dimanche 2 décembre 2018

Amaryllis - Chapitre VII


VII – Toujours trop jeune !


„Sie sieht mich wie einen Stern
So heiß, strahlend und so fern...“
‚Komm mit Papa’

1

Alors que je me rhabillais devant lui, Paul a pris son air grave pour me répondre :
‘Non, ça ne me dérange pas de te voir travailler. Au contraire, je suis touché que tu me laisses assister à tes numéros. Et j’avoue que c’est pas désagréable de te regarder ainsi,’ dit-il en gloussant un peu. ‘C’est juste que… Les autres – la manière dont ils te regardent, dont ils se comportent, j’aime un peu moins. C’est tout. Tu as le droit de continuer ton travail puisque tu aimes danser comme ça, mais je trouve que tu devrais bosser dans un meilleur endroit – pas en face de vieux soûlards comme eux, tu comprends ?’
‘Oui.’
‘Je… Franchement, j’aime pas du tout la manière dont ils te regardent.’
                Je pensais qu’il allait m’avouer sa flamme, et mettre un terme à cette situation ambiguë, où nous sommes devenus de plus en plus proches tout en gardant une légère distance, juste assez grande pour mettre en place le schéma père-fille. Mais ce soir-là, j’ai su qu’il serait toujours – aussi contradictoire que cela puisse paraître – l’éternel homme-enfant qui évite tout engagement, qu’il ne ferait donc jamais le premier pas !
‘Je tiens vraiment à toi, tu sais. Et pour moi, c’est important que tu ais un joli appartement, et un bon travail, et assez d’argent pour t’amuser et sortir un peu. Je veux… je veux que tu profites de ta jeunesse, c’est tout. Et pas que tu… tu restes dans un milieu assez, enfin voilà, quoi !’
‘Je vois.’
‘Je te considère vraiment comme ma fille, tu sais. Et c’est pour cela que je veux ton bonheur.’

                Et je ne cracherai pas dessus, bien sûr que non. Je suis même heureuse que Paul, homme que j’admire sincèrement depuis quelques années déjà, en soit venu à me considérer « comme sa fille, » comme un être cher qu’on se doit de protéger. En fin de comptes, c’est le rêve de toute petite fille que d’avoir un père qu’on peut admirer. Mais voilà, ce que je ressens envers Paul n’est pas l’amour qu’une fille porte à son père, et ça ne pourra jamais le devenir, tout simplement parce qu’il y a trop d’ambiguïté de mon côté.
                Et aussi parce que je ne suis plus une petite fille.
                Oui, j’aime Paul passionnément, et je suis presque certaine qu’il m’aime aussi de cette manière, pas seulement parce que j’ai vu que le jour de nos retrouvailles, il avait été très troublé par mon strip-show – et ‘troublé’ est un bel euphémisme – pas seulement parce qu’à chaque fois que je fais mon numéro, il a toujours l’air gêné, croisant les jambes en respirant profondément – comme s’il se préparait pour plonger en apnée ; mais aussi parce qu’il a cet air troublé quand je frôle sa main – ou quand je le taquine en touchant son petit ventre avec mon index – ou quand je le regarde droit dans les yeux. Il arrive parfois qu’on discute pendant des heures sans s’arrêter ; et quand tombe un silence, il tourne la tête vers moi, s’approche légèrement, s’humecte la lèvre, puis secoue la tête avant de terminer son café sans me regarder.
                Au début, quand nous nous promenions ensemble, nous nous tenions côte à côte sans nous toucher. Puis il a commencé par me tenir l’épaule. Enfin par le bras. Et parfois, je le sens qui s’égare : sa main posée sur mon épaule descend jusqu’à ma taille, et elle reste là deux secondes, avant d’être retirée bien vite et timidement enfouie dans sa poche.
                Et j’ai beau soupirer dans ces moments-là – lui montrer par un regard ou un geste qu’il ne devrait pas être aussi circonspect – il garde son attitude de papa mignon qui, certes, m’offre des fleurs de temps en temps, m’invite au restaurant, ou me câline gentiment devant un DVD, mais qui ne va pas plus loin que la bise pour dire bonjour.

                Et un jour, au restaurant, il aborde le sujet tabou.
‘Dis-moi… tu vois quelqu’un en ce moment ?’
‘Tu veux dire : ici ? Oui, toi !’
                Il éclate de rire.
‘Non, je veux dire : est-ce que t’as un copain ?’
‘Oh ! je vois… eh bien… c’est compliqué.’
‘Raconte-moi.’
‘En fait… je crois que je suis trop difficile déjà.’
‘Non. Tu es juste exigeante, et c’est bien, ça.’
‘J’adore comment tu tournes mes défauts en qualités – c’est tordant !’
‘Oui, Till dit tout le temps que je devrais arrêter de positiver tout le temps comme ça, que ça l’énerve !’ dit-il en riant. ‘Mais dis-moi : pourquoi c’est compliqué entre vous ?’
‘Je pense qu’il m’aime mais il refuse de me le dire.’
‘Ah bon ? Mais comment tu peux être sûre qu’il t’aime s’il n’a rien dit ?’
                Je fronce les sourcils pour jouer.
‘Donc si je comprends bien, je ne suis pas quelqu’un d’aimable… Très bien. Pas grave.’
‘Non, non ! C’est pas ce que je voulais dire ! Bien sûr que tu es assez bien pour être aimée ! Tu es intelligente, drôle, belle et gentille – tu peux avoir tous les hommes à tes pieds si tu veux tellement que tu es charmante.’
‘Ah bon ? Faudrait le leur dire !’
                Il se met à rire.
‘Bon, c’est vrai que tu as un sacré caractère aussi – mais ça fait partie de tes qualités pour ceux qui savent apprécier. Moi, en tout cas, j’apprécie !’
                Il me fait un clin d’œil et je souris timidement.
‘Alors dis-moi : ce type…’
‘Oui… eh bien, en fait… je crois qu’il veut qu’on reste amis.’
‘Ah ?’
‘Oui. On est plutôt proches ; on se dit presque tout ; il est devenu mon unique confident, en quelque sorte, et il le sait. Oh ! et il a parfois des gestes ambigus.’
‘Hm.’
‘Mais il ne va jamais plus loin que l’attitude du meilleur pote.’
‘Et tu as des sentiments envers lui ?’
‘Je lui serai éternellement reconnaissante pour tout ce qu’il a fait pour moi.’
‘Tu lui en as parlé ?’
‘On n’a jamais abordé le sujet. En fait, il est peu loquace concernant les sentiments amoureux en général. Il est célibataire, et on dirait que sa dernière relation l’a profondément marqué car il n’aime pas en parler. Même si on est très proches, il ne m’en parle pas.’
‘Ah, je vois. Mais il n’y a jamais eu d’occasion où… – tu as dit qu’il a eu des gestes ambigus parfois, c’est ça ?’
‘Oui.’
‘C’est-à-dire ?’
                J’hésite. Il ne voit pas du tout où je veux en venir. Mais alors pas du tout. C’est vrai que Paul m’a toujours paru un peu naïf.
‘En fait, il arrive parfois qu’il me regarde dans les yeux, alors que je suis en train de parler. Et d’un coup, je m’arrête au milieu d’une phrase et on dirait qu’il n’a pas fait attention parce qu’il me regarde toujours, sans mot dire, juste comme ça, fixement. Et il suffit que je touche mes cheveux pour qu’il se mette à regarder ma mèche longuement et intensément. Puis je me penche en avant…’
                Je mets les coudes sur la table et me penche vers lui.
‘…et tout logiquement, son regard descend vers mon tatouage.’
                Instinctivement, Paul regarde ma poitrine.
‘Et là, je lui dis…’
                Paul regarde à nouveau ma mèche, que j’enroule autour de mon index, tic quasi inconscient, sauf peut-être aujourd’hui.
‘… « Paul, tu rêvasses encore ! » avant qu’il ne secoue la tête avec un sourire et regarde ailleurs.’
                Il me regarde droit dans les yeux. Il a compris mais son air mécontent, déçu que j’ais décidé de casser cette situation pourtant si agréablement équivoque, fait l’effet d’un électrochoc. Il secoue la tête mais ne sourit pas. Il regarde son assiette presque vide. Je me tais. Et nous recommençons à trifouiller avec notre fourchette en silence.

                Il me raccompagne jusqu’à chez moi sans mot dire. Grâce à l’argent qu’il m’a donné (je préfère dire prêté), je n’habite pas loin du centre dans un appartement un peu plus grand, dans un immeuble qui appartient entièrement à Paul, ce qui m’oblige à aller en bus au cabaret, où Gürt a pourtant gardé ma chambre telle quelle. J’ai promis à Paul que je le rembourserai bientôt. Il a balayé ma remarque d’un sourire.
‘Avec les intérêts !’ ai-je précisé.
‘Et puis quoi encore ? Non, c’est chez toi maintenant, et tu ne me dois rien du tout.’
                C’était il y a deux mois, quand on jouait les amis. Aujourd’hui, sur le seuil, après avoir ouvert la porte du hall d’entrée, je me retourne vers lui et lui demande s’il veut boire un café.
‘On va éviter.’
                Je constate qu’il n’a toujours pas encaissé le coup que je lui ai donné au restaurant, au moment des confessions.
‘D’accord. Alors à bientôt !’
‘Oui. A bientôt.’
                Il tourne les talons et se dirige vers sa voiture. Il monte dedans sans me regarder, sans me faire signe de la main comme avant. Il démarre et s’en va. Je reste sur le perron et me mets à pleurer lamentablement.

***

                Je n’entends pas parler de lui pendant une semaine. Mon anniversaire approchant, je me dis qu’il a sûrement oublié ou annulé les petites vacances qu’il avait prévues : il voulait aller dans le sud de la France pour « changer d’air » comme il dit, et il estimait que c’était important que j’aille voir ma famille de temps en temps car il regrettait toujours amèrement de ne pas être lui-même retourné en Pologne voir sa mère avant de recevoir le courrier de son beau-père lui disant que « l’ancienne Frau Hiersche » (pour reprendre l’expression de Paul) était décédée.
                Je défais donc la valise que j’avais préparée depuis la mi-juillet pour être sûre de ne rien oublier. Je ne regrette pas d’avoir ouvert mon cœur à Paul. Je suis, certes, désespérée qu’il ait choisi de le laisser traîner dans un coin, ne donnant plus aucune nouvelle, plus aucun signe de vie, mais je ne peux pas non plus dire que je ne m’attendais pas à ce type de réaction. Paul est quelqu’un d’assez froid, voire impassible, en ce qui concerne tout ce qui touche les sentiments. Pourtant, il a son petit côté affectueux, mais seulement quand il l’estime nécessaire et jamais en public. Il est aimable sur commande en quelque sorte.
                A moins qu’il ne soit ainsi seulement avec moi – par effet miroir. Oui, je suis devenue froide avec les hommes – il a dû le remarquer – et sinon, je lui en ai certainement parlé – faisant de Paul l’unique exception : le seul qui peut me prendre dans ses bras sans que mon corps se raidisse, le seul qui peut caresser mes cheveux sans que je recule de trois pas. Il l’a compris et a dû traduire mon attitude en envie de père, dont il a adopté le rôle très volontiers – sûrement aussi parce qu’il craint de dévoiler son propre désir, à des années lumière de celui qu’il m’a désigné par erreur. C’est malheureux comme on peut être proche de quelqu’un et en même temps se tromper aussi lourdement sur ses sentiments.

‘Je peux garder celui-là ?’ m’a-t-il demandé le jour où j’ai emménagé dans le nouvel appartement, en désignant l’une de mes peintures que nous déballions.
                Je me suis approchée et j’ai vu qu’il indiquait l’un des rares portraits que j’avais peints. Je peignais en général des paysages imaginés mais j’avais décidé récemment de m’essayer au portrait, commençant avec une photo de mes nièces comme modèle, puis une de Till, et enfin une de moi-même – dansant la salsa dans une robe qui laissait entrevoir mes porte-jarretelles – l’une des seules photos de moi que je ne trouve pas affreuse car on n'y voit pas mon visage. Et c’est cette dernière peinture que Paul a pointé du doigt. (Il ignore que j’ai aussi commencé un portrait de lui – une petite surprise que je lui réserve.)
‘Je trouve que tu l’as vraiment bien réussi, celui-là. Je peux le prendre ?’
                Je l’ai regardé en fronçant les sourcils.
‘Pour en faire quoi, petit coquin ?’
                Il a éclaté de rire comme jamais auparavant.
‘Non, non ! C’est pas ce que tu crois – j’ai juste envie de l’accrocher dans mon studio parce que je le trouve bien dessiné, c’est tout. Je ne vais pas le mettre dans ma chambre – si c’est ce que tu crois… Pas très convaincant, hein ?’
‘Non, pas vraiment,’ lui ai-je dit en riant.
                Il a soupiré longuement.
‘Dommage…’
‘Tu le veux vraiment ?’
‘Ouais mais tu veux pas,’ a-t-il bougonné comme un enfant privé de bonbon.
‘Bon, très bien, prends-le – de toute façon, je sais pas où le mettre.’
‘Yeah !’
                Il m’a prise dans ses bras et m’a embrassé la joue ; puis il a saisi le tableau et l’a levé à hauteur d’yeux avant de tourner la tête vers moi, avec un petit sourire sournois au coin des lèvres.
‘Surtout, n’hésite pas à me le dire si tu trouves que j’en fais trop niveau gamineries.’
‘Si t’en as envie, pourquoi je t’en empêcherais ?’
‘Bah, des fois je me dis que je suis nul pour jouer les papas, en fait…’
                Par la suite, on a fini par parler de Thomas alias Tanja, avec qui il a du mal à communiquer, surtout parce qu’il est de la vieille école et qu’il a du mal à croire en l’existence des non binaires, mais je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir à sa dernière phrase : s’il n’est pas doué dans son rôle de père, pourquoi s’empresser de jouer ce rôle avec moi ?

***

                Quelqu’un sonne à l’interphone. Paul. Je suis tellement étonnée que j’oublie d’appuyer sur le bouton pour ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble. Il sonne à nouveau.
‘Oui, désolée ! Je t’ouvre tout de suite !’
                Le temps qu’il monte les escaliers qui mènent à mon étage, je tourne en rond comme un lion dans sa cage. Une fois sur le seuil de ma porte, Paul me regarde gravement, et j’hésite à le faire entrer. Je suis vêtue de mon T-Shirt Iron Maiden XXL monstrueux et je ne pense pas être vraiment présentable. Il voit ma valise sur le canapé et me demande pourquoi je la défais.
‘Ben… comme je n’ai pas eu de nouvelles… je pensais que… tu avais annulé…’
                Il me regarde en fronçant les sourcils, puis baisse la tête en soupirant.
‘Désolé.’
                C’est tout ce qu’il trouve à dire. Paul est décidément nul pour les excuses.
‘Refais ta valise, on y va.’
‘Quoi ?’
                Il me regarde fixement et comprend enfin que je ne laisserai pas passer ce coup-là.
‘Ecoute : je…’
                Il prend sa respiration.
‘Je voulais pas te… te blesser ou quoi que ce soit… c’est juste que… j’avais besoin de réfléchir à ce que tu as dit et…’
‘Et… ?’
                De toute évidence, il n’est pas venu pour m’ouvrir son cœur. Il a ce petit quelque chose dans la voix qui sonne faux – comme s’il cherchait à me prouver une vérité qui ne va pas me faire plaisir car je sais qu’il n’y croit pas non plus.
‘Et… je crois que tu as mal interprété les… sentiments que tu as envers moi…’
‘Comment ça ?’
                C’est souvent ce que je dis pour gagner du temps, reprendre mes esprits embrouillés, rediriger ma colère qui commence à fuser dans tous les sens.
‘Je sais combien tu admires Till… et… enfin ! c’est clair, non ?’ fait-il en montrant le portrait de Till que j’ai accroché dans mon salon. ‘Tu ne m’aimes pas vraiment, je le sais… c’est juste parce que tu aimes Till, en fait, et que tu veux te rapprocher de lui que tu…’
                Je suis littéralement sidérée.
‘C’est vraiment ce que tu penses ?’
‘Oui… oui, c’est ce que je pens…’
                Je n’arrive vraiment pas à le croire. Comment ose-t-il s’échapper comme ça ? En queue de poisson, comme le pire des imbéciles ?!?
‘Et t’es venu juste pour me dire… ça ?’
‘Oui-oui…’ bégaye-t-il en regardant sa montre, ‘…et aussi pour dire que l’avion part dans moins de deux heures, donc il faudrait que tu remettes tes affaires dans ta valise maintenant sinon on va être en reta…’
                Il décroche les yeux de sa montre et me regarde fixement. Je crois que j’ai dû me mettre à pleurer car c’est le même regard indécis qu’il a eu il y a quatre ans et demi à Nantes, avec l’air désolé en plus.
‘Sors de chez moi, Paul.’
‘Mais…’
‘Sors !’
                Il hésite, puis se retourne, courbe les épaules de manière penaude et commence à descendre les escaliers très lentement. Je claque la porte derrière lui. La colère et la peine se sont mélangées pour former une solution plus qu’explosive et je ne voulais pas la cracher sur Paul : comment ose-t-il dire ça ? Comment ose-t-il nier mes sentiments envers lui plutôt que les siens envers moi ? C’est quoi sa tactique ? Me faire passer pour une groupie prête à tout pour m’emparer de son cœur et le piétiner avec joie dès que l’occasion de faire de même avec Till se présenterait ? Mais…c’est…c’est… Rah ! je sens que mon sang bouillonne et quand je l’entends frapper à nouveau à ma porte – trois petits coups peureux – je suis une véritable expérience scientifique qui dégénère ; mon sang est bourré de composants chimiques prêts à atomiser mes organes ; et je sens que je ne pourrai pas me contrôler : j’attrape ma valise et la jette sur le sol avant d’aller m’enfermer dans la chambre.
Je crois que Paul est entré. Il a dû s’inquiéter du bruit, car après quelques minutes, comme s’il avait fait le tour de l’appartement, il vient frapper à la porte – encore trois petits coups peureux. Le pire, c’est que je ne sais pas ce qui me met le plus en colère : le fait qu’il ait partiellement raison dans le sens que, oui, j’admire Till mais que je ne suis pas idiote au point d’être amoureuse d’un homme que je ne connais même pas !? Ou le fait que Paul ait choisi de prendre cette excuse bidon pour rejeter mes sentiments en bloc ? Me prend-il encore pour une gamine qui peut avaler toutes les excuses qu’on lui sert ? Croit-il vraiment qu’il peut s’en tirer comme ça ? Après toutes ces fois où il…
                Mes yeux en pleurs se posent sur le portrait de lui que je n’ai pas réussi à finir. J’ai soudain envie de le déchirer avec mes ongles ; de le lacérer à coup de griffes ; de l’écorcher avec les épines qui viennent de pousser autour de mon cœur. Comment ose-t-il ?! Comment ose-t-il ignorer tous ces moments où il m’a envoyé des signaux plus qu’évidents ? Comment ose-t-il oublier la fois où, entrant dans ma salle de bains, il a attendu que je me retourne, soit plusieurs minutes puisque j’avais entendu la porte grincer, pour dire :
‘Oh ! désolé, je savais pas que tu étais sous la douche.’
                Ou encore la fois où il m’a raconté comment Richard emballe facilement les filles, et me jouant la manière dont le tombeur procède, m’a attrapée par la taille et a approché ses lèvres à juste un centimètre des miennes avant de dire en me lâchant :
‘Mais tu devines la suite !’
                Ou ne serait-ce que la fois où il m’a offert une rose rouge en disant simplement :
‘Je crois que le fleuriste n’a pas compris ce que je lui ai demandé, en fait…’
                Comment ose-t-il me torturer comme ça ?!?!
‘Excuse-moi, Amy.’
                Je me tourne vers la porte. J’ai l’impression d’être à bout de souffle quand j’entends sa voix étouffée dans un sanglot.
‘Je ne voulais pas te torturer comme tu dis.’
                J’ai parlé à haute voix sans le savoir ? Merde !
‘C’est juste que…je t’aime passionnément et que…j’ai peur d’aimer comme ça. Car je sais que ça fait mal, vraiment trop mal…quand on est déçu.’
                Je l’entends renifler. J’ouvre la porte de ma chambre et il est là, en larmes, devant moi.
‘Et puis… si tu savais combien j’aimerais avoir ne serait-ce que…dix ans de moins. Tu vois, j’ai…j’ai quand même l’âge d’être ton père !’
‘Non. T’es beaucoup trop jeune.’
                Oui, je suis toujours en colère : la solution chimique est en train de bouillonner dans chacun de mes muscles et je suis à deux gouttes de sang de lui foutre mon poing dans la gueule.
‘Comment ça ?’
‘Mon géniteur fêterait ses 78 ans cette année, alors t’es bien trop jeune pour être mon père.’
                Il fronce les sourcils.
‘Je croyais que tu connaissais pas ton père.’
‘Je connais juste son nom et sa date de naissance. Le seul point commun qu’il partage avec toi, c’est d’être Sagittaire. Donc, non, à part pour le signe astro, tu ne pourrais pas être mon père, non.’
                Jusqu’à ce jour, je ne m’en étais pas rendu compte, d’ailleurs. A ce moment-là me revient en tête la voix de ma mère qui prêchait : « les Sagittaires fuient toujours leurs responsabilités, » et j’en rigole.
‘Pourquoi ça te fait rire ?’
                Paul a l’air vexé. Visiblement, il apprécie peu que j’accueille sa confession avec une posture aussi cynique. Mais pourquoi ne comprend-il donc pas que mes sarcasmes, c’est pour éviter de lui arracher les yeux !?
‘Ton âge ne peut pas être un obstacle pour moi, Paul. Tu es trop jeune pour que je puisse t’identifier à la génération de mes parents. Par contre, c’est vrai qu’à l’inverse, j’ai environ le même âge qu’Emil, et ça, je te l’accorde, ça peut être gênant…mais seulement pour toi.’
                Il baisse la tête.
‘Tout dépend de toi en fait. En plus, je n’arrive pas à comprendre ce qui peut te faire croire que j’aime Till plus que toi. Quoi ? Le tableau ? Bah, regarde alors !’ m’exclamé-je en montrant son portrait inachevé. ‘Je voulais te faire la surprise pour ton anniversaire mais peu importe ! Comment peux-tu…comment oses-tu… ?’
                Je fonds littéralement en larmes. Puis je sens ses bras s’enrouler autour de mes épaules. Après quelques fausses réticences, je pose ma tête contre son torse.
‘Je suis désolé, Amy. Vraiment désolé. Je me suis comporté comme un sale con, je sais ; je suis impardonnable. Je me sens si bien auprès de toi que faire un faux pas, prendre une mauvaise décision qui causerait ta perte me fait peur… Je ne…je ne pourrais pas supporter de te perdre. C’est pour ça que j’ai cru que c’était mieux de te garder comme amie – pour…pour ne prendre aucun risque.’
                Je lève la tête et plonge mon regard dans ses yeux en pleurs. Paul est étonnamment beau quand il est sincère. Il n’a plus cette petite malice qui le fait ressembler à un enfant. Il a cette maturité que l’homme qui assume enfin ses sentiments affiche avec pudeur.
‘Comment oses-tu penser que je me sers de toi pour… ?’
‘Je suis désolé. Je…j’avais besoin de me trouver des excuses. Je vois bien que…que pour toi…l’âge ne…ne…’
                Il déglutit difficilement – ça me rend presque mal à l’aise de le voir faire l’effort de trouver les mots justes – mais j’ai besoin de savoir ; j’ai besoin de l’entendre exprimer ses sentiments avec ses propres mots.
‘…que mon âge…n’a pas d’importance, mais…pour moi…ça en a. Je ne me vois pas…te…te demander de vivre avec moi…sachant que…sachant que pour moi, ce serait obligatoirement quelque chose de sérieux, presque un engagement, alors que toi, tu…tu as encore toute ta vie devant toi. J’ai quand même bientôt cinquante ans, et…ma vie, c’est…c’est celle d’un vieux désormais – bien pépère devant la télé – à se préparer la même soupe tous les soirs.’
‘Comme ton père ?’
Je souris et il répond à mon sourire en clignant des yeux.
‘Oui, comme mon père.’
                Il hésite à enchaîner sur l’idée suivante.
‘Même si…’
                Il déglutit à nouveau, jette un œil à son portrait avant de reposer son regard sur mon tatouage sur la joue.
‘Même si tu as essayé de me faire croire que toi aussi, tu aimes les mêmes choses qu’un vieux comme moi aime…’
‘Essayé de te faire croire ?’
‘Oui, enfin, je veux dire…heu…’
                Il baisse la tête.
‘Je sais ce que tu penses, là – et c’est pas ce que j’ai voulu dire.’
                Il questionne encore la sincérité de mes actes et de mes paroles, ou quoi ?
‘Me regarde pas méchamment comme ça.’
‘Je n’te regarde pas méchamment, je…’ m’emporté-je.
‘Ecoute : tu m’aimes comme quelqu’un à admirer – et ça me fait peur car je ne suis pas quelqu’un d’admirable. Tout ce que tu trouves d’admirable chez moi, c’est… Je n’arrive pas à croire que tu puisses m’aimer ainsi. Voilà.’
                Je suis sans voix. Que puis-je répondre à cette remarque si désobligeante envers lui-même ? Et il attend que je parle, de toute évidence.
‘Tu crois que j’aime une image de toi – pas le véritable Paul ?’
                Il me regarde droit dans les yeux, comme s’il espérait y voir la réponse à ma propre question.
‘Tu dis toujours mieux les choses que moi. Oui, c’est…c’est ce que je me demande.’
‘Et que veux-tu donc que je réponde à ça ? Si je te dis comment je t’aime, tu vas traduire ça par de l’admiration et reprendre ton argument de tout à l’heure !’
‘Ne t’énerve pas…’
‘Mais comment veux-tu que je ne m’énerve pas ? Si je te dis combien je t’aime, tu vas dire que je t’aime trop et en conclure que tu ne peux pas prendre le risque de m’aimer dans ces conditions – par peur de me décevoir – c’est bien ça ?’
‘Oui, c’est…c’est un peu ça…’
‘Mais quand est-ce que tu vas finir par comprendre que quand on aime quelqu’un, on ne voit que le bon chez lui, et que ça se traduit obligatoirement par de l’admiration ! Oui, j’arrive à ignorer ton âge ! Et oui, j’arrive à m’accoutumer à ton train-train quotidien ! Car derrière ça, je vois…je vois…je vois l’homme que j’aime, bordel de merde ! Tu fais chier à douter ainsi ! Tu…’
                Il est redevenu impassible – les sourcils froncés – son regard perçant rivé sur moi.
‘Tu…tu as peur de quoi ? Qu’au bout de cinq ans, je te dise que je me suis trompée, que j’en aime un autre ?’
‘Oui, c’est ça. Après tout, tu es jeune et jolie – je ne peux pas prendre le risque de me lancer dans une relation qui n’a aucune chance d’être sérieuse de ton côté – autant rester amis.’
Mon cerveau devient un véritable volcan.
‘Je veux dire : je vois bien comment on te regarde dans la rue – ou pendant tes numéros – c’est évident que tu peux avoir tous les hommes que tu veux. Je ne peux pas croire que tu puisses…’
‘Ecoute une bonne fois pour toutes : ça fait cinq ans que je n’ai pas eu un seul homme dans ma vie et encore moins dans mon lit, et de toute évidence, je suis repartie encore pour plusieurs années comme ça – voire le reste de ma vie ! Je ne pourrai jamais faire confiance à un homme autre que toi ; si tu n’arrives pas à comprendre ça, alors, tu peux…tu peux…’
                Je m’aperçois enfin que ma respiration est saccadée – le « tu peux aller te faire foutre » n’arrive pas à sortir, il est comme bloqué dans ma gorge – mon cerveau commence à saturer et voilà que je me mets à ne plus contrôler mes gémissements. Je vois Paul paniquer, comme s’il me voyait faire une crise d’épilepsie ; je prends ma tête entre deux mains et commence à m’arracher les cheveux ; l’expérience scientifique de tout à l’heure a des effets secondaires plus que néfastes ; Paul se rue sur moi et tente d’attraper mes poignets ; il me répète « Arrête, s’il te plaît, arrête ! » mais je n’y arrive pas. Je sais, je sens que quoi que je dise, quoi que je fasse, il va me rejeter, et remettre en place cette jolie barrière entre lui et moi – cette espèce de distance factice – ce grillage que je suis prête à sectionner mais auquel il tient plus que tout au monde. Et je ne peux pas – je ne veux pas être parquée dans cet enclot. Je ne veux pas – je ne peux pas supporter cette situation ambiguë plus longtemps.
‘Je ne peux pas ! je ne peux pas être juste une amie ! Pourquoi tu ne comprends pas ça ?! Je…peux…pas…’
                Je m’écroule par terre mais Paul me tient toujours par les poignets – il s’agenouille et semble prêt à parler quand je lui crie :
‘Va-t-en ! Si c’est pour me faire souffrir – si c’est pour faire de moi ton joujou, avec qui tu pourras un jour être l’amant et l’autre jour le papa, tu peux t’en aller ! J’ai pas besoin de ça ! Va-t-en !’
                Paul essaye de parler, je ne l’entends pas – je crois que mes geignements résonnent trop fort – même Paul semble reculer. Il finit par me lâcher les poignets et je recommence à me tirer les cheveux. J’aimerais reprendre mes esprits, retrouver le contrôle de mon corps, mais ma crise est plus forte que tout. Je sais bien que je dois avoir l’air d’une aliénée ; je sens que Paul est perturbé par mon comportement et tourne en rond à la recherche d’une solution ; mais je continue à me balancer d’avant en arrière, à gémir mon désespoir, à me plonger dans cet état second où on a l’impression que le monde bascule dans l’autre sens – où ‘l’Angoisse, atroce, despotique’ ne plante pas son drapeau noir sur mon crâne incliné mais l’y enfonce à coup de marteau piqueur !
                Tout à coup, j’entends l’intro de Ohne Dich et je lève la tête pour découvrir Paul, paniqué, debout près de ma chaîne hi-fi, le boîtier de Reise, Reise dans les mains.
‘Qu’est-ce que tu fais ?’
‘J’ai…pensé que…ça te calmerait.’
                Je me recroqueville sur moi-même – mon cerveau est une lave en fusion qui veut exploser à nouveau – j’essaie de la retenir, j’essaie… Je sens Paul qui s’approche et s’agenouille à côté de moi. Il pose sa main sur mon épaule et j’ai envie de la lui arracher à coup de griffes pour lui faire comprendre combien il doit regretter de s’être joué de moi ainsi. Puis je sens sa main sur mes cheveux quand Till entame le refrain. Je fais volte-face et lui lance :
‘Quoi ?’
‘Je suis navré de t’avoir mise dans cet état…’
‘Arrête !’ m’écrié-je en rejetant sa main.
‘Je pensais juste que…’
‘Tu penses mal – tu penses toujours mal.’
‘J’ai seulement cru que ce serait plus simple de ne pas…’
‘Je t’en supplie, arrête !’
                Il se tait.
‘Tu n’es qu’un lâche !’
                Il me regarde droit dans les yeux avant de répondre :
‘Tu as raison.’

2

                Il s’est levé et je crois qu’il est allé dans le salon. Le CD continue de tourner et je n’ai pas la force de me lever pour aller l’arrêter. Je suis toujours recroquevillée au bout du lit et j’essaie de me remémorer tout ce qui vient de se passer. Je regrette un peu de m’être laissée assiéger par une crise d’angoisse devant Paul. Je me rends bien compte combien il doit me prendre pour une folle désormais. Et bizarrement, cette idée ne me fait plus rien – je sais que je l’ai perdu. Je sais qu’il ne me regardera plus jamais de la même manière. Pour lui, je ne serai plus que la demeurée qui ne peut pas contrôler ses émotions. La dépressive de service qui pète un câble dès qu’on lui dit non.
                Paul entre à nouveau dans la chambre avec une de mes tasses blottie entre ses mains.
‘Je t’ai préparé un thé.’
                J’acquiesce nonchalamment. Je ne suis pas étonnée – mais je ne suis pas non plus ravie qu’il ne soit pas parti. Sa présence ne me fait ni chaud ni froid. Je suis bien trop exténuée. Il vient s’agenouiller à côté et pose la tasse devant moi. Je reconnais la senteur du thé vert à la pêche et au kiwi. Je n’arrive pas à sourire. Il sait que c’est mon préféré. Par ses gestes, Paul veut tout faire pour que la scène d’aujourd’hui passe aux oubliettes. J’ai presque envie de soupirer face à cette nouvelle lâcheté de sa part. Mais je me contente de prendre la tasse et de souffler dessus. Je n’ai plus la force de réagir à nouveau.
‘J’ai refait ta valise.’
‘Et ?’
                Paul regarde sa montre.
‘Et l’avion décolle dans un peu plus d’une heure – ça nous laisse juste assez de temps pour se rendre à l’aéroport et passer les contrôles en espérant qu’il n’y aura pas trop de monde… Enfin,’ hésite-t-il, ‘…si tu veux toujours y aller.’
                Je tourne la tête et lui lance un regard vide – il attend que je parle mais je ne dis rien.
‘Oh, Amy – s’il te plaît…dis-moi ce que je dois faire.’
                Je soupire. Je baisse la tête vers ma tasse. Je n’ai même pas la force de boire.
‘Je sais que ce ne sera plus comme avant mais au moins dis quelque chose. N’importe quoi. S’il te plaît.’
                Je tourne à nouveau la tête. Paul me lance un regard de supplicié. Je prends une longue inspiration et me décide à ouvrir la bouche :
‘Imagine…une porte fermée à double tour. Je suis d’un côté et tu es de l’autre… Mais je n’ai pas la clef. Je sais seulement qu’elle est dans la poche de ta veste… Et je te répète encore et encore où elle se trouve… Mais toi, tu persistes à dire que tu vas essayer toutes les autres de ton porte-clefs… Et à chaque fois que tu essayes une mauvaise clef, tu forces un peu plus et abîmes la serrure… Au final… la bonne clef ne marchera même plus.’
                Je vois les yeux gris-verts de Paul se baigner de larmes – d’abord l’œil gauche, puis le droit – mais c’est sur sa joue droite que coule la première larme – puis la deuxième. Enfin, ses yeux qui me regardent toujours fixement arrosent ses joues puis son cou. J’aimerais dire que je ne ressens plus rien – ne pas compatir – mais ce serait mentir : sa peine me fait mal. Pour échapper à un réflexe empathique, je trouve la première excuse qui me passe par la tête :
‘Je vais chercher des mouchoirs.’
                Je m’apprête à me lever quand Paul saisit mon bras, passe sa main dans mes cheveux et approche ses lèvres des miennes. Il palpite d’hésitation – je crains qu’il ne se désiste à nouveau. Je suis trop faible pour qu’il me fasse à nouveau cette fourberie – je sais qu’il pourrait m’achever ainsi, à me faire espérer, mais à ne jamais honorer mes attentes. Je fixe ses yeux du regard et quand je ne vois plus que ses paupières, je sais qu’il a enfin la bonne clef en main.

***

Ses lèvres trempées de sel viennent embrasser les miennes ; ma langue s’empresse de rencontrer la sienne. Instinctivement, je me redresse et mes mains se faufilent derrière sa nuque et son dos ; les siennes se nichent près de mes reins. Sa bouche part explorer mon cou pendant que je m’assieds sur l’une de ses cuisses. Mon esprit maintenant crépite, comme si la lave de tout à l’heure avait laissé place à quelques feux d’artifices. Les mains de Paul collent mon bassin contre son ventre, puis attrapent chacune de mes cuisses. Il me soulève avec effort en se redressant et me dépose aussi délicatement que possible sur le lit, où il s’allonge sur mon corps. Ses lèvres embrassent à nouveau mon cou pendant que ses doigts relèvent soigneusement mon T-shirt. C’est là que je me rends compte de ce qu’il murmure. Il me dit que je peux l’arrêter quand je veux, que j’ai seulement à dire Stop. En réponse, mes ongles s’enfoncent dans sa chemise, que j’aimerais lui arracher. Sa main droite n’ose pas s’approcher trop près de mon sein ; ni son bassin trop près du mien.
Agacée par tant de manières de sa part, je le pousse sur le côté et m’installe sur lui, où je commence à déboutonner sa chemise sans lui demander son avis. Je déballe son torse avec précipitation, caresse et embrasse ses pectoraux comme on dévore des fraises – avec sauvagerie presque. Ses yeux légèrement anxieux me regardent m’affairer – quand ils se posent sur mon T-shirt informe, je décide de l’enlever d’un coup ; et Paul semble être comme électrocuté – son regard se fixe sur les paroles que j’ai tatouées près de mon épaule et il se mord instinctivement les lèvres. Alors que je déboucle sa ceinture, il se redresse d’un coup pour embrasser puis lécher mes tatouages sur mes seins, ses lèvres s’éternisant enfin sur mon mamelon après avoir tâtonner autour, comme un nourrisson qui désespérait d’avoir sa tétée du matin.
Il glisse ses mains dans mon pantacourt et saisit mes fesses pour coller mon bassin contre le sien : son excitation ne fait plus aucun doute. Mes doigts partent déboutonner son jeans dans le but de libérer sa protubérance. Il lève la tête tout à coup et me chuchote :
‘Non, pas trop vite.’
‘D’accord.’
                Il saisit ma taille et m’allonge sur le dos avant de partir à la découverte lubrique de chacun des recoins et chacune des courbures de mon corps, s’attardant toujours sur mes tatouages comme si ma peau y était plus douce ou plus sucrée. Après quelques minutes, il déboutonne mon jeans et le fait glisser jusqu’à mes chevilles tout en embrassant ma hanche tatouée au passage. L’une de ses mains remonte le long de mon mollet au cerisier, puis ma cuisse, et s’arrête sur mon shorty. Elle reste indécise quelques instants avant de se décider à aller dire Bonjour à mon pubis. Ses doigts gelés par rapport à ma température volcanique me font frémir quand ils viennent cajoler mon clitoris. A la vue de mes spasmes, Paul sourit et s’étend sur ma droite pour m’embrasser à nouveau, pendant que son index continue d’explorer la petite forêt où ma grenouille est restée longtemps cachée et finit par oublier sa dernière meurtrissure.
                Mes pieds jettent mon pantacourt au loin. Ma jambe gauche s’enroule autour de la cuisse de Paul ; mes bras autour de son cou. Je dévore ses lèvres comme si elles étaient en chocolat ; et je finis par lui transmettre mes convulsions. Il retire sa main pour la faufiler au creux de mes reins puis bascule sur moi et commence à faire pression là où mon désir n’attend que son audace. Nous restons allongés ainsi quelques secondes, lui sur moi, mes cuisses serrées contre ses hanches, son érection appuyée contre mon entre-jambe.
Il se redresse à nouveau pour ôter sa chemise en vitesse, et je saute sur l’occasion pour attraper le bouton de son pantalon et défaire sa braguette. Dans ma précipitation, je le griffe au passage et il grimace légèrement mais ne fait rien pour m’arrêter. Son torse a l’air encore plus musclé quand il est à genoux, et malgré ses quarante-neuf ans et son ventre un tout petit peu arrondi, il me fait autant d’effet qu’un jeune éphèbe. Décidant de savourer ce moment en particulier, je prends tout mon temps pour faire glisser son jeans à ses genoux, embrassant le creux entre sa hanche et son nombril au passage, ce qui a le mérite d’assurer un effet immédiat.
                Paul lève la tête et se met à frissonner. Je sens presque ses palpitations cardiaques sous mes lèvres quand je remonte jusqu’à son torse. Ses mains s’accrochent à mon shorty et tardent à le faire descendre. Je lui attrape les poignets et l’aide à me déshabiller. Une fois mon shorty balancé à côté de mon pantacourt, je glisse ma main vers son pudendum. Il recule instinctivement et je suis obligée de me rapprocher pour retirer son boxer. En saisissant son pénis, je lui murmure que je suis désolée d’être si impatiente, qu’il m’a fait trop attendre – et il sourit avec amusement, presque flatté, on dirait. Alors que je joue avec sa télécommande, il commence à perdre son souffle.
                Il semble approuver la manœuvre mais je me demande s’il n’est pas plutôt en train de se concentrer comme un dingue. Il est comme dans un état second – il me regarde sans me voir, semble-t-il. Lorsqu’il m’allonge à nouveau, c’est avec les gestes d’un robot ou d’un mime. Et quand il étend son corps avec empressement sur moi, c’est pour très vite introduire son pénis et démarrer les va-et-vient intensifs. Au bout de deux minutes à peine, je l’entends jouir – puis sangloter ; et je caresse sa tête qui s’est réfugiée près de mon cou. Entre deux sanglots, il s’excuse et m’explique combien il est mortifié par sa médiocre performance ; et je continue de caresser ses quelques cheveux, le consolant du mieux que je peux. Près de cinq ans sans coucher avec une femme – et record similaire à mon compteur aussi – dans ces conditions, on ne peut pas vraiment s’attendre à mieux. Je le rassure sur mes impressions ; lui répétant que j’ai quand même passé un merveilleux moment avec lui. Il renifle et acquiesce. Il a l’air déçu et je n’arrive pas à lui redonner le sourire. Je le laisse reposer sa tête sur mon cou pendant qu’il caresse mon sein gauche.
‘Je suis vraiment, vraiment désolé.’
‘Chut…’

***

Il regarde sa montre et dit :
‘Ho-ho ! On est en retard là.’
                Je jette un coup d’œil à son cadran.
‘Oh merde ! t’as raison.’
                Il se précipite sur ses vêtements et les enfile en vitesse pendant que je me rue sur ma commode et en extirpe une de mes robes d’été. Nous mettons nos chaussures en même temps, ce qui nous fait sourire, puis nous sortons de l’appartement et descendons les escaliers quatre à quatre, moi avec mon sac à main toujours ouvert, Paul avec ma valise heureusement bien légère. Nous courons jusqu’à sa voiture, il démarre au quart de tour, et une fois sur le parking de l’aéroport, nous galopons jusqu’en zone d’embarquement – s’arrêtant juste pour le check-in et les contrôles. Nous arrivons pile au moment où l’hôtesse de l’air fait son annonce et nous la supplions de nous laisser embarquer, Paul lui sortant son regard de chien battu qui fait des ravages. Elle finit par nous laisser passer et nous dévalons la passerelle jusqu’à l’avion, où nous nous vautrons dans nos sièges, essoufflés mais soulagés d’être arrivés à temps.
                Paul se retourne enfin vers moi et me sort :
‘Je n’avais pas sprinté comme ça depuis des années !’
‘Ben, c’est ça d’être jeune !’
                Il éclate de rire tellement fort que certains passagers se retournent pour le dévisager. Il s’excuse puis se tourne vers moi et me fait un clin d’œil. Je me penche vers lui comme pour lui dire quelque chose et il se penche à son tour pour me tendre l’oreille. Constatant que je ne dis rien, il me regarde ; je lui souris ; et comprenant enfin, il m’embrasse.

                Paul se fiche éperdument du regard réprobateur des autres passagers qui, de toute évidence, ont remarqué l’écart d’âge entre lui et moi, et qui zyeutent sa main si bien lovée dans la mienne. Paul n’a d’yeux que pour moi, et je me sens soudain comme sur un petit nuage avant même que l’avion ait décollé. Je ne sais pas si ce sont les effets secondaires de nos ébats de tout à l’heure ou la cavalcade pour arriver à l’aéroport qui me plongent dans cet état si euphorique, mais une chose de sûre : pour la première fois depuis des années, je ressens ce bonheur qui donne la larme à l’œil ; cette allégresse sublime qui donne envie de crier sa joie à tue-tête.

[Suite]

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Ich verstehe nicht - 15

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