lundi 4 mai 2009

Ohne euch - 1ère partie

Présentations

„Geboren in Bedrängnis
Und an eine Sau gelegt
Den Zitzen zum Verhängnis
Milch in beiden Ohren
So offen Ärgernis erregt
Gealtert in Vergängnis
Tod sei Dank nicht neugeboren“
Till Lindemann, „Tod nach Noten“[1]

1

[tranquillement avachi dans le fauteuil, les mains casées entre ses cuisses, le regard perdu dans le vide qui lui fait face – il semble ne pas avoir conscience de ma présence. Au bout de deux minutes et trente-cinq secondes, il se réveille en ricanant et rajuste son bonnet]

Étant du genre un peu facétieux, j’ai tendance à raconter des conneries à tout-va. Alors, évitez de prendre ce que je dis comme argent comptant. La moitié de ce que je vais vous raconter – voire plus ! – est purement et simplement inventée.
Je m’appelle Henry Eider et je suis né le 9 décembre 1964 – oui, enfin… C’est ce que j’ai fait inscrire sur mes papiers d’identité. Même si plus personne peut l’attester aujourd’hui, mon vrai nom, c’est Heiko Helmund Hirsch, ce qui donne comme initiales H. H. H.*. Je crois que j’étais prédestiné à devenir quelqu’un de très marrant !… Je suis né à Brest-Litovsk, c’est-à-dire (pour les nuls en géographie) en Biélorussie. Bien sûr, sur ma carte d’identité, il est spécifié que mon lieu de naissance est Berlin-Est. D’ailleurs, j’ai pris la fâcheuse habitude de répéter cette information fantaisiste à chaque nouvelle personne que je rencontre – réflexe d’immigré, je suppose – même si, techniquement parlant, je suis allemand : liens du sang obligent.
Henry est le prénom de mon père biologique, que j’ai plus revu depuis mes quatorze ans, âge auquel j’ai vu ma mère divorcer pour épouser son amant, crétin doublé d’un salopard. Deux ans plus tard, j’ai fugué – direction : la Pologne (un ennui monstre : j’espérais y retrouver mon père, sans succès) avant d’emménager à Berlin en 1984. Je suis un vrai débrouillard, je vous jure. Ici, je me suis arrangé pour falsifier mes papiers et obtenir un faux permis de conduire pour devenir chauffeur pour la bibliothèque municipale malgré mes dix-sept ans (oui, en fait, je suis né en 1966). Pas super top, comme boulot – mais ça aide pour survivre.
Eider est le doux nom de ma première femme : Sina était blonde, svelte, sublime, un peu idiote pourtant. J’avais vingt ans (âge officiel) quand je lui ai demandé sa main – comme quoi, on fait de belles conneries à cet âge-là. Je croyais l’aimer d’un amour fou – d’une flamme inex… inextine… inextinguible, comme on dit – mais c’était qu’un feu de paille, en fait. Pourquoi j’ai gardé son nom ?…ben, ça m’arrangeait. Et puis, pour être franc, Eider, ça sonne mieux que Hirsch ! Alors, comme le veut la bonne vieille tradition allemande, j’ai pris puis gardé le nom de mon ex-femme. Le pire dans tout ça, c’est qu’elle m’a donné un fils la même année : un certain Julian, que j’ai pas recroisé depuis…ouh ! depuis un bail, au moins !! [petit rire désabusé]
L’une de mes particularités, c’est que je parle couramment le russe. Mais ça, c’est parce que j’ai vécu à Moscou pendant un an, juste à côté de l’ambassade de la RDA. Faut le faire, hein ? C’était juste après mon premier divorce. Là-bas, j’ai rencontré une grande brune, que j’ai épousée sur un coup de tête et qui a mis au monde mon second fils, un dénommé Dmitri, que j’ai pas trop envie de revoir : sa mère me tapait sur les nerfs, je veux pas vérifier s’il a hérité ça d’elle… Bon, en fait, je me plante parfois et parle biélorusse sans le faire exprès, mais ça, c’est à cause de l’influence négative qu’a eu ma mère sur moi. Et puis, non seulement russe et biélorusse se ressemblent un petit peu, mais en plus, si je me souviens bien, à l’école, c’est russe qu’on parlait – le pays faisait encore partie de l’Union Soviétique à cette époque-là. Ben ouais !
Dernier détail important me concernant : je ne mesure qu’un mètre soixante-neuf, ce qui me vaut les railleries sempiternelles de mes potes. Mais en fait, j’aime bien ma taille de nain. Comme ça, je peux évaluer à leur juste valeur la plupart des femmes que je rencontre – ma tête arrivant le plus souvent à hauteur de leur poitrine, c’est pratique ! Cette petite taille est principalement due à ma naissance prématurée. Ouais, au bout de sept mois dans les entrailles de ma mère, j’en avais déjà marre ! Bon, j’ai dû traîner quelques problèmes respiratoires dans mon enfance – et les gens disent parfois que je tombe malade à tout bout de champ… Mais je m’y suis habitué. Et puis, je pense sincèrement qu’avoir vécu dans des pays froids a endurci le petit Henry que je suis. Eh oui ! on dit bien « petit mais costaud », non ?


2

[air sérieux indéniable, cou droit et visage mélancolique – répondre à mes questions ne lui plaît guère mais il s’y plie avec patience. Il lui arrive parfois de me lancer un regard soupçonneux]

Je me nomme Hanz Schiefer. Je suis né le 16 novembre 1966 à Berlin-Est. Tout le monde me surnomme Bürge* sans trop savoir pourquoi : j’ai ce surnom depuis l’enfance, et personne n’est capable de m’en expliquer l’origine. Peut-être tire-t-il sa source d’une mauvaise prononciation de ma part ? Ou d’une insulte que j’aurais récupérée à l’école ?° Je ne sais… Je viens d’une famille pas très riche mais pas extrêmement pauvre non plus, et j’avoue que mon enfance a toujours été très heureuse. J’ai eu des parents charmants et respectables, qui nous ont appris, à moi et à mon frère aîné, à être tolérants et disciplinés. Je garde de très bons souvenirs des tout débuts de ma vie – et je pense que ce fait aura une très grande influence sur la fin de mon récit.
Lorsque j’avais environ douze ans, l’un de mes amis à l’école savait jouer du piano depuis ses cinq ans. Je fus fasciné par son don et je brûlais d’envie de l’imiter. Ainsi décidai-je de convaincre mes parents de m’offrir un piano – ce qui devait coûter 200 DM, je crois, pour les modèles les moins chers (ne me demandez surtout pas de reconvertir la somme en €). La tâche ne fut pas simple. Ils espéraient surtout faire de moi un bon dentiste (mon rêve d’enfant) et craignaient que la musique ne me distraie de mes études. Mais, à force de persévérance, ils cédèrent enfin à mon caprice, et m’inscrivirent même à des cours particuliers. Bien évidemment, les craintes de mes parents étaient fondées, puisqu’à vingt ans, j’abandonnai finalement l’université pour me lancer corps et âme dans la musique. « Tu as un don, disait mon frère. Ce serait du gâchis que de ne pas en profiter. »
Le seul problème était que je ne voulais en aucun cas dépendre de mes parents pour réaliser ce rêve. Hors de question, donc, de revenir chez eux et de vivre sur leurs économies. Et quand bien même j’aurais voulu être paresseux, le régime communiste m’en empêchait : je vous rappelle qu’en 1986, pour être musicien, il fallait faire le conservatoire. Obligatoirement. La seule autre alternative, à savoir celle d’être musicien en amateur, nécessitait d’avoir un métier reconnu par le régime. C’est ainsi que je me fis engager comme ouvrier dans une usine d’outillage.
Je vivais alors dans un petit appartement dans le quartier de mon enfance, Prenzlauer-Berg, où je vis encore aujourd’hui. Je trouve ce lieu très charmant – chargé d’histoire et de tranquillité ; même après la Réunification, il a su garder ses attraits. Certes, les habitudes de l’Ouest s’y sont répandues, avec ses grands magasins écœurants par leurs offres vertigineuses et ses affiches criardes qui continuent à hanter les esprits la nuit venue. Enfin…je suppose qu’il faudra bien s’y accoutumer un jour… [léger soupir]
Où en étais-je ?… De 1986 à 1989, je passais mes journées à me précipiter hors de l’usine pour me rendre aux répétitions des divers groupes auxquels j’appartins successivement. Il était en effet essentiel pour moi de me livrer tout entier à ma passion…même si j’avoue que, n’ayant pas assez d’argent et ne voulant surtout pas en réclamer à mes parents, je devais me contenter de jouer sur un clavier centenaire qu’un ami m’avait donné.
Mes influences musicales ? Eh bien…elles se résumaient surtout à la collection de vinyles de mon père, fan de jazz. Je sais, je sais : ça n’a strictement rien à voir avec la musique que je fais aujourd’hui…mais…il fallait bien commencer quelque part !


3

[regard fuyant voire indécis, les mains enfouies dans les poches de son baggy – il a un visage doux : l’air naïf qu’ont tous les adolescents. Je sens que son histoire va être triste : son attitude montre qu’il préfère garder ses distances]

Je vais être franc avec vous : je n’aime pas trop parler de moi. Je ne pense pas avoir grand-chose à dire de toute façon… Et puis, après tout, je ne suis que l’infortuné bassiste d’un groupe qui n’existe plus.
Je m’appelle Peter Franz et je suis né le 11 avril 1971 à Schwerin. J’ai été élevé par mon père jusqu’à sa mort – dans un accident de la route – j’avais seize ans. À dix-sept ans, j’ai rencontré ma mère, qui n’avait pas arrêté de me chercher depuis ma naissance. Elle m’a expliqué comment elle avait rencontré mon père au lycée – comment elle était tombée enceinte par accident – comment mon père lui a proposé de s’occuper de moi – comment il a finalement disparu avec moi en partant s’installer à Berlin sans la prévenir.
Je me sens toujours un peu mal à l’aise auprès d’elle. Comme si l’erreur de mon père était un peu la mienne. D’ailleurs, ne pas connaître sa version à lui ne m’aide pas non plus. Je crois que j’aurai toujours du mal à considérer ma mère comme telle. Après tout, elle est plus une amie qu’une mère à mes yeux. Parfois, il m’arrive de ressentir des sentiments plus forts envers elle. Ce que je ne devrais pas ressentir. Alors, je préfère refouler ces sentiments… De toute façon, elle ne m’a pas connu enfant – elle ne sait presque rien de moi. Et maintenant que j’y pense : personne d’encore en vie ne m’a connu enfant…donc personne ne sait rien de moi.
J’ai toujours eu des problèmes pour communiquer avec les autres. Les femmes y compris. Mon père n’était pas le genre d’homme à s’étaler en confidences (d’où ma surprise en apprenant l’histoire de ma mère) et je crois que j’ai dû hériter ça de lui. En plus, je pense que mesurer deux mètres deux n’aide pas vraiment. C’est vrai que j’en ai finalement fait un avantage : comme je suis plutôt agile, j’adore le skate. Mais les gens m’ont toujours vu comme un géant taciturne, enveloppé dans ses pensées…et encore aujourd’hui, on ne cherche pas vraiment à savoir ce qui se cache derrière mon regard réservé.
Oh ! bien sûr, il y a quelques exceptions : Tiger et Mikael, par exemple. Je les ai rencontrés peu avant ma mère, en 1988. À cette époque, je faisais un apprentissage pour être peintre en bâtiment – le jour de mon arrivée dans la boîte, Tiger venait de se faire virer (il avait mis le feu à une boîte à outil pour gagner un pari contre Mikael). Je ne sais pas trop pourquoi, je me suis instinctivement senti proche d’eux. Je les trouvais plutôt cools – ils avaient beau avoir plus de vingt ans, ils se comportaient comme des gamins. Et, comme moi, ils aimaient écouter du rock.
Car, vous le devinez sûrement, le rock était considéré comme de la musique venue de l’Ouest – impropre pour le vieux régime, qui interdisait la diffusion de ces groupes occidentaux à la radio sous prétexte que leur musique était trop ‘tendancieuse’ (encore aujourd’hui, j’ai du mal à comprendre le sens de ce mot). Le seul moyen de se procurer quelques cassettes était de connaître quelqu’un qui pourrait en importer illégalement. Or, c’était le cas de Mikael, fan de Kiss depuis qu’il était ado. Sa collection dépassait toutes mes espérances – à un point tel que je pouvais passer des journées entières dans son petit appartement à faire des copies de ses cassettes et à l’écouter jouer sur sa guitare.
J’ai toujours admiré Mikael – je n’ai, en fait, jamais rencontré qui que ce soit d’aussi passionné que lui. Mais je crois que c’est Tiger que je respecte le plus : il a huit ans de plus que moi et, d’une certaine manière, il a un peu remplacé mon père. En plus, je suppose que son côté mystérieux (il donne l’impression d’avoir tellement vécu qu’il rend parfois les gens mal à l’aise sans le faire exprès) m’a attiré vers lui en premier – comme s’il était le seul à pouvoir me comprendre, en fait.


4

[les sourcils froncés et les lèvres pincées – c’est devenu un réflexe chez lui – il a pourtant un visage de charmeur, encadré par de ravissantes boucles châtain. Mais il ne cherche à tirer aucun avantage de sa beauté physique]

Je m’appelle Karl Igelmann, mais je vous interdis d’employer ce nom. Appelez-moi plutôt Bang. D’accord ? Bien. Je suis né le 11 mai 1966 à Berlin-Est, dans une famille composée de six autres enfants : j’ai un grand frère et cinq petites sœurs. Ma mère est pianiste et mon père est compositeur et musicien. En clair, j’étais prédestiné à faire de la musique !
Le jour de mes quatorze ans, mon frère m’a offert une batterie improvisée : deux tonneaux enveloppés d’aluminium – pas très solides, mais assez pour que je puisse m’adonner à ma passion naissante – passion qui finira par me brûler les doigts, comme vous le savez déjà. Seul problème : mon père désapprouvait ce choix. Pour lui, la batterie n’était pas un instrument digne de ce nom – et c’est pour cette raison qu’il a essayé de m’insuffler sa propre passion pour la trompette. Peine perdue d’avance : la batterie était tout pour moi.
J’étais fan d’AC/DC à fond même si, à cette époque, je devais compter sur un cousin habitant à l’Ouest pour m’envoyer des copies de ses cassettes – me permettant ainsi d’écouter les prouesses de Phil Rudd, sans conteste mon modèle… Enfin, à condition que les colis passent les barbelés – ce qui obligeait mon cousin à ruser sans arrêt.
À seize ans, j’ai préféré quitter le lycée pour devenir installateur de postes téléphoniques – pas très ambitieux, je sais. Mais, au moins, avec mon premier salaire, j’ai pu m’acheter de véritables fûts, qui n’avaient rien à voir avec les kits qu’on fait aujourd’hui : pas super solides, non. Quand je tapais trop fort dessus, je devais demander à un pote soudeur de me les réparer. Mais au moins, je pouvais m’entraîner. [sourire satisfait]
À dix-huit ans, au lieu des dix-huit mois requis, j’ai fait trois ans de service militaire . On était en 1984, et à cette époque, on n’avait pas vraiment le choix. Puis, j’ai tenté ma chance à l’université (pour étudier la musique) et passé deux fois les examens à la repêche : d’abord en 1987, puis en 1988 – deux échecs cuisants. J’ai donc repris mon boulot d’installateur à défaut de trouver mieux et même emménagé dans un petit studio pas trop loin de chez mes parents. Ainsi, je pouvais passer voir mes sœurs régulièrement, avec qui je m’entends toujours aussi bien. D’ailleurs, j’espère qu’elles, au moins, elles me pardonneront l’acte insensé que je m’apprête à commettre…
J’avoue que je suis d’une très forte personnalité – un peu trop peut-être. Et parfois, je deviens vite méchant, que ce soit avec mes amis ou ma famille. Je n’y peux rien. Je suis quelqu’un « au sang chaud » – comme dit ma mère. D’ailleurs, à l’école, j’avais du mal à me contrôler quand il y avait une bagarre – il fallait toujours que je me mêle des affaires d’autrui. Même quand on ne m’appelait pas. C’était quasi maladif.
Mais il y a une chose de sûre : j’ai une foi inébranlable. Ma famille est de tradition luthérienne depuis des générations. C’est ça qui m’aide à me contenir. Même si je ne cite pas Dieu toutes les cinq minutes, Il est toujours présent en moi. Il est mon garde-fou, oui – une sorte de pare-feu. Celui et le Seul qui peut m’empêcher de faire de belles conneries…même si, quand vous aurez entendu ce que j’ai à dire jusqu’au bout, vous en douterez sûrement.


5

[visage angélique et sourire quasi efféminé – ses beaux yeux bleus, pourtant asymétriques, contemplent le tatouage sur ma poitrine avec une intensité incongrue. Il fume cigarette sur cigarette et se fiche de savoir si cela me gêne ou pas – il m’hypnotise et je suis incapable de dire pourquoi]

Bien, je me présente, alors ! Je m’appelle Mikael Zimmer et je suis né à Wittenberg le 24 juin 1967, ce qui fait de moi un Cancer (esprit de famille, etc…ouais, mon cul !). Bon, en fait…mon vrai prénom, c’est Schmunz, mais il m’a valu tellement de moqueries à l’école que plus personne doit m’appeler comme ça. D’accord, ma mère avait bon cœur quand elle pensait à ‘schmunzeln’* – en effet, quand je suis né, je souriais comme un ange, disait-elle – mais elle aurait quand même dû aussi penser à ‘Schmutz’°, surnom que j’ai traîné pendant toute mon enfance et qui m’a définitivement convaincu que Mikael (mon prénom ‘hébreu’ – je suis juif par ma mère), ça sonne beaucoup mieux.
Gamin, j’étais petit et un peu potelé – et puis timide aussi. Tout logiquement, donc, j’étais le souffre-douleur d’à peu près tout le monde. À l’adolescence, par contre, c’était l’inverse. J’étais toujours petit (un mètre soixante-quinze aujourd’hui, pas vraiment top), mais j’étais extrêmement turbulent, voire agressif. Comme je commençais déjà à me muscler, je pouvais vérifier l’ampleur de ma force en rendant les coups que j’avais dû encaisser étant enfant. C’est pour ça que j’écoutais pas en cours : les profs me tapaient sur les nerfs ; je préférais de loin rester dans mon coin attitré de la cour de récré, où on n’avait surtout pas intérêt à venir me faire chier – sinon, je pétais un câble ! Une vraie bombe nucléaire, j’étais parfois !
À la maison, c’était pas mieux. Je vivais avec ma mère, mes deux demi-sœurs et mon beau-père, athée et communiste à fond au point de me faire vomir. Il ne pouvait pas supporter l’idée que je puisse admirer les États-Unis, et encore moins celle que je puisse être fan de Kiss (le cliché rock par excellence : la drogue, l’alcool et les groupies à volonté – voilà ce qui me fascinait chez eux, en plus de leur musique géniale !). Alors, tous les soirs, je devais re-scotcher les posters que cet abruti avait passé sa journée à arracher dans ma chambre. Comme s’il n’avait rien d’autre à foutre !
Il y a aussi autre chose qui pourrait expliquer mon comportement agressif au collège : ça tire son origine dans cette putain de baraque que je devais appeler ma maison… [sa voix s’est éteinte – son regard est hésitant] Mon beau-père me violait. Je ne l’ai jamais dit à qui que ce soit ; même pas aux autres membres du groupe. Et pour être franc, j’ai du mal à vous le dire, là, maintenant… Mais bon, je n’ai plus rien à perdre, de toute façon… [hors caméra, il admettra avoir ‘partagé’ ce secret avec sa mère – qui a préféré sauver la mémoire de feu son mari plutôt que de croire son propre fils – avant de gentiment m’enjoindre à garder le silence sur ce lugubre détail de sa vie]
Je dois vous avouer aussi que ma première expérience sexuelle (la première voulue, je veux dire) a été très précoce… Un des effets secondaires de l’inceste ? Aucune idée ! J’avais treize ans – ma copine aussi (c’était une fille de ma classe – la seule fille qui me prenait pas pour un taré) ; et on s’aimait énormément. Le problème, c’est qu’on savait pas trop comment s’y prendre. Sous l’ancien régime, les bouquins sur le sexe, ça n’existait pas. Et puis, les conversations avec les parents, c’était pas trop ça non plus. Je parle même pas de mon expérience avec mon beau-père, qui ne mérite aucun commentaire. C’est pour toutes ces raisons que je garde pas un merveilleux souvenir de ma première fois…
Le jour de mes seize ans, des potes à moi m’ont offert un voyage en Tchécoslovaquie. Là-bas, j’ai acheté une guitare dans le but de la revendre le double du prix en Allemagne, mais au final, j’ai préféré la garder. En effet, le dernier soir avant de repartir, une fille (qui avait planté sa tente à côté de la nôtre sur le camping où on squattait) m’a demandé de lui faire une démonstration – et c’est comme ça que j’ai pris goût pour la musique. J’ai mis toute mon énergie à apprendre à jouer. Les filles adorent les mecs qui jouent de la guitare ! Par la suite, j’ai même appris à jouer de la batterie – toujours en autodidacte. [visage qui rayonne de fierté]
Peu avant ma dernière année au lycée, en 1985, j’ai quitté Wittenberg, où je ne gardais que des mauvais souvenirs, pour la capitale, dans l’espoir de devenir musicien. Bien entendu, mon rêve, c’était pas pour tout de suite. Comme j’avais pas d’argent, je devais cumuler les boulots de serveur pour me payer le une-pièce non meublé qui me servait d’appart’. Et comme je me faisais souvent virer (j’étais soi-disant ‘agressif’ avec les clients), je devais aussi me prostituer de temps en temps pour finir le mois sans crever de faim. [regard gêné] Cette période de ma vie est la plus solitaire de mon existence – mais heureusement pour moi, ça n’a duré qu’un an ! Ou alors, un peu plus ?… Je sais plus trop.


6

[air grave et mèche rebelle – il s’est penché en avant et balance son regard entre mes pieds aux ongles vernis et mes yeux fascinés. Timide et sûr de lui en même temps, tel un enfant coincé dans un corps trop grand pour lui – à chaque fois qu’il ouvre la bouche pour parler, il prend une longue inspiration comme pour plonger]

Nom : Tiger Beer. Naissance : à Leipzig, le 4 janvier 1963. Père : Wolf, alcoolique et violent, aujourd’hui décédé. Mère : Marthe, écrivain et poétesse, décédée elle aussi. Une sœur de six ans ma cadette. Taille : un mètre quatre-vingt-treize. Poids : presque quatre-vingt dix-huit kilos. Yeux : bleus, comme pas mal d’Allemands. Cheveux : noirs. Quoi d’autre ? Rien.
Même si je suis né à Leipzig, j’ai vécu toute mon enfance à Wendisch-Rambow, village minuscule situé près de Schwerin, jusqu’au divorce de mes parents en 1980. Comme je passais mon temps à me battre avec mon père, que je détestais sans vergogne, cette enfance a pas été extrêmement heureuse. Ajouter à ça le fait que j’étais pas très bon pour les études, d’où mon envoi dans une école de natation à onze ans, école que j’ai quittée en 1979 à cause d’une blessure à l’abdomen et de quelques problèmes manifestes avec la discipline de fer qui y régnait – de toute façon, j’ai toujours eu des problèmes avec la discipline : vous comprenez mieux pourquoi je préfère pas m’éterniser sur cette période de ma vie. Il y a bien eu quelques bons moments… Ma première expérience sexuelle, par exemple, fut très bucolique, puisqu’elle se déroula sur une meule de foin en plein été, avec une femme d’une trentaine d’années, et pourtant sublime, comme partenaire – j’avais seize ans. Un souvenir digne d’un roman du XIX° ! Mais pour ce qui est du reste, je préfère ne pas m’éterniser.
À dix-sept ans, j’ai suivi ma mère, qui est partie s’installer avec ma sœur à Berlin, où je cumule des jobs divers et variés. En 1981, refuse d’accomplir mon service militaire – mais n’échappe pas à l’œil vigilant de la Stasi qui, en 1982, me force à accepter un service de remplacement d’un an sous peine de finir en prison. Lorsque je sors enfin de l’armée, me rends compte combien ma vie de jeune Berlinois sans but, sans avenir, peut être morne et inintéressante – peut-être parce que je me suis jamais senti à ma place dans les grandes villes. J’ai toujours aimé admirer les beaux paysages, la nature dans toute sa splendeur… [j’aperçois un sourire furtif] Mais je persiste quand même à Berlin et cumule à nouveau les métiers – leur seul point commun : sont tous manuels.
Avec les salaires irréguliers que je récolte, me permets l’achat de quelques livres – ma mère ne m’a certes pas inculqué son goût pour les études, mais elle a su me faire aimer la littérature – livres que j’entrepose tant bien que mal dans mon petit taudis, aux murs aussi épais que du papier (très pratiques pour écouter les voisins baiser, soit dit en passant), dans lequel je me suis installé après avoir quitté l’appartement familial et qui engloutissait la plupart de mes salaires.
En 1985, un petit incident de parcours m’oblige à devenir père d’une petite fille nommée Lidja Gabrielle Beer, dont j’épouse la mère peu de temps après. Le mariage n’a pas été grandiose – j’étais soi-disant trop distant, pas assez attentionné… Certes, je m’occupais plus de ma fille que de sa mère, qui travaillait comme aide-soignante – de nuit car ça payait plus. Et moi, ben…je travaillais surtout de jour – quand je pointais pas simplement au chômage pour « indiscipline manifeste »… Vous voyez le tableau ?
En 1986, je rencontre dans un bar celui qui deviendra mon meilleur ami : Mikael – gamin prétentieux, extravagant et légèrement agaçant. L’année suivante, ma femme me trompera avec lui. Par conséquent, j’ai toutes les raisons du monde de le haïr. Et pourtant… Encore aujourd’hui, j’aime me saouler à la tequila avec lui. Il a l’énergie, la volonté de vivre que je refuse d’avoir mais que j’imite à ses côtés. C’est aussi la première personne à qui j’ai avoué que j’aimais écrire de la poésie. Et au lieu de se moquer de moi – ce que n’importe quelle personne sensée aurait fait – il s’est contenté d’acquiescer en allumant sa cigarette et, plus tard, s’est débrouillé pour combiner mon besoin d’écrire et mes envies intempestives de pousser la chansonnette.

Deuxième partie

NOTES:
[1] ‘Né en étant démuni/Et enfanté par une truie/Dès le biberon le malheur tétant/Le lait dans les deux oreilles s’écoulant/Le scandale fort excité/Mais vieilli par le passé/La mort soit louée, à nouveau je ne renais – La mort après les notes’
* prononcez Ha-ha-ha en allemand, NdA
* ‘garant’ en allemand, NdA
° ‘Bürger’ signifie à la fois citoyen et bourgeois, NdA
* ‘sourire’ en allemand, NdA
° ‘saleté’ en allemand, NdA

6 commentaires:

  1. J'adore ! Réécrire l'histoire en changeant leurs noms mais en gardant leurs comportements atypiques et leurs caractères c'est pas mal du tout !

    RépondreSupprimer
  2. Ah c'est sur le viol qu'a subit Richard dans ta fiction alors .. Je verrais si ça me plait ou non alors ;)
    Non mais oh ! Et les chevilles hein ? Lol Personnellement je suis naturellement brune mais je fais beaucoup de coloration et là je suis blonde péroxydée lol
    Je pense surtout (pour Paul) que c'est dû au fait qu'il est tellement jovial quand il va bien que quand il doit aller mal ça doit être l'inverse. Enfin .. je pense !
    Ah d'accord ! Je comprends mieux, si tu fais Erasmus tout s'éclaircit dans ma petite tête lol J'aime voyager, c'est une passion que je tiens de mes parents (peut-être le seul point commun que j'ai avec mon géniteur d'ailleurs). Pour te faire un bref résumé de ma vie (sinon tu vas rien capter) : je suis née au Kenya (à Nairobi), ma mère est allemande d'origines belges et mon géniteur (tu ne me verras jamais dire "père" ou "papa") est français avec de fortes origines espagnoles et portugaises. J'ai vécu au Kenya, en Allemagne, en Guadeloupe et en France et j'aime faire des voyages de temps à autres :) (Tout ce qui faut savoir si la petite Zerfetzen lol)

    RépondreSupprimer
  3. Ach... Bah après c'est vrai qu'il faut parfois beaucoup d'entrainement pour arriver à trouver les mots justes pour certaines "scènes". Mais apparemment tu as réussi à trouver vu ce que j'ai lu l'autre jour :D
    Et oui ! Maintenant on m'appelle gentillement la blondasse ou Svetlana XD (les gens sont fous)
    J'ai une grande famille qui vient de partout mais je trouve que c'est un plus. Et puis ça permet aussi d'avoir un esprit plus ouvert sur différentes choses peut-être. Bon je te cache pas que quand on me pose la question : "tu viens d'où ?" j'ai un peu de mal à répondre et que c'est un truc qui me manque =/
    Décidément, les géniteurs sont des salauds ! Je crois que c'est pour ça que j'admire tant Till car quand on voit comment il est avec Nele, ça laisse rêveur. Et je vois que tous les beaux-pères ont le droit à ce superbe surnom qui est "l'autre" XD
    Les français ont du mal à changés, j'ai l'impression. Tu vois, j'ai un look très coloré quand je m'y mets et j'ai les cheveux colorés (jamais de couleurs très naturelles lol) et ben tout le monde me regarde bizarrement mais à force ça devient "normal" tellement je suis habituée. Dans ce pays, t'as pas le droit d'être original. C'est encore pire pour ma mère parce qu'elle a les cheveux rouges et courts et également des tatouages alors "oulala elle a plus de 40 ans, c'est pas bien" >_<

    RépondreSupprimer
  4. Moi ça me fait marrer qu'on m'appelle Svetlana perso ! Et puis c'est pas méchant et puis j'aime pas mon prénom (Marine) alors bon .. lol
    Oui mais c'est quand même de là où tu viens donc c'est toujours bien de dire "je viens de .." alors que moi .. Bah voilà quoi lol Et en plus quand je dis que je suis née à Nairobi, ça choque toujours alors du coup maintenant je ferme ma gueule lol
    Je pense qu'il aurait été notre père, on aurait pas dit ça. Et puis au moins là, on a le droit de baver dessus :D (Haha c'est pas mal finalement lol)
    Bah moi je suis automatiquement attirée par les couleurs quand je rentre dans un magasin >< Je déteste être habiller en noir ou en blanc sauf quand il y a une autre couleur plus voyante avec. Moi je passe facilement des vans aux talons, des jeans aux jupes, etc. Mais toujours avec un détail que personne n'a sans que ça fasse con. Au lycée, les personnes qui ne me connaissent pas personnellement m'appellent "la fille aux converses anglaises" (je préfère Svetlana lol). Je suis entrain de me faire une collection assez imposante de converses où je dessine les drapeaux des pays que j'aime (Allemagne, Autriche, Angleterre, Russie, Ukraine, etc) J'ai une imagination débordante pour tout les domaines lol
    Ah moi j'ai viré mon Facebook, ça me gavait ce site >< Je suis plus MySpace ^_^

    RépondreSupprimer
  5. I was totally lost reading this! I couldn't get who was who, except for Richard (I heard about the guitar thing). lol. But I learned some stuff about the rammsteins and that's always good. The poem at the beginning is from Till?

    Richard getting raped by his step-father... that made me laugh pretty hard... and the other one having sex on a ball of hay... thats pretty funny too!

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour!
    L'annuaire rammsteinnien reprend du service. Changement de design mais aussi rafraichissement des articles... Et si tu reçois ce commentaire c'est que ta fiction fait parti de celles qui sont présentées ici. Il faudrait que tu nous dises si tu veux que ta fiction soit encore sur l'annuaire ou non. Si oui, pourrais-tu remplir à nouveau le formulaire d'inscription sur le premier article? S'il te plait. Si non, merci de nous en informer également pour que nous puissions faire le nécessaire. Merci d'avance.

    N&M.

    RépondreSupprimer

Ich verstehe nicht - 15

  Chapitre XV – Un moulin à paroles               Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d’avoir accepté la compagnie de Paul. ...