Et je te répète encore et encore où elle se
trouve… Mais toi, tu persistes à dire que tu vas essayer toutes les autres de
ton porte-clefs… Et à chaque fois que tu essayes une mauvaise clef, tu forces
un peu plus et abîmes la serrure… Au final… la bonne clef ne marchera même
plus.’
Je
vois les yeux gris-verts de Paul se baigner de larmes – d’abord l’œil gauche,
puis le droit – mais c’est sur sa joue droite que coule la première larme –
puis la deuxième. Enfin, ses yeux qui me regardent toujours fixement arrosent
ses joues puis son cou. J’aimerais dire que je ne ressens plus rien – ne pas
compatir – mais ce serait mentir : sa peine me fait mal. Pour échapper à un
réflexe empathique, je trouve la première excuse qui me passe par la tête :
‘Je
vais chercher des mouchoirs.’
Je
m’apprête à me lever quand Paul saisit mon bras, passe sa main dans mes cheveux
et approche ses lèvres des miennes. Il palpite d’hésitation – je crains qu’il
ne se désiste à nouveau. Je suis trop faible pour qu’il me fasse à nouveau cette
fourberie – je sais qu’il pourrait m’achever ainsi, à me faire espérer, mais à
ne jamais honorer mes attentes. Je fixe ses yeux du regard et quand je ne vois
plus que ses paupières, je sais qu’il a enfin la bonne clef en main.
***
Ses lèvres trempées de sel viennent embrasser les
miennes ; ma langue s’empresse de rencontrer la sienne. Instinctivement,
je me redresse et mes mains se faufilent derrière sa nuque et son dos ;
les siennes se nichent près de mes reins. Sa bouche part explorer mon cou
pendant que je m’assieds sur l’une de ses cuisses. Mon esprit maintenant crépite,
comme si la lave de tout à l’heure avait laissé place à quelques feux d’artifices.
Les mains de Paul collent mon bassin contre son ventre, puis attrapent chacune
de mes cuisses. Il me soulève avec effort en se redressant et me dépose aussi
délicatement que possible sur le lit, où il s’allonge sur mon corps. Ses lèvres
embrassent à nouveau mon cou pendant que ses doigts relèvent soigneusement mon
T-shirt. C’est là que je me rends compte de ce qu’il murmure. Il me dit que je
peux l’arrêter quand je veux, que j’ai seulement à dire Stop. En réponse, mes
ongles s’enfoncent dans sa chemise, que j’aimerais lui arracher. Sa main droite
n’ose pas s’approcher trop près de mon sein ; ni son bassin trop près du
mien.
Agacée par tant de manières de sa part, je le pousse
sur le côté et m’installe sur lui, où je commence à déboutonner sa chemise sans
lui demander son avis. Je déballe son torse avec précipitation, caresse et embrasse
ses pectoraux comme on dévore des fraises – avec sauvagerie presque. Ses yeux
légèrement anxieux me regardent m’affairer – quand ils se posent sur mon T-shirt
informe, je décide de l’enlever d’un coup ; et Paul semble être comme
électrocuté – son regard se fixe sur les paroles que j’ai tatouées près de mon
épaule et il se mord instinctivement les lèvres. Alors que je déboucle sa
ceinture, il se redresse d’un coup pour embrasser puis lécher mes tatouages sur
mes seins, ses lèvres s’éternisant enfin sur mon mamelon après avoir tâtonner
autour, comme un nourrisson qui désespérait d’avoir sa tétée du matin.
Il glisse ses mains dans mon pantacourt et saisit
mes fesses pour coller mon bassin contre le sien : son excitation ne fait
plus aucun doute. Mes doigts partent déboutonner son jeans dans le but de
libérer sa protubérance. Il lève la tête tout à coup et me chuchote :
‘Non,
pas trop vite.’
‘D’accord.’
Il
saisit ma taille et m’allonge sur le dos avant de partir à la découverte
lubrique de chacun des recoins et chacune des courbures de mon corps,
s’attardant toujours sur mes tatouages comme si ma peau y était plus douce ou
plus sucrée. Après quelques minutes, il déboutonne mon jeans et le fait glisser
jusqu’à mes chevilles tout en embrassant ma hanche tatouée au passage. L’une de
ses mains remonte le long de mon mollet au cerisier, puis ma cuisse, et s’arrête
sur mon shorty. Elle reste indécise quelques instants avant de se décider à aller
dire Bonjour à mon pubis. Ses doigts gelés par rapport à ma température volcanique
me font frémir quand ils viennent cajoler mon clitoris. A la vue de mes
spasmes, Paul sourit et s’étend sur ma droite pour m’embrasser à nouveau,
pendant que son index continue d’explorer la petite forêt où ma grenouille est
restée longtemps cachée et finit par oublier sa dernière meurtrissure.
Mes
pieds jettent mon pantacourt au loin. Ma jambe gauche s’enroule autour de la
cuisse de Paul ; mes bras autour de son cou. Je dévore ses lèvres comme si
elles étaient en chocolat ; et je finis par lui transmettre mes convulsions.
Il retire sa main pour la faufiler au creux de mes reins puis bascule sur moi
et commence à faire pression là où mon désir n’attend que son audace. Nous
restons allongés ainsi quelques secondes, lui sur moi, mes cuisses serrées
contre ses hanches, son érection appuyée contre mon entre-jambe.
Il se redresse à nouveau pour ôter sa chemise en vitesse,
et je saute sur l’occasion pour attraper le bouton de son pantalon et défaire
sa braguette. Dans ma précipitation, je le griffe au passage et il grimace
légèrement mais ne fait rien pour m’arrêter. Son torse a l’air encore plus musclé
quand il est à genoux, et malgré ses quarante-neuf ans et son ventre un tout petit
peu arrondi, il me fait autant d’effet qu’un jeune éphèbe. Décidant de savourer
ce moment en particulier, je prends tout mon temps pour faire glisser son jeans
à ses genoux, embrassant le creux entre sa hanche et son nombril au passage, ce
qui a le mérite d’assurer un effet immédiat.
Paul
lève la tête et se met à frissonner. Je sens presque ses palpitations
cardiaques sous mes lèvres quand je remonte jusqu’à son torse. Ses mains
s’accrochent à mon shorty et tardent à le faire descendre. Je lui attrape les
poignets et l’aide à me déshabiller. Une fois mon shorty balancé à côté de mon
pantacourt, je glisse ma main vers son pudendum. Il recule instinctivement et
je suis obligée de me rapprocher pour retirer son boxer. En saisissant son pénis,
je lui murmure que je suis désolée d’être si impatiente, qu’il m’a fait trop
attendre – et il sourit avec amusement, presque flatté, on dirait. Alors que je
joue avec sa télécommande, il commence à perdre son souffle.
Il semble
approuver la manœuvre mais je me demande s’il n’est pas plutôt en train de se
concentrer comme un dingue. Il est comme dans un état second – il me regarde
sans me voir, semble-t-il. Lorsqu’il m’allonge à nouveau, c’est avec les gestes
d’un robot ou d’un mime. Et quand il étend son corps avec empressement sur moi,
c’est pour très vite introduire son pénis et démarrer les va-et-vient intensifs.
Au bout de deux minutes à peine, je l’entends jouir – puis sangloter ; et
je caresse sa tête qui s’est réfugiée près de mon cou. Entre deux sanglots, il
s’excuse et m’explique combien il est mortifié par sa médiocre performance ;
et je continue de caresser ses quelques cheveux, le consolant du mieux que je
peux. Près de cinq ans sans coucher avec une femme – et record similaire à mon
compteur aussi – dans ces conditions, on ne peut pas vraiment s’attendre à
mieux. Je le rassure sur mes impressions ; lui répétant que j’ai quand
même passé un merveilleux moment avec lui. Il renifle et acquiesce. Il a l’air
déçu et je n’arrive pas à lui redonner le sourire. Je le laisse reposer sa tête
sur mon cou pendant qu’il caresse mon sein gauche.
‘Je
suis vraiment, vraiment désolé.’
‘Chut…’
***
Il regarde sa montre et dit :
‘Ho-ho !
On est en retard là.’
Je jette un coup d’œil à son
cadran.
‘Oh
merde ! t’as raison.’
Il se
précipite sur ses vêtements et les enfile en vitesse pendant que je me rue sur
ma commode et en extirpe une de mes robes d’été. Nous mettons nos chaussures en
même temps, ce qui nous fait sourire, puis nous sortons de l’appartement et
descendons les escaliers quatre à quatre, moi avec mon sac à main toujours
ouvert, Paul avec ma valise heureusement bien légère. Nous courons jusqu’à sa
voiture, il démarre au quart de tour, et une fois sur le parking de l’aéroport,
nous galopons jusqu’en zone d’embarquement – s’arrêtant juste pour le check-in
et les contrôles. Nous arrivons pile au moment où l’hôtesse de l’air fait son
annonce et nous la supplions de nous laisser embarquer, Paul lui sortant son
regard de chien battu qui fait des ravages. Elle finit par nous laisser passer
et nous dévalons la passerelle jusqu’à l’avion, où nous nous vautrons dans nos sièges,
essoufflés mais soulagés d’être arrivés à temps.
Paul se retourne enfin vers moi
et me sort :
‘Je
n’avais pas sprinté comme ça depuis des années !’
‘Ben,
c’est ça d’être jeune !’
Il
éclate de rire tellement fort que certains passagers se retournent pour le
dévisager. Il s’excuse puis se tourne vers moi et me fait un clin d’œil. Je me
penche vers lui comme pour lui dire quelque chose et il se penche à son tour
pour me tendre l’oreille. Constatant que je ne dis rien, il me regarde ;
je lui souris ; et comprenant enfin, il m’embrasse.
Paul
se fiche éperdument du regard réprobateur des autres passagers qui, de toute évidence,
ont remarqué l’écart d’âge entre lui et moi, et qui zyeutent sa main si bien
lovée dans la mienne. Paul n’a d’yeux que pour moi, et je me sens soudain comme
sur un petit nuage avant même que l’avion ait décollé. Je ne sais pas si ce
sont les effets secondaires de nos ébats de tout à l’heure ou la cavalcade pour
arriver à l’aéroport qui me plongent dans cet état si euphorique, mais une
chose de sûre : pour la première fois depuis des années, je ressens ce
bonheur qui donne la larme à l’œil ; cette allégresse sublime qui donne
envie de crier sa joie à tue-tête.
[Suite]
[Suite]
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